« Jamais je n’aurai cru qu’on aurait une autoroute »

Charles-Ferdinand Nothomb, fin des années ‘60, vous entrez à la Chambre, avant de devenir ministre des Affaires étrangères et intérieures, vice-Premier et président du PSC. Jamais vous n’auriez cru qu’il y aurait un jour une autoroute en province de Luxembourg ?

Jamais je n’aurai cru qu’on aurait une autoroute. Il n’y avait d’ailleurs pas d’autoroute en Belgique.

En province de Luxembourg, des lenteurs sur la Nationale 4 apparaissaient. On évoquait son élargissement.

Dans les années 60, il y a aussi une sorte d’ébullition culturelle qui amène aux journées luxembourgeoises de contact. Le début du consensus luxembourgeois  qui veut faire sortir notre province de l’oubli ?

Les forces de l’époques se disent qu’on doit se moderniser, s’industrialiser, ne pas se contenter de la sidérurgie. On est lucide sur la fermeture prochaine de l’usine d’Athus et du déclin de l’agriculture.  On procède à la mise à quatre bandes de la Nationale 4, par petits morceaux pour satisfaire quelques hommes politiques.

La Nationale 4 devient le cordon ombilical entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg.

La province de Luxembourg paie le prix cher à l’époque de ses éloignements des grands centres ?

Le tarif national pour téléphoner n’existe pas, appeler d’Arlon à Marche coûtait Marche-Bastogne plus Bastogne Arlon. Et acheter du pétrole coûtait plus cher chez nous que dans une grande ville… On a dû se battre et on a gagné sur des deux volets.

Fin des années 60, on rentre dans une époque de prospérité, c’est là qu’on envisage faire une autoroute ?

Il a fallu sortir de la logique du budget annuel qui rendait impossible une vision à long terme et un schéma autoroutier et impossibler d’y inscrire la province de Luxembourg. Grâce à cette débudgétisation et en misant sur un plan d’investissement à long terme, on a pu se battre pour faire un plan pour que la province de Luxembourg soit intégrée. La province de Luxembourg était comme le 10e enfant, le petit dernier n’aurait jamais été servi.

Il y a dû avoir des batailles sous-régionalistes ?

Certains voulaient une autoroute qui irait de Liège à Bastogne-Neufchâteau et d’autres de Namur à Luxembourg. Mais si on continuait à se battre on n’aurait rien !

Qu’avez-vous fait ?

Le chef du cabinet du ministère des Travaux publics est descendu à Arlon. Il nous a dit : « Pourquoi vous battre : faites les deux tracés ! »

Quand le Malinois Joseph De Saeger  est devenu ministre des Travaux publics de 1966-à 1973, il y avait à peine 300 kilomètres d’autoroutes en Belgique et le réseau routier avait une réputation peu flatteuse, dit-on. Son impulsion est incontestable pour les autoroutes mais aussi les voies navigables et les ports maritimes Mais de là à avoir deux autoroutes!  Vous deviez-être surpris ?

De Saeger voulait être le ministre des autoroutes comme d’autres ont fait des plans culturels d’où la naissance des Maisons de la culture de Marche et Arlon.

On osait à peine rêver avoir une autoroute mais alors deux !

« Pourquoi vous battez-vous pour deux autoroutes, faites les deux! », la phrase du chef de cabinet du ministre des Travaux de l’époque reste gravée dans la mémoire de l’ancien président du PSC Charles-Ferdinand Nothomb.

Selon vous, les ingénieurs n’étaient pas très motivés pour ce plan ?

On manquait de cerveaux. alors pour motiver les équipes de l’époque, le ministre a inventé la prime aux corps d’ingénieurs par kilomètre d’autoroute réalisé. Il motive ainsi son administration à lui fournir un beau plan d’autoroutes.

Donc la province est dans le plan, mais on est encore loin du premier coup de pioche ?

Et nous avons pris des précautions. Comme nous sommes le dixième enfant et que tout coûte toujours plus cher que prévu, on redoutait que l’autoroute ne voit jamais le jour chez nous.

D’ailleurs le député PSC Antoine Humblet, de Namur disait : ça ne sert à rien d’aller au-delà d’Achêne, car il n’y a pas de trafic.

Il a donc fallu être stratégique ?

Pour être sûr qu’on fasse  l’autoroute, et toute l’autoroute, nous avons demandé qu’en province de Luxembourg, on commence par faire le tronçon de Sterpenich pour nous accrocher au Grand-Duché, un tronçon collé à la France et par le viaduc d’Houffalize.

