À travers le feuillage d’une végétation envahissante, on découvre l’ancien pensionnat pour jeunes filles de Sclayn, devenu l’école Sainte-Begge. De nombreux enfants du village sont passés entre ces murs. Jusqu’en 2022. Depuis, l’école a fermé ses portes. Définitivement. Et le bâtiment tentaculaire, immense, sombre petit à petit dans l’oubli.

La bâtisse s’étend à travers tout le quartier, derrière l’église du village. Elle n’a, fort heureusement, pas encore été repérée ni envahie par les urbexeurs, ces amateurs de lieux abandonnés, ni par des squatteurs. Il n’y a ici ni dégradation ni tag. Le bâtiment est protégé par une alarme. Les voisins veillent.

Lors d’une visite en compagnie d’Étienne Leroy, membre du PO de l’institut Sainte-Begge, propriétaire des lieux, on s’étonne du relatif bon état de l’ensemble.

« L’école Sainte-Begge a acheté les bâtiments, en 2017 ou 2018, alors qu’elle les occupait déjà depuis de nombreuses années. » Pour 1€ symbolique. Des frais ont été engagés, un nouvel élan a été donné. Avec un programme d’immersion en néerlandais qui a rencontré un beau succès et qui a nécessité la création de nouvelles classes. Malheureusement, les travaux pour moderniser et sécuriser l’école nécessitaient encore des budgets trop importants. Les classes ont été déménagées, en septembre 2022, vers Seilles. Et l’école de Sclayn a fermé, pour de bon. « Les travaux de mise aux normes de sécurité étaient trop importants. On ne pouvait plus assumer. Et on n’a pas les moyens de sécuriser. Donc on vend. »

Avec l’envie que les bâtiments restent dans le patrimoine sclaynois. La fabrique d’église s’est montrée intéressée par un rachat. Pour 1€ symbolique. Un appel du pied qui est resté lettre morte, les vendeurs voulant récupérer les investissements consentis ces dernières années.

Près de 160 ans d’histoire

Bien avant l’école du village, il y avait là un pensionnat pour jeunes filles. Le pensionnat des sœurs de Notre-Dame Mère de miséricorde. C’était son appellation exacte.

Il a été construit en 1863. Sa renommée s’étendait à toute la vallée de la Meuse.

Les sœurs de Sclayn, en 1920.
Les sœurs de Sclayn, en 1920.

Le site de la Bibliotheca Andana nous apprend que les sœurs avaient pour objectifs :

  • D’inspirer aux jeunes personnes l’amour et le goût de la vraie piété.
  • Les exercer à la pratique des vertus solides.
  • Les porter à la gratitude et à l’amour des parents.
  • Leur faire apprécier les charmes de la vie de famille.
  • Leur inculquer les qualités requises à leur sexe : l’ordre, la propreté, l’amour du travail, l’économie, la politesse.
  • Développer leurs facultés intellectuelles.
  • Leur donner les connaissances nécessaires à leur condition.

On remarquera, au passage, que les facultés intellectuelles passent après l’ordre, la propreté et l’économie. Signe d’une époque, heureusement révolue, où les femmes étaient cantonnées à un rôle de maitresse de maison et rien d’autre.

En 1954, les sœurs de la Charité ont quitté le pensionnat. Une partie des bâtiments a été vendue à l’association paroissiale (l’école, la chapelle et la salle des fêtes). Le reste a été cédé à des particuliers.

Souvenirs d’après-guerre

La Sclaynoise Berthe Noël a encore de nombreux souvenirs de cette époque. Adolescente, elle a fréquenté le pensionnat, comme élève externe, juste avant la guerre 40-45.

Berthe Noël

Berthe Noël

« Il y avait l’école primaire, les moyennes, l’école professionnelle et l’internat. C’était tenu par des religieuses. Les sœurs du pensionnat donnaient les cours. Certaines d’entre elles allaient aussi à l’école de la Villette, avec monsieur Troussart. » (la cité ouvrière à la sortie du village, vers Andenne).

Berthe se souvient qu’au pensionnat, « il y avait bien 60 pensionnaires, toutes des filles, en uniforme. Principalement des Flamandes de bonnes familles. »

Carte postale du pensionnat tel qu’il se présentait au début du XXe siècle.
Carte postale du pensionnat tel qu’il se présentait au début du XXe siècle
L’entrée, avec la maison « Evrard ».
L’entrée, avec la maison « Evrard ».
« Étudiantes exemplaires sur les Tiennes », date inconnue.
« Étudiantes exemplaires sur les Tiennes », date inconnue.
Une classe de jeunes filles dans les années 40. En bas à gauche, Berthe Noël.
Une classe de jeunes filles dans les années 40. En bas à gauche, Berthe Noël.
Trois institutrices entourant deux sœurs, fin des années 60. Il y a madame Chamberlan au centre et mademoiselle Duchateau à droite. L’enfant, c’est Josiane Verschueren.
Trois institutrices entourant deux sœurs, fin des années 60. Il y a madame Chamberlan au centre et mademoiselle Duchateau à droite. L’enfant, c’est Josiane Verschueren.

Assez curieusement, alors que la plupart des religieuses étaient Flamandes, très peu de cours étaient donnés dans leur langue. : « Ce que je reproche aux religieuses, c’est que l’on n’avait qu’une heure de cours de flamand par semaine. On aurait dû sortir de là en parlant flamand couramment. Mais ce n’était pas le cas. »

Jusqu’au départ des sœurs, le pensionnat et l’école exploitaient tous les bâtiments.

