À Jumet, le théâtre Varia fut un des hauts lieux culturels de la région, avec le Coliseum de Charleroi et la Ruche Verrière à Lodelinsart. Après sa fermeture, au milieu des années 80, le bâtiment Art Nouveau s’est inexorablement dégradé. Si les projets sont nombreux pour le faire revivre, aucun n’a encore pu être mené à bien.

 

Il semble emballé, dans sa grande bâche blanche, un peu comme une œuvre de Christo. Mais c’est surtout pour préserver les piétons d’éventuelles chutes de pierres que le Varia s’est pudiquement voilé.

L’œuvre de l’architecte Eugène Claes n’est plus que l’ombre d’elle-même. Une coquille presque vide.

Naissance et prospérité

Dans un quartier aux maisons modestes, le Varia étonne par sa stature. Il en impose.

Fin du XIXe siècle, début du XXe, l’industrie verrière est florissante. Jumet, qui n’est encore qu’une bourgade des environs de Charleroi, est prospère. La bourgeoisie est aisée.

C’est l’époque des cinémas-théâtres, des salles polyvalentes, qui permettent la projection de films, mais aussi la tenue de spectacles de théâtre, de music-hall, d’opérettes.

Claire Barbier est historienne de l’art et responsable de projet à l’Agence wallonne du Patrimoine (AWAP). Elle nous parle du Varia avec passion.

« L’architecte Eugène Claes était un précurseur. Lors de la construction du théâtre, commandée par M. Coppin en 1913, il avait d’abord opté pour une structure en acier. Puis, en cours de projet, il a décidé d’utiliser du béton armé, qui était un matériau innovant à l’époque. Et qui permettait beaucoup de liberté et de créativité. La salle a ouvert ses portes en 1914. »
Le béton armé était surtout un matériau particulièrement résistant au feu. En ce début de siècle, les pellicules de film, en nitrate de cellulose, étaient hautement inflammables, elles s’embrasaient spontanément à 120 °C. Le risque d’incendie était élevé, d’où le choix de ce matériau.
La façade Art Nouveau et la toiture sont classées, depuis 1992. À l’intérieur, les décors en plâtre en rappellent le style. Têtes en staff, moulures végétales et cadre de scène témoignent du prestigieux passé du Varia. Malheureusement, beaucoup sont dégradés.

De grands noms pour un nombreux public

Lorsque l’on découvre la salle, on est frappé par l’ambiance du lieu. On imagine aisément les spectateurs, l’artiste sur scène, la musique qui s’élève de la fosse.

Deux grands balcons, des loges, un parterre. Le tout pouvait accueillir jusqu’à 1 500 personnes.

Pendant des décennies, le Varia a multiplié les soirées, invitant de nombreux artistes à venir se produire sur sa grande scène : Jacques Brel, Bourvil, le grand Caruso… Dans leurs tournées de galas, ils cochaient le Varia, à Jumet, comme un incontournable.

La projection de films permettait aussi de toucher un public varié, populaire. En 1964, on y projetait La rancune, avec Ingrid Bergman et Anthony Quinn. Mais aussi Le prix de la vengeance ou Défi à Gibraltar, avec Lilli Palmer. Gregory Peck et Tony Curtis, dans Le combat du capitaine newman, s’étalaient en grand sur l’écran. C’était l’époque des ouvreuses à l’entracte et des soirées qui se prolongeaient bien tard, en prenant un verre à la cafétéria du cinéma.

Le déclin

Au milieu des années 80, confronté à la concurrence des nouveaux complexes cinématographiques multisalles, le Varia ferme ses portes. Il est ensuite reconverti en discothèque, pendant quelques années. Mais le bâtiment se détériore inexorablement.

En 2000, l’Institut du patrimoine wallon (IPW), ancêtre de l’AWAP, devient propriétaire du lieu. Le but : le restaurer et lui redonner une fonction culturelle.

Les projets se multiplient : pôle culturel, bibliothèque, halles marchandes. Certains sont proches d’aboutir. En 2005, Sandra Caltagirone écrit dans Les nouvelles du patrimoine : « Le bâtiment a été nettoyé en 2004 et, avant 2007, la façade sera restaurée à l’identique. (…) L’IPW espère inaugurer le bâtiment en 2010. (…) La salle devrait enfin reprendre le rôle qui lui était dévolu : celui de divertir et de rassembler. »

Malheureusement, rien de tout cela n’a été fait. Et le Varia sombre lentement vers la ruine. Des bâches ont été posées sur la façade pour prévenir toute chute de matériau. De nombreux visiteurs indésirables ont endommagé les décors intérieurs. L’ancien projecteur de cinéma a été volé.

Claire Barbier ne désespère pas le voir revivre. « Le bâtiment a l’air dégradé, mais sa structure est encore tout à fait correcte. Dans le cas d’un projet de réaffectation, ça demanderait un certain budget. Ce qui représenterait le plus de travail, c’est la façade classée. Elle est fortement abimée, malheureusement. »

La Ville de Charleroi est également demandeuse d’une réhabilitation, mais on parle d’un budget d’environ 7 millions d’euros.

« On essaie de le sauver depuis de nombreuses années, mais ça demande de gros investissements. On ne désespère pas de pouvoir en faire quelque chose, de préférence un pôle culturel. Mais on n’est pas opposé à tout autre projet qui permettrait de sauver l’immeuble. Le fait que seule la façade soit classée permet plus de possibilités de réhabilitation de l’intérieur. Ça peut paraitre dommage, mais on préfère accepter même un projet immobilier pourvu que l’on sauve le bâtiment. »

 Une réhabilitation qui ferait sans doute aussi très plaisir aux habitants du quartier, qui sont fort attachés à leur vieux cinéma. Même si certains y balancent leurs poubelles…

Un document réalisé par
Texte, photos et vidéo : Jacques DUCHATEAU (sauf affiches et carte postale ancienne)
Développeur : Cédric Dussart