A Borlez, la vie de commune tournait autour de chez Mama Piron

Le centre du village de Borlez, ce n’était pas l’église, non non, c’était le café d’Irma Piron, l’As de cœur, autour duquel tout tournait.

Le café non loin de la place du village, depuis 1912, c’était celui de la famille Borlez. Après la guerre, ils étaient cinq cafés sur la place. Mais dès 1957, il ne restait plus que le «Bienvenu», le café du grand-père d’Irma. «Puis au décès de mon grand-père, ils m’ont dit que c’était à moi de le reprendre », sourit l’ancienne tenancière, désormais âgée de 82 ans. Elle avait 23 ans. Son petit café ne faisait à l’époque de 10 m2 et il est devenu «l’As de cœur».

Son métier n’était pas facile, surtout pour une femme, Irma doit bien l’avouer. À l’époque, la vente d’alcool n’était pas autorisée. «Mais tout le monde le faisait. Je mettais le genièvre dans un thermos de café et les accisiens ne remarquaient rien, même lorsqu’ils venaient à l’improviste», rit-elle. À l’époque de son grand-père, on vidait la goutte partout. Après 1957, c’était chez elle qu’on venait. Sa force, c’était le côté familial de son établissement, la grande salle qu’elle avait à l’arrière, le fait qu’elle n’aime pas l’alcool, elle, puis qu’elle ne savait pas dire non et était donc ouverte tous les jours.

« J’ai toujours été respectée, tient-elle à dire, les larmes aux yeux. Il fallait beaucoup de patience, beaucoup de courage. On venait parfois frapper à la porte à 8 h du matin, pour venir chercher des cigarettes. Le dimanche, j’étais à 9 h derrière le comptoir pour être là pour l’apéro après la messe, et ce, même si on avait fermé tard le samedi soir. Tout tournait autour de mon café, tous étaient mes amis. C’est d’ailleurs parmi ses clients qu’Irma a rencontré son époux, Gaston Goffin. Il faisait partie d’un groupe d’une vingtaine de jeunes qui venaient jouer au kicker et aux cartes chez elle.

Un verre quand chantent les coqs

Tous les samedis après-midi, la chanterie de coqs lui amenait bon nombre de clients de Borlez ou d’ailleurs. Et pendant que ceux-ci chantaient, les propriétaires en profitaient pour venir dire bonjour à Irma. Tous les comités sont ensuite venus profiter de son accueil chaleureux. C’est pourquoi il a fallu agrandir son café. Le comptoir faisait désormais 12 m de long. Dans la salle qui jouxtait le café, ping-pong, bal du bourgmestre, chorale, pièce de théâtre, bal de fête de village, c’était bien simple, c’était chez Mama que ça se passait. «À Borlez, on pouvait faire ce qu’on voulait, il y avait toujours du monde à l’époque. » À la fin de la journée, quelques amis se mettaient toujours à chanter. «Je me souviens d’un soir, des amis chantaient et ils ont demandé en riant à un des leurs, un peu saoul, de battre le rythme sur le comptoir. Il s’est tellement pris au jeu qu’il a tapé avec son pied et a démoli le comptoir», raconte-t-elle en riant. Mama veillait sur ses jeunes, puis parfois, leur mettait une raclée aux cartes. « Je ne jouais pas souvent, mais quand je jouais, je gagnais, j’avais beaucoup de chance!» C’est d’ailleurs de cette passion des cartes de l’époque qu’est venu le nom du café d’Irma…

Bien avant de descendre dans le carré, Borlez ne jurait que par l’As de cœur du village.

Les jeunes étaient tous là pour Irma

Le QG des jeunes, qu’ils jouent au ping-pong ou au foot, c’était chez Irma. Plus que des clients, ils sont devenus de vrais amis pour la tenancière.

Entre les jeunes qui venaient s’entraîner au ping-pong dans son café ou les jeunes footballeurs du club de l’époque qui venaient se changer et profiter de la 3e mi-temps à son comptoir, il y avait toujours du monde à l’As de cœur. Et des souvenirs avec eux, Mama en a beaucoup. « Je me souviens d’un match que le club de Faimes devait gagner contre Merdop pour être champion. C’était en mai 1979. Ils ont malheureusement perdu et le lendemain, j’ai reçu un avis de décès humoristique écrit à la main des joueurs. Ils invitaient à venir rendre hommage à «mon époux», le club en question, et à célébrer la messe dans mon café, rit-elle. J’ai encore le papier dans mes armoires!»

Ces jeunes sont également venus aider Irma à repeindre lors de l’agrandissement de son café, lui racontaient leurs bêtises du week-end le lundi matin ou la taquinaient « Un soir, il était très tard, j’étais en train de m’endormir sur mon tabouret, les jeunes m’ont mis une cigarette au bec. Ils avaient également changé la photo portrait de Rik Van Looy, un cycliste dont j’étais fan, par celle d’Eddy Merckx. Ils avaient également trempé les pattes du chat dans la peinture, j’avais des marques partout dans ma cuisine! On s’amusait bien…»

Légende de la photo : Les joueurs de l’Étoile de Faimes avaient demandé à Irma d’être la marraine du club. Depuis, elle n’a jamais manqué un match!

Comme un vide sur la place

Nous sommes en 1980, Irma décide, à contrecœur, de remettre son commerce pour des raisons de santé. Depuis lors, Borlez a quelque peu perdu son dynamisme d’antan.

« La plupart des comités ont pris fin. Les réunions se faisaient chez l’un ou chez l’autre, mais ça n’était plus pareil.» Quant au café, il a été repris à quelques reprises mais n’a jamais fonctionné. Le bâtiment a désormais été racheté par le CPAS et sera incessamment transformé en appartements et en magasin de seconde main.

Quoi qu’il en soit, Irma ne regrette rien. « Je suis heureuse d’avoir fait ce métier dans les bonnes années», sourit-elle.