C’est un vestige que l’on croirait surgi d’un passé lointain. Pourtant, le vélodrome de Charleroi, à Gilly, n’est pas si vieux. Il date du début des années 2000.

Il n’en est pas moins complètement à l’abandon.

 

C’était au départ un projet plutôt ambitieux. Alors que dans les années 20, on comptait une bonne vingtaine de vélodromes en Wallonie, au tournant du siècle, il n’en restait aucun. Imaginez donc, le championnat de Wallonie de cyclisme sur piste devait se tenir… à Gand.

Fin des années 90, la RLVB (Royale Ligue vélocipédique belge) décide de construire 5 vélodromes en Wallonie.

Mais ces 5 anneaux ont tous été frappés d’une malédiction.

Freddy Havelange est bien connu dans le milieu cycliste. Speaker sur les courses wallonnes et cheville ouvrière de la fédé, il a suivi de près les différents chantiers de ces vélodromes, en particulier celui de Gilly.

« Le but était de construire des pistes d’apprentissage pour les jeunes et une piste professionnelle. » La différence est de taille : les pistes d’apprentissage ont des longueurs variant de 250 à 400 mètres. Leurs virages sont inclinés à 20°.

La piste pro, celle de Gilly, fait 250 mètres de long. Ses virages sont inclinés à 40°. Elle est homologuée pour des courses professionnelles, l’établissement de records…

En 2004 et 2005, des compétitions pour jeunes sont encore organisées sur l’anneau carolo.

La malédiction des vélodromes

Quatre des pistes en projet ont été construites, dès le début des années 2000. La 5e, à Bernissart, n’a jamais vu le jour.

La première, celle de Ans, existe toujours. Inaugurée lors de la semaine ardennaise en avril 1999 (entre la Flèche wallonne et Liège-Bastogne-Liège), elle était encore en activité il y a 2 ans. Plus aucune compétition n’y a été organisée depuis. Et lentement, l’usure du temps fait son œuvre.

Il y eut ensuite la piste de Rochefort et celle de Rebecq. Elles aussi frappées par la malédiction des vélodromes.

Rebecq. Construite au début des années 2000. « C’était probablement la plus belle des quatre, nous explique Freddy Havelange. Le cadre était magnifique. » Malheureusement, en 2012, lors de travaux de terrassement d’une nouvelle piscine juste à côté (toujours pas terminée à ce jour), il y a eu un éboulement de terrain. Et la piste a été endommagée. Finalement abandonné, le site est désormais à vendre.

Rochefort. La plus longue des quatre pistes, avec un anneau de 400 mètres et des virages à 22°. Encore en activité mais elle a été touchée par les inondations de juillet 2021. Heureusement sans trop de dégâts.

Enfin, Gilly. La seule piste professionnelle. La seule pouvant porter le nom de vélodrome.

Gilly, son anneau, sa tribune

Construite en 2000, la piste de Gilly a rapidement accueilli le départ de la dernière étape du TRW (Tour de la région wallonne). Victoire d’étape pour Tom Boonen (sur le boulevard Tirou) et victoire finale du TRW pour Axel Merckx. Les grands noms étaient au rendez-vous et la piste promise à un bel avenir.

D’autant que la ville de Charleroi était alors en pleine gloire sportive (ping, foot en salle, basket, foot, sports études…). Le vélodrome était donc un outil essentiel pour un sport populaire.

Après l’Euro 2000 de football, il fallait démonter le 3e étage des tribunes du Stade du Pays de Charleroi, jugé trop haut par les riverains. Une de ces tribunes a été remontée le long du vélodrome. Elle peut accueillir 2 477 spectateurs. « Mais vu la configuration des lieux, tous les spectateurs n’ont pas une vue dégagée sur la ligne d’arrivée », déplore Freddy Havelange.

La gestion sportive du vélodrome de Gilly était confiée à Ferdinand Bracke, ancien champion wallon. De nombreux meetings ont été organisés, en particulier pour les jeunes coureurs (les « aspirants »).

Freddy Havelange revient sur une anecdote. « Vers 2006 ou 2007, il y avait une compétition sur le vélodrome de Gilly. Pendant une pause, une jeune fille de 13-14 ans est venue près des organisateurs et leur a demandé si elle pouvait tourner sur l’anneau. On lui trouve un vélo, elle se joint à un groupe de gamins et là, elle tourne avec eux sans problème, tout à fait dans le rythme du petit peloton. »

Il s’agissait de la Française Marion Rousse. Elle suivait le sports-études à la Garenne. Elle a ensuite réussi une belle carrière professionnelle, devenant championne de France sur route en 2012. Elle a épousé le coureur Tony Gallopin, dont elle a ensuite divorcé. Elle est désormais la compagne de Julian Alaphilippe. Elle a commenté le Tour de France sur France 2 et vient d’être nommée directrice du Tour de France féminin.

Et c’est donc à Gilly qu’elle a donné ses premiers coups de pédale.

Le déclin de Gilly

Malheureusement, au fil des années, les courses du vélodrome de Gilly ont attiré de moins en moins de participants. Vers 2010, des articles de L’Avenir précisaient déjà que les organisateurs déploraient le peu de coureurs présents.

Petit à petit, l’intérêt pour le vélodrome carolo s’est amenuisé. À tel point que, même si l’on s’y est encore entraîné jusqu’en 2015, les derniers championnats de Wallonie sur piste se sont de nouveau tenus à Gand. Avec une quinzaine de participants, toutes catégories confondues.

Il y a bien désormais le projet d’un nouveau vélodrome à Jambes (Namur). Porté par le ministre récemment démissionnaire Jean-Luc Crucke, il n’est pas certain qu’il sera mené à bien.

Un espoir au féminin ?

Sandrine Derwaux est cycliste professionnelle au sein de l’équipe wallonne Bingoal ladies. Pour les besoins de ce reportage, nous l’avons emmenée, avec son vélo, sur le vélodrome de Gilly.

La coureuse n’en revenait pas de voir un tel outil, si récent, dans un tel état d’abandon.

Elle lance un appel aux décideurs politiques carolos : remettre l’anneau en état et le proposer aux équipes féminines pour les entraînements.

« La Wallonie a besoin d’avoir ce genre d’infrastructure, surtout en ce moment où l’on essaie de développer le cyclisme et principalement le cyclisme féminin. Nous toutes, dans l’équipe, on serait vraiment preneuses pour pouvoir venir s’y entraîner. »

Sandrine fait passer le message « Faites une faveur aux sportifs ».

Ville de Charleroi : pas de projet en vue

Bruno Blanchard, du cabinet de l’échevin des Sports de la Ville de Charleroi, connaît bien le vélodrome de Gilly. Malheureusement, il ne voit pas vraiment de perspective favorable pour cette infrastructure : « Actuellement, nous ne pouvons que nous permettre de l’entretenir a minima. Il n’y a pas de projet d’abandon total, mais pas de projet de réhabilitation non plus. »

Le problème principal, c’est qu’il n’y a pas vraiment de demande, ni de public, pour justifier un investissement important. « Il n’y a pas de demande très importante sur la pratique du vélo sur vélodrome. La Ville de Charleroi est, pour cette législature, dans une logique de rénovation des grosses infrastructures et on se concentre sur celles qui en ont le plus besoin. Gilly n’est pas une priorité immédiate. »

Il faudra donc encore de la patience pour que le vœu de Sandrine se concrétise…

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Date de publication : le samedi 29 janvier 2022

Texte, photos et vidéo : Jacques DUCHATEAU sauf archives Pol Rectem et Geoffroy Bruyr.
Développeur : Cédric Dussart