Waulsort :
la résurrection
miraculeuse
du manoir
des Cascatelles

Il est connu bien au-delà de nos frontières sous le nom de « Manoir aux statues ». Une rapide recherche sur internet nous révèle des dizaines de pages d’urbex, l’exploration de lieux abandonnés, consacrées à ce manoir. Au fil des années et des divers reportages réalisés par les fans de cette activité, son état de délabrement s’est avancé inéluctablement vers une fin qui lui paraissait promise.

Certains le disaient même hanté, appuyant leurs délires par des vidéos de leurs visites où ils avaient été effrayés par des bruits. Probablement ceux d’autres urbexeurs, à n’en pas douter.

Dans cette vidéo datant de 2017, on se rend compte à quel point le manoir est endommagé, à la genèse d’une disparition certaine.

L’histoire débute dans les années 1820

C’est Joseph de Saint-Hubert, bourgmestre de l’époque, au début des années 1820, qui construisit un moulin le long de le Ranle, petit ruisseau qui se jette dans la Meuse en contrebas de la construction. D’abord moulin à farine, il fut transformé en moulin à huile de colza, utilisée pour l’éclairage. C’est le fils du bourgmestre, Édouard, qui était le meunier.

Un incendie a ravagé cette meunerie. Le panneau didactique qui se dresse le long du chemin y menant aujourd’hui, nous indique : « En 1876, le grand écrivain flamand Henri Conscience, passant ses vacances à Waulsort avec son petit-fils, mentionne dans ses écrits qu’ils allaient tous deux escalader les rochers et les Cascatelles au Moulin brûlé. »

 Fin du XIXe siècle, un petit manoir de style anglo-normand a été construit sur les vestiges du moulin disparu. On lui trouva le nom de Maison Bernard, puis Ermitage Bernard, du nom de celui qui l’habitait alors.

L’eau

De source, justement, il en est question.

Le manoir de l’Ermitage n’a jamais été raccordé à l’eau de distribution. Il n’y a pas de source à proximité, juste un puit de Meuse mais qui n’est pas utilisable. La seule source d’eau, c’est le ruisseau qui coule près du bâtiment, le Ranle. « Il faut trouver un système pour récupérer l’eau du Ranle, explique Thierry, avec un premier bassin de 2000 litres, équipé d’un filtre. L’eau est très dense, avec beaucoup de sédiments. On travaille par sédimentation. »

Ensuite, l’eau part dans une citerne de 10.000 litres. Elle y est de nouveau traitée par sédimentation, à nouveau filtrée, pour faire de l’eau non potable mais propre. « Ensuite, il y aura, par gîte, un robinet avec de l’eau potabilisée. C’est la même eau qui sera filtrée avec un filtre au charbon, puis un filtre à osmose, puis un filtre à UV. Elle sera alors potable. » Mais il faudra la consommer avec parcimonie.

Thierry a décidé de ne pas utiliser l’eau de pluie parce qu’elle n’est pas présente en quantité suffisante pour alimenter une habitation et 5 gîtes. « On aurait pu faire un puit, mais il faut demander l’autorisation à Natura2000, à Monument & sites, aux Voies navigables, … Trop compliqué et trop coûteux. »

Le chauffage

Pour le chauffage, il y aura des radiateurs dans le bâtiment principal et dans les gîtes. Avec une chaudière à pellets. Le défi est d’éviter que les bâtiments ne reprennent de l’humidité.

« On gardera toujours une température minimale de 15°, même quand il n’y aura pas d’occupants. On a fait le choix d’une chaudière aux pellets, de 56 KW, avec un réservoir de 6 m³ que l’on remplira une fois par an avec un camion-citerne. Ce qui nous donnera une autonomie d’un an. Ce sont des pellets fabriqués à Mariembourg. On avait envisagé une chaudière à copeaux mais il faut une aire de stockage beaucoup trop grande. »

En attendant, pendant les travaux, le manoir sèche au gré des courants d’air et Thierry et sa famille se chauffent et cuisinent avec un vieux poêle à bois.

L’isolation

Pour économiser au mieux l’énergie, il faut isoler le bâtiment au maximum.

