En ce temps-là, à Amay, on dansait partout

Bistros, dancing, cafés, bal lors de la fête au village, tout était une piste de danse pour les ouvriers amaytois il y a 50 ans.

C’est l’heure de la tarte chez François Mélon. Renée Rocour, Jacqueline Minette, Lucien de Waleffe, Joseph Henrard et François Bonnechère se sont donné rendez-vous pour évoquer leur jeunesse au cœur d’Amay il y a 50 ans. « Je me souviens, quand j’étais enfant et que je redescendais de chez mes grands-parents le dimanche soir, je me précipitais toujours aux fenêtres du café à côté des Variétés près de la Place des Cloîtres. Je regardais danser les gens derrière la buée», sourit Renée Rocour.

Amay, à l’époque, n’était qu’une concentration de cafés et de dancings. «Il y avait la Guimbarde, chez Bechols, la vieille ferme, au Rid…» énumèrent-ils les uns après les autres. «Et s’il n’y avait pas de piste de danse, on dansait sur les tables! », affirme Renée. Les slows sur «Tombe la neige» d’Adamo, elle s’en souvient toujours. «On valsait avec nos papas, on dansait des boogies et lds twists».

Quant aux cafés, tous avaient leur clientèle. «On savait où étaient les plus belles filles des patrons», avoue d’un sourire coquin François Mélon. Mais il n’y a pas que les hommes qui y trouvaient leur compte. « Les filles allaient au Chez Nous. C’était le café tout près de la caserne militaire », continue-t-il. Et Dieu sait combien l’uniforme plaît aux femmes… «Beaucoup sont allés chercher leur mari là-bas! »

Amay, c’était aussi le Casino qui est devenu le Foyer Saint-Georges, et le Ruby, des salles où bon nombre d’activités étaient organisées. « Le Casino, c’était une grande salle de théâtre avec une mezzanine et des balcons. C’était superbe, continuent d’évoquer les joyeux compagnons. On y accueillait troupe de théâtre et orchestre. Il y avait aussi un cinéma, tout comme au Ruby et aux Variétés. Je me souviens de la venue d’un hypnotiseur. L’homme les faisait jouer d’un instrument sous hypnose. Au début, on n’y croyait pas. Quand il les réveillait, les gens n’avaient pas une once de souvenirs de ce qui s’était passé! », raconte François Mélon.

Plus tard, la paroisse a racheté le bâtiment qui est devenu le Foyer Saint-Georges. C’est après une répétition de théâtre qu’un incendie a ravagé les lieux en 1960. Il a ensuite été restauré sous forme d’un bistro où l’on pouvait danser et boire un verre.

La fête pour les briquetiers

À l’époque, il y avait deux fêtes du village à Amay, une en mai et une en octobre. « C’était avant le départ et après le retour des briquetiers. Il faut savoir qu’Amay était reconnu pour ses compétences en matière d’argile et de briques. À l’époque, beaucoup de familles partaient travailler pour faire valoir leur compétence à l’étranger», raconte encore François Mélon. «Je me souviens de la fête d’octobre. Nous avions toujours congé le jeudi après-midi à l’école pour aller à la fête. Il y avait une énorme bataille de confettis !», se rappelle Renée. La guinguette, les scooters, ça marchait du tonnerre. «Puis la chenille, aussi, il y avait un volet qui fermait, c’était l’occasion d’embrasser les filles…», reprend François.

Le soir dans la rue

La proximité des Amaytois à l’époque était tel que chacun rentrait chez l’autre sans sonner. «Le soir, les femmes étaient alignées le long de leur maison et causaient ensemble», se souviennent-ils, quelque peu nostalgiques.

Bien avant les réseaux sociaux, Amay sortait de chez elle pour discuter avec ses amis.

Légende photo : À l’époque, il n’était pas rare que les épouses se retrouvent sur le trottoir pour papoter «al vesprée».

Faire son beurre grâce aux pigeons

Les Amaytois n’étaient pas seulement des danseurs, c’était aussi des «Colebeus». Et certains y jouaient gros.

«Je me souviens d’avoir vu un gagnant embrasser son pigeon et dire à haute voix «‘’celui-ci m’a fait gagner une maison’’», raconte Renée, encore stupéfaite. Car la société colombophile d’Amay, après la guerre, c’était quelque chose. Dès le printemps, des centaines de pigeons étaient enlogés à la société colombophile. Ils étaient lâchés de France ou d’ailleurs et celui qui revenait le plus vite faisait gagner à son propriétaire des sommes faramineuses. «C’était presque tabou à l’époque», avoue François, qui se souvient bien des pigeons de son grand-père. «c’était parfois plus de 100 000 francs belges!Et certains pigeonniers étaient plus grands que des maisons», continue-t-il. Les pigeons, c’était une vraie mode. « À tel point que les femmes ne pouvaient pas faire sécher leur linge au moment de leur retour », reprend Renée.

La mode des coqs chanteurs

Tous les dimanches, il y avait aussi la chanterie de coqs, un vrai hobby qui mobilisait beaucoup de monde à Amay. Les coqs devaient chanter un certain nombre de fois dans un temps imparti et il fallait parier sur le nombre exact de cocoricos poussés par l’animal. « C’était un vrai spectacle, sourient-ils tous. Même si certains trichaient, ils dressaient leur coq à chanter sous leur commandement, alors il se mettait derrière la palissade et leur faisait des signes de main pour les faire taire quand ils avaient chanté assez». Les gens venaient de loin avant de trinquer à la gloire de leurs animaux plumés.

Légende de la photo : la société de colombophilie s’est tenue pendant longtemps à la place de la maison de la poésie

Foyer ou Ruby, il faut choisir

À l’époque, le clivage entre les socialistes et les catholiques était très fort. Pour sortir, c’était soit le cercle paroissial, soit la maison du peuple.

Situés l’un en face de l’autre, le Foyer – anciennement Casino, devenu le cercle paroissial, et le Ruby, devenu la maison du peuple et le local des socialistes – étaient en perpétuelle compétition. « Il n’y avait que les bons buveurs et les tolérants qui allaient chez les deux», rit François Mélon. Tous les jeunes de l’époque participaient à un mouvement de jeunesses. C’était le patro pour les catholiques, les faucons rouges pour les socialistes.

Après les surprises party organisées en privé, la bande de jeunes de François a décidé d’organiser des soirées dansantes «à plantchi qui hosse», à l’étage du cercle paroissial devenu plus tard l’Espace Sainte-Ode. «On a tout détapissé et restauré un peu puis on a commencé par organiser des débats mixtes. Puis des soirées rencontres pour danser. Je me souviens qu’à l’époque, le curé l’avait tellement mal pris qu’il avait fait un commentaire lors d’une messe en parlant d’excommunication des responsables qui étaient passés outre les règles. On organisait là-bas une soirée par mois. Nous étions sur des poutres en bois qui tremblaient quand nous dansions. Cela faisait très peur aux parents. »

Car évidemment, les parents surveillaient leurs jeunes à l’époque. «J’avais 20 ans. À l’époque, j’organisais ces soirées avec Jacqueline Minette, celle qui allait devenir mon épouse. On ne s’en est pas rendu compte tout de suite. C’est seulement plus tard, lorsque le père de Jacqueline m’a proposé de la raccompagner car il me «faisait confiance» que j’ai pu en profiter… Nous nous sommes mariés mois années plus tard», sourit-il.