Philippe Ledent, vous êtes économiste, président de l’UCM Luxembourg et natif de Neuvillers, entre Libramont et l’E411 : quels souvenirs vous reviennent pour cet anniversaire ?

Les enfants que nous étions allaient voir les énormes engins qui nivelaient sur le chantier. Je me souviens de cette journée du 5 décembre 1988 où il fut désormais possible de relier Bruxelles à Luxembourg par l’E411, quand les deux chaînons manquants de l’autoroute, soit Habay-Léglise et Wellin-Ciergnon ont été inaugurés.

C’était un événement de dimension européenne puisque ces travaux assuraient la liaison entre deux capitales européennes. Cela a permis de connecter le Luxembourg et la Belgique puisque nos voisins avaient programmé de leur côté une liaison autoroutière jusqu’à la frontière belge.

Une dynamique économique a été enclenchée dès les années 60 dans la province de Luxembourg. Elle a connu un développement économique important entamé dans les années 60 et poursuivi avec l’implantation de grandes industries, souvent multinationales (L’Oréal, Ferrero, Burgo Ardennes, Spanolux, IBV…). Il a été amplifié par le développement d’entreprises régionales à forte expansion dans le cadre de réseaux économiques structurés. Et ce, grâce à des personnalités marquantes comme l’ancien gouverneur Jacques Planchard, les anciens ministres Louis Olivier, Joseph Michel ou encore Charles-Ferdinand Nothomb. Il faut souligner également le rôle précurseur d’Idélux qui s’est créée à cette époque.

Pour vous, quels sont les apports de cette autoroute ?

Les infrastructures de transport sont structurantes pour un territoire. Il faut remplacer le développement des réseaux de transport routier notamment dans une perspective dynamique. Le transport apparaît au XIXe  siècle comme un outil miracle pour développer l’activité économique.

Les autoroutes E25, E411, la N4 et les lignes de chemin de fer Bruxelles-Luxembourg, Athus-Meuse, Liège-Luxembourg jouent un rôle de plus en plus important pour assumer les flux d’échanges Nord-Sud européens. Le développement économique du grand-duché de Luxembourg et le développement de l’E 411 ont sans doute facilité le développement de l’emploi frontalier.

Sous l’influence combinée du développement du Luxembourg, d’infrastructures de transport comme l’E 411 et de surfaces pour le logement, la population de notre province a augmenté de 20 % en 30 ans, soit près de 20 000 habitants en plus !

Pour la province de Luxembourg, on peut dire que l’E 411 constitue donc une opportunité. On connaît l’importance des réseaux routiers, ferroviaires pour non seulement désenclaver le territoire, mais aussi faciliter les liaisons.

Une des premières influences pour notre province et singulièrement dans le Centre-Ardenne découle directement du rôle de liaison permis par l’E 411 : Libramont notamment a accru son rayonnement amplifié. L’arrivée de l’E 411 a sans doute achevé une polarisation de l’espace provincial. D’autres pôles plus éloignés et qui ont donc moins ou peu profité de ces investissements routiers n’ont plus progressé tant en termes de population qu’en matière de richesse créée. Je pense notamment à Bouillon et Virton.

Les inconvénients existent également : bruit, pollution, rupture de l’espace rural et des campagnes ainsi que la dégradation des paysages.

Le numérique, le déclin des autoroutes

Philippe Ledent constate que l’attractivité du territoire provincial sur les plans économiques grâce à des infrastructures comme l’E 411 se vérifie par la présence de nombreux zonings le long de l’E 411, le dernier étant celui de Léglise : « Depuis 1990, les infrastructures ont globalement peu évolué mais elles se sont adaptées à la demande de transport de voyageurs ou de marchandises, en termes de services rendus : sécurité, vitesse, fluidité, connexion porte-à-porte. »

Ce patron des classes moyennes déplore aussi que, comme le réseau ferré, les infrastructures routières souffrent d’un cruel manque d’entretien en plus de problèmes de conception identifié dès le démarrage à la fin des années 80, le phénomène de « punch out » qui frappe certains revêtements et qui se manifeste par des cassures qui entraînent une fragmentation du béton et l’arrachement de blocs sous l’action dynamique du trafic qui a été sous-estimé.

La critique concerne aussi les réseaux secondaires : « Sur les routes provinciales et communales, en particulier, des pans entiers du réseau sont laissés à l’abandon : nids-de-poule, chaussées déformées, signalisation vétuste, marquage au sol absent ou effacé… L’obsolescence des infrastructures routières a un impact évident sur la fluidité et la mobilité des usagers, mais aussi sur leur sécurité : près de 24 % des accidents mortels impliquent l’absence ou le mauvais état de l’infrastructure : route, équipements, environnement. Il faut engager d’urgence une véritable politique de maintenance au niveau wallon, et de surcroît en province de Luxembourg ! »

