Roger Fichant, docteur en Environnement, a été l’ingénieur du cantonnement d’Habay de 1986 à 1999. Quels souvenirs marquants a-t-il de la construction de l’autoroute dans son secteur ?

« En 1988, aux Eaux et Forêts, on considérait que ces travaux avaient un intérêt économique pour l’exploitation forestière. Pendant les travaux, les animaux passaient à travers les chantiers, évidemment la nuit, on relevait les traces sur le terrain, dans le sable. On s’est rendu compte que beaucoup de faune sauvage passait, y compris des petits animaux comme le renard et la belette.
Après la pose des clôtures, on s’est rendu compte de changements de comportement.

Le chevreuil, qui n’a besoin que d’une cinquantaine d’hectares, s’est vite adapté, il y a eu très peu d’impact. Juste au printemps, quand les jeunes d’un an quittent la cellule familiale.

Le sanglier, au départ, ne passait plus. Le sanglier vit sur un espace de 200 à 500 ha. Mais une population de sanglier, avec sa natalité, se reconstitue très vite. L’impact a été faible.

Problématique pour les cerfs

Pour le cerf, le problème est plus important car la coupure de l’autoroute a empêché les migrations pour le rut, le brame. Durant l’année, il reste en périphérie des massifs forestiers, et il rentre dans le massif pour la reproduction, pour rejoindre les biches. Avec l’autoroute, ces déplacements ont été anéantis. Avec le temps, les cerfs se sont adaptés : on voit de plus en plus souvent de vieux cerfs qui restent le long des autoroutes car ils y trouvent le calme et la sécurité. Si on veut rétablir la circulation des cerfs, il faudrait de nouveaux couloirs de contact pour que les jeunes mâles, de 2 à 5 ans, puissent circuler. »

Quels passages à gibier ?

Roger Fichant a obtenu l’installation d’un passage à gibier près de la sortie de Rulles. Mais les passages à gibier sont-ils utilisés ? « Pas quand ils sont trop étroits. Maintenant, les passages qui sont installés font 50 à 60 m de large, comme en Allemagne, en Alsace ou au Grand-Duché, pour être efficaces. Mais c’est très coûteux et la question de l’intérêt de la dépense se pose. Sur l’E411, on réalise que les animaux se sont adaptés, ça ne servirait à rien de changer les choses. Mais en 1988, les ponts à gibier, c’était tout nouveau, on ne savait pas si cela allait fonctionner mais j’ai tenu à ce qu’il y en ait un à Rulles. En fait, les animaux traversent plus volontiers les autoroutes par les routes. »

Actuellement le passage à gibier de Rulles est fermé aux sangliers, pour cause de peste porcine africaine (voir photo ci-dessus).

Les tourbières victimes de l’E411

Jean-Luc Mairesse est coordinateur pour le projet Semois Gaumaise/LIFE Herbages. Il constate d’abord que la Semois longe parallèlement la E411 sur plus de 1,4 km. « Ce n’est évidemment pas naturel, elle a été rectifiée et, avec cette rectification, il y a un impact hydraulique non négligeable qui a conduit à plusieurs inondations de villages. Même si des rectifications du cours de la Semois ont été réalisées sur toute la Semois entre Arlon et Tintigny depuis le fin du XIXe siècle, la ligne droite avant le village de Fouches permet à l’eau de prendre de la vitesse et, forcément, cela augmente les risques d’inondations lorsque le cours rencontre les premiers méandres ou un pont qui fait effet de goulot… »

Mais cet expert admet que les inondations sont un débat bien plus large que celui autour de la seule E411 dont l’impact n’est probablement pas négligeable mais pas non plus primordial sur la Semois.

Des dizaines d’hectares de tourbières détruits.

Jean-Luc Mairesse se penche sur un autre impact, plus proche de la nature elle-même : Il y a eu, rien qu’entre Fouches et Stockem, destruction directe de dizaine d’hectares de tourbières basses. Environs 1 500 m d’autoroute ont en effet pris leurs quartiers en pleine tourbière. Or, il reste actuellement entre 10-15 ha de tourbières basses en état de conservation plus que moyen en Wallonie. Donc, le ministère des Transports de l’époque qui a avalisé ce tracé a une lourde responsabilité dans la disparition des tourbières de fond de vallée en Wallonie. Avant la E411, les sites des marais de Fouches et de Heinsch s’étendaient sur un bloc unique de plus de 100 ha de tourbière. Non seulement, la surface de la E411 et de ses abords ont recouvert directement la tourbe mais l’impact du drainage, notamment, se fait sentir sur des surfaces bien plus grandes sans parler des sels de déneigement qui augmentent la conductivité de l’eau. »

Depuis la construction de l’autoroute, les choses ont bien évolué, constate-t-il :  « On prend petit à petit conscience de l’importance des tourbières (réservoir d’eau, stockage du carbone dans la tourbe, intérêt biologique, etc…), Natagora ouvre au public les sites de Heinsch et Fouches via un itinéraire permanent de visite pour mieux les faire connaître mais le principal point noir reste le bruit qui gâche le côté bucolique de la balade. »