Dans la grosse maison en brique rouge, la « maison Evrard », à gauche de l’entrée actuelle, on donnait les cours de cuisine, de couture. Et dans les petites maisons qui longent l’église, c’était le quartier des sœurs, les logements. « C’est là qu’elles vivaient. Il y avait sœur Marie-Marguerite, sœur Brigitte, sœur Marie-Alphonse, sœur Godelieve et la directrice, sœur Clarisse. Elles sont parties parce qu’elles devenaient trop âgées et qu’il y avait de moins en moins de pensionnaires. »

La chorale Saint-Maurice

Une fois les religieuses retournées dans la maison mère des sœurs de la Charité, près d’Ypres, les bâtiments ont trouvé de nouvelles affectations. Des familles ont emménagé dans leurs anciens quartiers. Les institutrices ont continué à dispenser leurs cours, dans les classes de maternelle et de primaire. En 1965, la chorale Saint-Maurice s’est installée à l’étage, dans un grand local de répétition.

Berthe se souvient encore : « La chorale a été fondée en 1942 et on s’est installé dans ces locaux dans les années 60. On a d’abord répété en bas, dans le réfectoire, avant d’avoir notre local au 1er étage. »

La chorale Saint-Maurice célèbre sainte Cécile, patronne des musiciens, par un annuel banquet, dans son local du 1er étage. On y voit de nouveau Josiane Verschueren, qui a bien grandi depuis la photo précédente.

Un autre Sclaynois, Marcel Simon, garde encore de nombreux souvenirs de cette époque. « Je venais de rejoindre la chorale quand on a inauguré le local, en 1965. On a dû partir pour des raisons de sécurité, en juillet 1991. » Après une visite des pompiers, la décision était inéluctable. Les planchers séculaires ne pouvaient plus supporter le poids d’une cinquantaine de personnes.

Les années Sainte-Begge

L’école libre de Sclayn a été reprise par l’institut Sainte-Begge, qui avait des antennes dans tous les villages de la commune d’Andenne.

Au milieu des années 70, les enfants qui habitaient la Villette sont venus s’ajouter à ceux de Sclayn. C’était l’époque joyeuse où les gamins jouaient au foot dans la cour de récré, qui leur paraissait immense. Il n’y avait que trois classes : les gardiennes chez madame Chamberlan ; les 1ère et 2e années primaires chez madame Delforge et les 3e, 4e, 5e et 6e primaires chez mademoiselle Duchateau.

 

Une classe de 5e ou 6e primaire, fin des années 70. Avec mademoiselle Duchateau (à gauche) et Tinay Roquet, qui venait donner des cours de couture aux filles des classes, une fois par semaine. On reconnait Jean-Luc Delory, Isabelle Dago, Didier Matagne, Christian Kinet, Fabien Varotto, Myriam Baruffato, Muriel et Bénédicte Delforge, Isabelle Davin…
Une classe de 5e ou 6e primaire, fin des années 70. Avec mademoiselle Duchateau (à gauche) et Tinay Roquet, qui venait donner des cours de couture aux filles des classes, une fois par semaine. On reconnait Jean-Luc Delory, Isabelle Dago, Didier Matagne, Christian Kinet, Fabien Varotto, Myriam Baruffato, Muriel et Bénédicte Delforge, Isabelle Davin…

Les instits et les enfants se sont succédé sur deux générations encore. Puis, à la rentrée de l’année 2022/23, ils ne sont plus revenus.

Les activités annexes

Les locaux derrière l’église ont accueilli de nombreuses activités tout au long de ces décennies : en plus de la chorale, il y avait le patro, sous l’égide de l’abbé Jules Mottet et des filles Docq ; le club photo, avec Jean Heureux, Jean Dive, Charles Coune, qui avaient créé un studio et un labo tout en haut, dans les combles ; le catéchisme ; le tennis de table ; les pièces de théâtre de « la dramatique de Sclayn » ; une première maison des jeunes, bien avant le Hangar. Et même les messes. Pendant la réfection de l’église Saint-Maurice, de la fin des années 70 au début des années 80, les messes étaient célébrées dans l’ancienne chapelle. Certains se souviennent encore des crèches vivantes et de la chapelle bondée pour la messe de minuit.

La chapelle en 1940 (à gauche) et aujourd’hui.

Les lieux étaient vivants, animés, la semaine comme le week-end. La vie associative sclaynoise était multiple et se déroulait dans ces bâtiments, pour le plaisir de toutes les générations du village.

La fabrique d’église, dirigée désormais par Jean-Michel Dive, aimerait retrouver cette ambiance des années passées. « Nous aimerions pouvoir racheter les bâtiments. Mais la fabrique n’est pas riche. 1€ symbolique serait un beau geste de la part des propriétaires. » Le projet serait d’y faire un espace communautaire, pour les clubs ou associations et une salle pour recevoir après un mariage ou un enterrement.

Ce grand édifice retrouvera-t-il son activité d’antan ? Pour ce qui est de l’école, il n’y a aucune chance. Mais les associations du village pourraient s’y installer et faire revivre tout le quartier. C’est l’espoir de Jean-Michel Dive. Et de tout un village…

Un document réalisé par 

Textes, vidéo et photos : Jacques Duchateau, sauf archives.

Développeur : Cédric Dussart