Habay a vu sa population doubler

Avec l’E411, Habay a vu sa population augmenter de 50 %, malgré des terrains à bâtir de plus en plus chers. Des prix liés à la proximité avec le Grand-duché.

Benoît Halbardier était bourgmestre de Habay quand les négociations pour l’autoroute étaient déjà en cours.  Il quittera ses fonctions politiques habaysiennes en 1984 pour d’autres missions à Bruxelles. Jacques Fasbender, échevin de 1977 à 1983, occupe ensuite le mayorat de 1984 jusqu’en 1990.  « J’ai vu passer les plans au collège mais je ne me souviens pas de grands débats. Nous n’avions pas grand-chose à dire sur le sujet. Il n’était pas inhérent à notre niveau de pouvoir. »

Un essor phénoménal pour Anlier

Si l’autoroute s’est en quelque sorte « imposée » aux communes du sud-Luxembourg, elle a eu un impact plutôt positif sur les villages jusque-là isolés. Anlier, situé à 7 km de l’autoroute, a trouvé une seconde jeunesse.  « C’était devenu un village de vieux, se souvient Jacques Fasbender. Avant la fusion des communes en 1977, on devait fermer l’école. Personne n’achetait les terrains à bâtir. Personne n’en voulait à 10 000 F à l’époque (250 €). Maintenant, on les vend à 75 000 € l’are. Depuis la construction de l’E411, on est passé de 60 à 150 maisons. Les jeunes s’y installent. C’est un essor phénoménal ! » Un intérêt qui s’explique aussi par la proximité de Habay avec le grand-duché de Luxembourg, qui s’est en quelque sorte rapproché avec cette voie directe.
Dans l’ensemble, c’est toute la commune de Habay qui s’est développée ces trente dernières années, chiffres à l’appui. En 1977, il y avait 5 630 habitants et 6 000 en 1988. Trente ans plus tard, le nombre d’Habaysiens s’élève à 8 400 habitants, soit une augmentation de 50 %.

Pas de sortie à Marbehan

Avec la construction annoncée de l’autoroute, un collectif de commerçants installés à Marbehan souhaitait la construction d’une bretelle reliant l’autoroute au zoning de Marbehan. « Il fallait passer sous le pont du chemin de fer à Rulles.  Ce qui était impossible pour les camions. Les plans de la bretelle avaient été dessinés mais le projet s’est arrêté après le décès d’un membre actif de cette organisation. Les camions passent par Rulles, Houdemont par les villages » poursuit Jacques Fasbender.

Une bretelle de sortie est finalement aménagée à hauteur de Rulles, alors qu’elle n’était initialement pas prévue. Quand l’entrepreneur a débuté le chantier à hauteur de Habay, il s’est rendu compte que les terrains n’avaient pas été achetés pour traverser la forêt de Rulles.  Un accord a été pris pour faciliter le travail en attendant la régularisation des permis d’urbanisme.  Une faveur en échange de cette bretelle. « Rulles et Anlier étaient reliés par un chemin de bois qui n’était pas macadamisé.  Avant l’autoroute, les habitants d’Anlier voulaient que cette route communale soit carrossable jusqu’à Rulles. Ils ont changé d’avis quand une chasse à l’homme a eu lieu à la sortie des Quatre fils Aymont. C’était un lieu de rendez-vous des trafiquants de drogue. La police était mobilisée en force et un hélicoptère survolait la zone à la recherche des fuyards. Le chemin forestier est resté en l’état. »

Pas d’AC Restaurant à Habay

Benoît Halbardier évoque quant à lui un regret par rapport à l’autoroute et à ses possibilités.  Celui de ne pas avoir obtenu l’AC Restaurant à Habay. « J’en ai un peu voulu à Charles-Ferdinand Nothomb de ne pas l’avoir mis au-dessus de Habay. Mais je dois reconnaître aussi que nous n’avions pas fait de démarches allant dans ce sens plus tôt. »
Petit regret aussi par rapport au parking de Nantimont.  Il aurait pu lui aussi être davantage développé. « On aurait voulu y installer des services pour les automobilistes », ajoute Jacques Fasbender.

La E411 a toutefois permis d’installer le zoning des Coeuvins.  Benoît Halbardier acceptera de voir s’y implanter le centre d’enfouissement technique, après avoir visité un centre similaire en France.

