Le circuit de Nivelles-Baulers, c’était le rêve un peu fou d’une bande de passionnés de sport moteur. Après avoir accueilli deux Grands Prix de Formule 1, le circuit brabançon a fermé définitivement ses grilles pour faire place à un zoning industriel.

« Gentlemen, start your engine » … Sur la ligne de départ de ce Grand Prix de Belgique de Formule 1 de 1974, on retrouve tous les grands noms de la discipline de ce début des années 70 : Emerson Fittipaldi, Niki Lauda, Jody Scheckter, Jacky Ickx, James Hunt, Jean-Pierre Beltoise, Henri Pescarolo, Patrick Depailler ou encore Carlos Reutemann. Il faut dire qu’en très peu de temps, Nivelles-Baulers s’est hissé au sommet du sport moteur international.

Le circuit est prisé par les pilotes et considéré comme le premier circuit moderne et sécurisé d’Europe. Bien loin des longs tracés « naturels » de Spa-Francorchamps et du Nurburgring, particulièrement dangereux. Nivelles est sûr, rapide, avec une grande courbe, une épingle, une longue ligne droite, le tout sur 3,724 km. Comme le précise le journaliste de l’ORTF Stéphane Collaro, il est aussi éprouvant pour les mécaniques.

1974 verra la victoire d’Emerson Fittipaldi, sur McLaren, devant la Ferrari de Niki Lauda. Le pilote brésilien remportera, cette année-là, la couronne de champion du monde.

Évocation dans ce reportage de l’ORTF.

Et pourtant, ce GP de F1 de 1974 sera le dernier couru sur le « revolver » brabançon. En 1975, la société qui gérait le circuit sera déclarée en faillite.

Le circuit de Nivelles en quelques chiffres

0 virages
0 m de long
0 spectateurs
lors du 1er GP de F1 en 1972
0 tour
le record du tour établi par Denny Hulme sur McLaren-Ford en 1974 : 1’ 11’’ 310

Retour sur la genèse d’un projet fou

Dans les années 60, un groupe de passionnés, le NAC (Nivelles Automobile Club), organisait déjà une épreuve de type rallye, les « 12 Heures de Nivelles », courue sur routes publiques. On est, à cette époque, en plein boom des sports moteurs. Chaque année voit s’alterner Spa et Zolder pour l’organisation du GP de F1. Le circuit de Spa, encore long de 14 km, est jugé trop dangereux et dénigré par les pilotes. Il faut proposer une alternative. Ce sera Nivelles.

Jean Vandendries, journaliste et historien local, revient sur cette épopée dans son livre « Les étoiles sportives nivelloises ». Il en ressort ces quelques anecdotes :

Jean Vandendries, auteur du livre « Les étoiles sportives nivelloises ».

Le Ucclois Yvan Dauriac rêve d’un nouveau circuit aux portes de Bruxelles. Il apprend que la CAP (Commission d’assistance publique) dispose de terrains à Nivelles. Il trouve des investisseurs, un entrepreneur, un architecte et se lance dans le projet de construction.

À l’époque, André Mouton et son épouse tiennent une station-service en ville. Ils proposeront leurs services au NAC pour s’impliquer dans le projet et deviendront les concierges du circuit, officiellement « surveillants des installations ». Ils habiteront un an dans une caravane résidentielle, à proximité de la tour de contrôle. C’est là qu’ils verront défiler, dans leur caravane, les grands noms de la F1.

Chaque soir, André Mouton avait pour mission de fermer le cadenas de la grille du tunnel creusé sous la piste. Il veille aussi à la sécurité sur le circuit tout au long de l’année. Les visiteurs indésirables sont nombreux, parfois accompagnés d’enfants. Il aura, à leur adresse, une formule pour le moins efficace : « Pour vous, j’ai un cercueil, mais je n’ai rien pour vos enfants. »

André Mouton évoqué dans le livre de Jean Vandendries

Marie-Paule Mouton replonge dans ses souvenirs d’enfance.