Philippe Ledent envisage aussi un progrès, que les temps de déplacements routiers deviennent utiles : « La voiture connectée va bouleverser bon nombre d’acteurs du monde automobile : assureurs, loueurs, gestionnaires de flotte, tous espèrent pouvoir récupérer de plus en plus de données sur l’utilisation réelle du véhicule, pour optimiser la maintenance, la conduite, l’utilisation, voire dialoguer en direct avec le conducteur. La bataille des données s’annonce particulièrement rude ! Qui dit véhicule intelligent dit aussi, ville et route intelligentes. La signalisation, par exemple ,doit pouvoir être lue par un véhicule autonome, et il faut préparer la cohabitation entre véhicules « traditionnels », connectés et autonomes. Les véhicules électriques doivent aussi pouvoir se recharger mais aussi servir de « batteries » dans des smart grids locales. Comment préparer cette révolution ? À quoi ressemblera la route de demain ?

Et il va encore plus loin : « Se pourrait-il qu’à l’horizon d’une vingtaine d’années, la généralisation du très haut débit rende certaines entreprises et de nombreux particuliers (toujours plus à l’aise pour la fréquentation privée et professionnelle des réseaux électroniques) moins sensibles à la qualité des dessertes routières et ferroviaires ? De multiples opérations pourront, en effet, être réalisées à partir des réseaux électroniques. »

L’Euro Space Center en orbite de l’E411

L’Euro Space Center, un fleuron touristique de notre province, autour duquel gravitent à présent des entreprises de pointe, spécialisées dans la haute technologie.
Jean-Marcel Thomas, le directeur de l’Euro Space Center se félicite de sa localisation le long de l’E411.

Jean-Marcel Thomas, vous êtes le directeur de l’Euro Space Center, quelle est l’importance pour une attraction touristique telle que la vôtre d’être situé en bordure d’un axe routier aussi important que l’E411 ?

L’E411 est importante pour nous à deux niveaux : tout d’abord au niveau de notre visibilité, mais également d’un point de vue de l’accessibilité et de la mobilité. L’E411 nous assure une visibilité à nulle autre pareille. L’E411, c’est à peu près 25 000 véhicules par jour, selon les derniers chiffres dont je dispose. C’est pourquoi nous avons placé un grand panneau indiquant  Euro Space Center, visitez-nous, bezoek ons ! . Ce panneau en bordure d’E411 est terriblement important. Quelques années après la création, nous nous trouvions face à un problème de marketing, de définition de contenu. Je pense que certains automobilistes ne savaient pas toujours à l’époque que l’Euro Space Center était ouvert à tout un chacun. Pour notre part, nous envisageons de placer très bientôt un écran LED qui permettrait d’annoncer certaines expositions, certains événements.

Selon vous, elle permet également une meilleure accessibilité pour les visiteurs…

L’E411 permet un accès aisé à notre site. Nous sommes situés en bordure de l’autoroute qui est celle des vacances ou des sports d’hiver pour beaucoup de Belges. Alors, même si certains l’empruntent pour travailler, ils savent que l’Euro Space Center est situé à la sortie 24, et sans doute viendront-ils nous visiter un peu plus tard. Cette autoroute contribue à faire venir plein de visiteurs. L’autoroute est indispensable également car nous ne sommes malheureusement pas bien desservis en moyens de transport. Un problème assez récurrent dans notre province. L’E411 reste dont l’axe essentiel pour rejoindre l’Euro Space

L’Euro Space Center fait désormais partie des fleurons touristiques de notre province. Combien de personnes attirez-vous chaque année ?

Nous existons depuis presque 30 ans (ouverture en juin 90). Nous enregistrons plus de 54 000 visiteurs par an et 35 000 pour les stages. Par ailleurs, nous accueillons encore entre 5 000 et 100 000 lors d’événements spécifiques. Cela représente donc plus de 100 000 visiteurs par an. Des visiteurs représentant 62 nationalités différentes, 34 en ce qui concerne les stages.

Et en termes d’emplois ?

L’Euro Space Center emploie 43 personnes. Si l’on recense également les 50 personnes qui travaillent à Galaxia et les quelque 50 personnes à l’ILS, ce sont actuellement 150 personnes qui sont engagées sur le site.

Sans l’E411, l’Euro Space Center aurait-il pu se développer de la sorte ?

Je pense effectivement que cette localisation a profité au développement d’un pôle. Car d’autres projets sont nés autour de l’Euro Space Center. Citons le pôle Galaxia, un parc d’activité économique – sur lequel nous nous trouvons – spécialisé dans le spatial, et créé en 2008 par IDELUX. Citons également le centre ILS Galileo, récemment inauguré, à savoir le centre logistique du programme satellitaire Galileo. Il existe par ailleurs des projets d’extension du parc économique. On annonce la création prochaine, en 2019, d’un rond-point reliant Euro Space Center, Galaxia et ILS Galileo. Et, au départ de ce rond-point, une nouvelle voirie desservira une nouvelle zone industrielle dévolue à des entreprises actives dans la haute technologie. En attendant que leurs bâtiments soient disponibles, deux entreprises disposeront déjà de hall relais.