Tenneville beaucoup plus sûre

L’ouverture de l’E411 a permis à Tenneville de devenir plus sûre. « Avec l’élargissement continuel des voies de circulation, sans consulter les citoyens, la N4 était invivable, se rappelle Marc Gauthier, ancien bourgmestre.  La population tennevilloise a payé un coût très cher avec des dizaines d’accidents mortels. Il y avait des tués chaque année. L’ouverture de l’E411 a permis, au fur et à mesure, de diminuer le trafic ici et de réduire à une seule voie de circulation avec une vitesse adaptée. Les accidents mortels sont maintenant devenus l’exception. »

Si l’E411 n’a pas tué le commerce tennevillois, comme le démontrent les friteries et autres magasins qui bordent toujours la N4, elle a tout de même eu certains impacts négatifs. « La Barrière de Champlon était un lieu de rendez-vous connu voire incontournable, mais c’est bien moins le cas aujourd’hui puisque le trafic a été redirigé sur l’E411.  Cela a eu des conséquences très négatives pour l’Horeca », complète Marc Gauthier, ajoutant que la dernière étape de la réhabilitation de la N4 dans la traversée de Tenneville, sur 3,5 km devrait survenir prochainement.

Martelange reste un axe fréquenté

Lors de la construction de l’autoroute, la N4 a connu un creux de fréquentation. Les nombreuses pompes à essence installées dans la traversée de Martelange, avec leurs prix grand-ducaux attractifs, ont souffert de cette nouvelle concurrence. « Le premier mois a été compliqué avec une importante diminution du trafic routier », rappelle Daniel Waty, bourgmestre de Martelange. Mais la baisse du chiffre d’affaires sera de courte durée pour les pompistes. « L’E411 a très vite fait ses premières maladies.  Et la N4 est devenue la route de substitution.  Ce qui est toujours le cas lorsqu’un problème de longue durée survient sur l’E411. Le trafic est automatiquement dévié sur la N4 entre Arlon et Bastogne. Toute cette période de régression est loin derrière nous », poursuit Daniel Waty.

Au point que, trente ans plus tard, les stations-service sont toujours bel et bien là.  Et elles ne sont plus seules puisque de nouveaux commerces se sont même développés à l’arrière de ces pompes.  La famille Van Den Abbeel, propriétaire du DPS depuis plusieurs générations, a développé ses activités en installant, toujours côté luxembourgeois à l’arrière des pompes, un commerce de proximité, une parfumerie, un salon de coiffure et un restaurant. Le Mouton Noir a également choisi de s’installer dans l’ancienne Maison Rouge, à cheval sur les deux frontières.

À Tellin, la nature et l’économie sacrifiées sur l’autel de l’E411 sans aucune compensation

Tellin et Resteigne ont payé un lourd tribut à l’E411 : demi-bretelle, forêts et chasses saccagées, village coupé en deux. Et tout ça sans compensation !

Christian Brilot était bourgmestre de Tellin en 1988. Pour lui, sa commune a hérité de tous les inconvénients sans rien en retour. Pire même, Tellin a perdu des hectares de forêts qui n’ont jamais été valorisés à leur juste valeur.

Il en avait touché un mot au roi Baudouin

M. Brilot s’est battu comme un beau diable, aux côtés d’Idélux, pour obtenir une bretelle complète. En vain. Amer, il se souvient encore : « Sans doute n’avions-nous pas les bonnes cartes politiques. C’est aussi sans doute parce que nous étions assis entre deux chaises, sur deux provinces, mais toujours est-il que j’ai multiplié les appels pour que nous ayons, à la route de Transinne, une bretelle complète pour des raisons évidentes de santé. Nous sommes près de Libramont et, en cas de problème cardiaque ou d’AVC, les minutes comptent. Le VIM qui vient du Centre hospitalier de l’Ardenne doit faire un détour par la Barrière de Transinne. C’est insensé. Au moins une personne est morte à cause de ce temps perdu ! D’un point de vue économique, si nous avions eu cette bretelle complète, cela fait belle lurette que nous aurions notre parc d’activités économiques qui est vide depuis 30 ans ! J’en avais même parlé au roi Baudouin quand il est venu à Tellin. On a remué ciel et terre en vain. On nous a répondu que cette demi-bretelle, à l’origine, était juste technique, pour permettre aux engins de chantier à l’époque de la construction d’entrer et de sortir. Avec feu Raymond Paquay, qui était secrétaire communal, on a même proposé de payer une partie de la bretelle à partir de l’ancienne route (NDLR : voir la photo). Quand on voit les travaux inutiles et les frais importants engagés quelques kilomètres plus loin, on ne comprend plus rien. »

On a échappé au pire : le TGV n’a pas été réalisé !