Début des années 70, le circuit s’étend au milieu des champs, dans la campagne nivelloise

La fille d’André Mouton, Marie-Paule, se souvient : « J’avais 11 ans lors du premier Grand Prix de F1 en 1972. Les pilotes venaient à la caravane chez les parents. J’ai eu l’occasion un jour de faire un tour de circuit, assise sur les genoux de Jacky Ickx, dans sa Formule 1. Je me souviens de Niki Lauda, que l’on côtoyait aussi. En tant que concierge, papa accueillait les personnes qui venaient au circuit, parce qu’il n’y avait pas encore de bureaux. »

Un tour de circuit sur les genoux et dans la F1 d’un pilote, difficile d’imaginer cela aujourd’hui avec Lewis, Max, Kimi ou Fernando …

Dans cette archive de la Sonuma, on retrouve le premier GP de F1 disputé à Nivelles en 1972. Victoire de Fittipaldi, abandon de Ickx… et quelques images qui permettent de bien distinguer le tracé du circuit nivellois.

La concurrence de Spa-Francorchamps

Le début des années 70, ce sont les belles années du circuit de Nivelles. On y compte de nombreuses courses, avec la F1 en point d’orgue. Mais très vite, les difficultés économiques prendront l’équipe au dépourvu.

Il faut dire aussi que cette nouvelle concurrence au circuit spadois ne plaît pas en province de Liège. Les hommes forts des divers partis politiques liégeois partiront en croisade pour défendre « leur » circuit.

Jean Vandendries : « Les organisateurs vont devoir faire face à des difficultés économiques qu’ils ne pourront surmonter. La société tombe en faillite en 1974. C’est Bernie Ecclestone qui devra d’ailleurs financer le GP de F1 cette année-là. »

Le circuit sera alors mis en vente, aux enchères. « L’État belge se porte candidat mais se fera doubler par un homme d’affaires, Laurence Gozlan, qui organisera sur place diverses courses, des entraînements pour la gendarmerie, des essais de prototypes par des constructeurs auto et même une course cycliste. »

Il y aura également, le 21 septembre 1980, l’organisation d’une épreuve du championnat du monde de karting, sur 3 manches. Le Brésilien Ayrton Senna se classera 13e de la première manche, après un accrochage avec un autre concurrent. Il remportera la 2e manche mais ne fera pas mieux que 3e lors de la dernière. À la suite de ces résultats moins bons qu’espérés, il manquera le titre de champion du monde, au profit du Hollandais Peter De Bruijn.

On retrouve ici un reportage de la RTBF (archives Sonuma) sur cette course disputée à Nivelles :

Le déclin, la fin

Les difficultés économiques, les riverains qui se plaignent du bruit, des autorisations de courses délivrées au compte-gouttes… Il est bien difficile de faire vivre le circuit de Nivelles tout au long de l’année.

En 1980, la Région wallonne classe le site en « zone d’extension d’équipements communautaires et de services publics ». Laurence Gozlan intentera plusieurs procès pour faire valoir ses droits. La saga durera jusqu’au milieu des années 90. Pendant ce temps, laissées à l’abandon, les infrastructures se dégradent inexorablement. Des courses illégales s’y déroulent, avec un accident grave en 1986. La voiture accidentée sera retrouvée dans un fossé… criblée de balles.

En 1994, la Ville de Nivelles demande à l’Intercommunale du Brabant wallon de se saisir du dossier et de lui trouver une issue favorable.

Au fil des ans, l’ancien circuit de Nivelles, haut lieu du sport moteur mondial, deviendra un zoning industriel, où les entreprises innovantes poussent comme des champignons.

En regardant cette zone sur une vue satellite, ou l’écran de votre GPS, on perçoit encore aisément la forme du circuit. Malheureusement, une fois sur place, il faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour resituer les lieux.

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On distingue aisément le tracé du circuit de Nivelles dans ces vues par satellite

Une autre archive de la Sonuma, des images assez étonnantes du comédien Claude Brasseur qui apprend, avec un instructeur, les trajectoires du circuit de Nivelles, sur une Lamborghini :

Vous pourrez vous aussi vous essayer au pilotage dans la grande courbe du « revolver » de Nivelles, mais désormais, le 50 km/h est de mise dans tout le zoning …

Un documentaire réalisé par
Texte et photos : Jacques DUCHATEAU, Musée communal de Nivelles
Vidéo : ORTF et SONUMA
Développeur : Cédric Dussart