On a fait l’objet de quolibets de la part de la population qui voyait dans tout cela des travaux inutiles.

Cela pouvait paraître anarchique !

Mais c’était stratégique.

À l’époque le Grand-Duché  ne voulait pas d’autoroute ?

Ils estimaient qu’ils étaient trop petits. Tout comme ils ne voulaient pas investir dans une université, les pays limitrophes en disposant.

Mais ce qui devait arriver arriva, l’enveloppe à commencer à fondre ?

Fin des années ‘70, le ministre des Travaux Louis Olivier prend la responsabilité de faire passer le projet de trois à deux bandes pour faire des économies et sans doute de réduire l’enrochement. Et comme statistiquement il y avait peu de trafic, peut-être 35 autos à l’heure… Il pense à l’époque, et je l’approuve, qu’au lieu de bâtir pour 50 ans, on allait bâtir pour 20 ans. C’est la manière dont je me l’explique maintenant avec des souvenirs qui ont plus de trente ans. Il fallait une autoroute pour qu’on ne soit plus un no man’s land.

Quand le milieu économique a été mis au courant de la construction prochaine d’une autoroute, les retours ont été rapides ?

Un exemple : L’Oréal est venue parce qu’il y aurait d’ici peu une autoroute.

À Wellin, la population en hausse grâce à l’E411

Robert Dermience a été bourgmestre de Wellin de 1977 à 1982. Il était dans l’opposition au moment de l’inauguration. Il se souvient que le tronçon d’autoroute Wellin-Ciergnon a été inauguré plus tard parce qu’il y avait à régler la traversée de la donation royale : « Cette autoroute, qu’on aurait dû mettre à trois bandes de circulation dès le départ, est une bonne chose parce qu’elle a permis à notre commune d’être beaucoup plus proche de Namur et d’Arlon. De plus, l’accès rapide à l’E411 combiné à de bons lotissements a attiré des gens qui se sont installés à Wellin. On peut dire que la population s’est accrue grâce à cette autoroute. »

C’est à peu près tout parce que l’ancien mayeur de Wellin estime que cette voie rapide n’a pas eu d’influence sur la vie économique locale : « Le zoning d’Halma se serait fait parce qu’il est composé en majorité par des entreprises de Wellin. Il y a eu un simple déplacement de l’activité vers un endroit plus propice. Il y a eu au début juste un peu de rouspétance pour le bruit. des mesures ont été prises et cela a été corrigé. »

Une paire de chaussettes entre deux autos

Dermience a une petite anecdote : alors qu’il visitait le chantier du côté de Chanly, une dame qui vit toujours l’a interpellé : « Elle m’a dit que cette route ne servirait à rien, parce qu’il n’y aurait jamais de trafic, ou si peu. ‘C’est à tel point que j’aurai le temps de tricoter une paire de chaussettes entre deux voitures’, m’a-t-elle dit. Aujourd’hui, il ne se passe pas 15 secondes entre le passage de deux véhicules. Je suppose que la dame doit alors tricoter des mini-bas pour poupées », rigole l’ancien mayeur.

Sans l’E411, pas d’essor commercial

Paul Jérouville était échevin de Charles Bossicart quand l’E411 a été inaugurée. Pour lui, sa ville n’aurait pas l’essor commercial actuel sans l’E411, parce que, estime-t-il, « on vient de partout à Libramont pour y travailler et y faire ses courses. Les enseignes ont choisi ce lieu parce qu’il est facile d’accès. En même temps, la route passe assez loin de la ville pour en avoir les avantages sans les inconvénients. Cette infrastructure a répondu à nos attentes. C’est sûr. Rien que Sud-Lait et L’Oréal, ce sont cent camions par jour ! À l’époque on n’a pas pris conscience de l’importance de l’enjeu et il aurait fallu construire cette troisième bande de circulation. Cet axe plus la nationale 89 et la route Recogne Neufchâteau qui ont été refaites dans les années 70-80 contribuent encore aujourd’hui au développement de notre entité. »

Celui qui est aujourd’hui conseiller communal estime qu’à l’avenir, il faut aménager des parkings de délestage aux abords des bretelles de Bertrix et de Verlaine pour encourager, voire forcer le covoiturage : « Cela ferait de belles économies et la Commune pourrait aider à ce que cela se fasse. »