M. Brilot est estomaqué aussi par la balafre dans le paysage de la Famenne que constitue l’E411 qui coupe véritablement Resteigne en deux : « Le village a été sacrifié et la forêt de sapins remarquables n’a pas été valorisée à son juste prix. Tellin n’a jamais eu de juste retour de tout ce qu’on a eu à subir. Et encore, dans les plans de Delbrassinne, l’entrepreneur, il était prévu que le TGV soit construit le long de l’E411 ! Si cela avait été fait, il avait été envisagé de rouvrir la carrière de Resteigne qu’on a eu la chance de voir fermer à force de combats politique et citoyen. Il n’aurait plus manqué que cela ! Resteigne est en plein dans les vents dominants de l’Est vers l’Ouest et donc la pollution se dirige vers le village ; sans oublier les nuisances sonores. »

« Rien qui justifie trois bandes de circulation »

L’ancien bourgmestre ne voit pas l’utilité d’une troisième bande de circulation : « Pour quoi faire ? Je prends souvent cette route et quand on vient de Bruxelles, il n’y a quasi plus de circulation à partir de Namur. Il n’y a ni bouchon ni saturation (jusqu’à Sterpenich), rien qui justifie une bande de circulation supplémentaire. »

« L’autoroute E411 ne constitue pas un frein à notre développement »

Pour le bourgmestre de Marche, André Bouchat, la création de l’E411 ne constitue pas un frein au développement de la ville.

André Bouchat, vous êtes bourgmestre de Marche depuis 1986. Comment Marche-en-Famenne a-t-elle vécu la création de la liaison E411 dans la province il y a trente ans ? Y a-t-il eu des craintes, notamment celle de se retrouver excentré par rapport à cet axe structurant ?
Il n’y a pas eu de réaction pour la création de l’E411 à Marche. Si ce n’est que l’on trouvait la chose normale que le Sud et le Luxembourg soient innervés par une route digne de la modernité.
L’E411 n’a donc pas constitué un frein au développement de la Ville. Je me souviens par contre de réactions lors de la création de la N4. Les commerçants étaient contre, au motif que le trafic routier devait continuer à passer au centre de Marche. Il fallait alors 30 minutes pour traverser la ville !

Trente ans plus tard, comment Marche vit-elle par rapport à l’E411 ?
Très bien ! Imaginons qu’on la supprime : ça provoquerait un surplus de trafic dommageable pour Marche car nous avons une zone d’habitation et commerciale qui jouxte la N4. Ce que je regrette, c’est qu’on avait concocté la dorsale de la Famenne (2×1 bande) en site neuf reliant Ciergnon (E411) à Manhay (E25), pour contourner Rochefort, Marche, Hotton, Durbuy et Manhay. Mais cela a bloqué à Rochefort, qui voulait que le trafic passe au centre et, à Marche, on a tout fait pour éviter le trafic de transit. D’où le contournement qui s’achèvera en avril 2019.

Malgré le fait d’être quelque peu excentrée par rapport à l’E411 – même si une liaison via Courrière, Marche garde néanmoins une position stratégique, ce qui lui permet de vivre une belle croissance économique…
Nous avons en effet pu faire apparaître la position stratégique de carrefour. On réfléchit en temps et non plus en km à notre époque : nous sommes situés idéalement à 35 minutes de Liège, 25 minutes de Namur et 50 minutes du Carrefour Léonard. C’est notre atout ! Nous n’avons pas la proximité de Bruxelles et du Grand-Duché. Notre attrait, c’est que l’on rend aussi la ville attractive (culture, associatif, commerce…). Et je suis convaincu que le 7e parc d’activités économiques qui vient d’être autorisé définitivement par le ministre Di Antonio sera aussi attractif que les six autres.

Quelles sont les perspectives de développement pour le futur ?
Pour nous, l’emploi est la meilleure manière de lutter contre la pauvreté. On est dans le top 3 de l’emploi wallon créé sur un territoire communal et on dépassera sans doute les 13 000 emplois en 2019. À l’heure actuelle, le développement important, très important de Marche, profite cependant essentiellement aux communes voisines (Somme-Leuze, Nassogne…) car Marche est victime de son propre succès. Les terrains à bâtir sont chers. Il nous faut donc prévoir et renforcer la construction et veiller à mettre pour nos travailleurs des terrains à bâtir à des prix abordables.