C’était un rêve un peu fou. Celui de Guillaume d’Orange : il voulait relier la Meuse et la Moselle en créant une nouvelle voie navigable. Sur son parcours, un écueil : les « sommets » de l’Ardenne.

Nous sommes au premier quart du XIXe siècle. En cette époque lointaine, la Belgique est sous autorité hollandaise. Afin d’accroitre le commerce et le transport fluvial, mais aussi de désenclaver industriellement la province des forêts (l’Ardenne), Guillaume d’Orange, roi des Pays-Bas, lance de grands travaux : la réalisation d’un canal qui reliera la Meuse à la Moselle. Ambitieux. Pharaonique. Les travaux ne seront jamais terminés. Il en reste quelques vestiges, dont le surprenant tunnel à bateaux de Bernistap, près d’Houffalize.

On retrouve sur place Quentin Nachtergaele, agent forestier du DNF, qui nous raconte l’histoire de ce tunnel, avec passion.

Le projet

« Nous sommes ici dans le hameau de Bernistap. Cette très belle ferme servait de base aux ouvriers qui ont creusé le canal et le tunnel ».

Au milieu des années 1820, Guillaume d’Orange prévoit un canal de 300 à 400 km de long, jalonné de 205 écluses, entre Liège et Wasserbillig. Sur le parcours, le « sommet » de Bernistap : 487 mètres d’altitude. Les ingénieurs imaginent alors un tunnel à bateaux, long de 2528 mètres, en ligne droite.

Le tunnel de Bernistap en quelques chiffres

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date de début des travaux
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la longueur prévue du tunnel
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progession quotidienne des ouvriers
0
écluses étaient prévues sur les 300 à 400 km du canal
0 tonnes
charge totale des bateaux qui auraient dû l’emprunter

Le chantier gigantesque est en grande partie financé par Guillaume d’Orange en personne.

« On est ici à la clé de voûte du projet. C’est l’endroit le plus compliqué. Il faut creuser un tunnel sous la ligne de partage des eaux. Un projet assez fou. »

Le but est de faire passer des petits bateaux : des Bètchètes à fond plat, de 2,5 m de large, pour 10 à 15 mètres de long. À l’époque, c’est comme ça que se fait le transport de marchandises.

De la ferme de Bernistap jusqu’à l’entrée du tunnel, un canal d’1 km de long court à travers les champs et pâtures.

Il faut se remettre dans le contexte technique de l’époque. Tout est creusé à la pioche et à la pelle. Les terres de déblais sont directement déposées à côté du canal. Ce sont surtout des femmes qui se chargent de les déplacer dans des hottes. Ces déblais modifient le paysage, créant buttes et vallons. « Si on prend le sentier de promenade qui fait tout le long, on marche sur les déblais qui ont été bougés là il y a 200 ans ».

Le tunnel

Au bout de la balade, apparait enfin le tunnel. Les castors ont, eux aussi, modifié le paysage. Quelques beaux chênes sont couchés, le plan d’eau à l’entrée du tunnel est bien plus grand. Et le niveau d’eau a monté.

Équipé d’un petit canoé gonflable, Quentin nous emmène au bord du plan d’eau.

L’entrée du tunnel est minuscule. On peine à imaginer des bateaux entrer dans cet étroit boyau. « Normalement, entre le fond et la clé de voute, il y a 5 mètres. » Il était prévu que les bateliers tirent avec une longue gaffe sur des crochets disposés à intervalles régulières dans la paroi du tunnel. Ces crochets sont désormais sous le niveau de l’eau.

À la lueur d’une torche

Notre petit bateau s’enfonce lentement vers la bouche béante. Après quelques mètres de navigation hasardeuse, on se retrouve plongés dans le noir absolu. Une lampe de tempête, une torche et nous découvrons les lieux.

Étonnamment, la voûte est en parfait état. Les briques sont propres, lisses, aucune n’est cassée ou manquante. Nous progressons sur l’eau. Au premier coup d’œil, nous constatons que nous ne pourrons pas faire demi-tour. Le bateau est plus long que la largeur du tunnel. Il faudra sortir en arrière.

Au bout de plusieurs années de labeur, les courageux ouvriers ont creusé environ 1250 mètres de tunnel, dont 700 sont maçonnés. Une partie de la voûte s’est effondrée au bout de 400 mètres. Nous n’irons donc pas aussi loin.

La fin des travaux

Le canal et le tunnel n’ont jamais été achevés. Et pour cause. En 1830, la Belgique proclame son indépendance. Les Hollandais sont chassés du pays, avec leurs projets et leurs budgets. Le roi Léopold misera plutôt sur le chemin de fer, présenté comme moyen de transport du futur. Le canal Meuse-Moselle sera définitivement abandonné.

Il ne reste donc que ces quelques centaines de mètres de tunnel et un canal longé par un joli sentier de balade.

Bernistap n’est pas le seul tunnel à bateaux du pays. Il y en a un autre, plus large, avec un chemin de halage sous la voûte, qui permettait aux chevaux de tirer les embarcations. Il se trouve près de Seneffe. C’est le tunnel de Godarville. Il est occupé par une importante colonie de chauve-souris qu’il est préférable de ne pas déranger.

La ferme de Bernistap et, sur la droite, la colline sous laquelle passe le tunnel.

Un documentaire réalisé par
Texte et vidéo : Jacques DUCHATEAU
Photos : Jacques DUCHATEAU, sauf plan de coupe
Développeur : Cédric Dussart