Thierry Donnay : « On a isolé le bâtiment à l’envers, de l’intérieur. Pour une nouvelle construction, on isole à l’extérieur. Ici, ce n’était pas possible. Par-contre, le bâtiment a une forte inertie, il garde la chaleur. On a donc choisi comme isolant des blocs de chanvre, fabriqués à Fernelmont. Ces blocs sont respirants, l’humidité part à l’extérieur lorsque l’on chauffe et on garde les calories. »

Ce manoir et ses dépendances ont été mangés par la mérule, durant leurs longues années d’abandon. Il fallait donc éviter d’y laisser le bois présent et infesté. « On a enlevé tout le bois et les murs sont chaulés. La chaux a l’avantage d’être insecticide. Les insectes et les champignons ne peuvent s’y développer. »

Dans la partie du bas, en moellons de calcaire, il a fallu imaginer un autre système d’isolation et de ventilation. C’est une zone plus humide. Il faudra sans doute installer une ventilation double flux ou une ventilation forcée. Le projet est encore à l’étude.

« Pour le toit, on a mis de la laine de verre, recyclée et recyclable. C’est un choix logique au vu des problèmes d’humidité du bâtiment. »

Quant au plafonnage, il n’est pas réalisé avec des matériaux traditionnels, « parce que c’est à base de colle et ça imperméabilise les murs. On a utilisé du plâtre de Paris. Outre l’argile, dont je n’aime pas le rendu, c’est le seul plâtre respirant. »

L’électricité

Le site n’est pas raccordé au réseau électrique. Et au pied des rochers, sur un versant exposé au nord, impossible de profiter d’une production suffisante des panneaux photovoltaïques.

« On a prévu un système avec un générateur au gaz (propane). Actuellement, c’est 15.000 watts, très puissant, parce que l’on en a besoin pour le chantier. À long terme, on ne l’utilisera plus en direct. On chargera des batteries domestiques et le générateur ne se mettra en route que lorsque les batteries ne seront plus qu’à 30% de charge. On pourra aussi les charger avec des panneaux photovoltaïques posés plus loin, mais uniquement d’avril à octobre, vu le manque d’ensoleillement le reste de l’année. »

Conscient que la solution du propane n’est pas très écologique, Thierry a opté pour un moindre mal, en composant avec ce que la situation géographique des lieux lui permettait.

« Il faut pour cela une consommation électrique limitée, modeste. Les locataires des gîtes vont vivre une expérience peu électrifiée : pas de frigo, pas de lave-vaisselle, une seule prise de courant, pas d’internet et une cuisinière au bois. Il faudra apprendre à vivre autrement, pas de manière instantanée. »

Mais comment vivre une semaine, voire plus, sans frigo ?

« On envisage de faire un frigo naturel, dans les caves. On réfléchit à des solutions de frigo naturel, en déviant l’eau du Ranle pour refroidir des bacs de stockage. Ou un frigo enterré, une citerne de 20.000 litres sous le sol. On n’a pas encore trouvé de solution mais ce dont on est certain, c’est qu’il n’y aura pas de frigo électrique. »

Les eaux usées

Pour le traitement des eaux usées, la solution s’est imposée comme une évidence : le lagunage.

« Les eaux usées sont traitées par lagunage. On est en zone naturelle, il n’y a pas d’accès à l’égouttage. On avait le choix entre la microstation d’épuration ou le lagunage. »

La microstation, ce sont deux citernes, un mélangeur et un broyeur, donc ça consomme beaucoup d’électricité. Une solution qui n’était pas envisageable pour Thierry et Ève.

« On a opté pour le lagunage. Les eaux usées, non polluées (pas de produits chimiques, Dettol, eau de javel…) arrivent dans deux fosses septiques, une de décantation et une de fermentation. Ensuite, elles partent dans le lagunage avec deux tuyaux de dispersion micro perforés et une barrière naturelle qui empêche les racines des roseaux et des lys de venir dans les fosses. L’eau chargée va dans le lagunage, elle y sera nettoyée par les bactéries. On rejette finalement assez peu d’eau claire puisque les plantes vont la consommer. »

Rénover un bâtiment ancien est déjà une fameuse aventure. Quand il n’est raccordé à rien de ce qui fait le confort de la vie moderne, cela devient un fameux défi. Thierry, Ève et Émile se donnent les moyens de leurs ambitions pour redonner son éclat à un des bâtiments historiques les plus emblématiques de la commune d’Hastière. Le travail sera encore long mais les nombreux efforts seront récompensés pour ces heureux propriétaires.

On voit bien trop souvent disparaître des témoins du passé, ces lieux abandonnés à jamais perdus. On ne peut dès lors que se réjouir que, parfois, de doux rêveurs concrétisent leur projet de restauration et participent ainsi à la sauvegarde d’un patrimoine commun.