Patricia Vanderlinden inspectrice principale

Qui étaient les victimes de Zaventem ? L’inspectrice principale Patricia Vanderlinden et l’unité du DVI de la police fédérale ont travaillé pendant trois jours dans le hall de l’aéroport afin de permettre l’identification des 16 victimes décédées.

Chaque fois qu’on intervient, c’est avec l’objectif de pouvoir rendre l’identité le plus rapidement pour que les proches puissent avancer

Les alarmes du hall de l’aéroport ont hurlé pendant les trois jours où Patricia Vanderlinden a minutieusement inspecté la scène de l’attentat. La poussière, le sang et l’eau aspergée par les sprinklers rendaient le sol poisseux et glissant. « On est resté trois jours avec tous ces bruits, se souvient l’inspectrice principale au DVI (Disaster Victim Identification). Toutes les radios fonctionnaient encore dans les boutiques. »

Lorsque l’équipe de la police fédérale dédiée à l’identification des victimes débarque dans l’aéroport, elle a le sentiment que la vie s’est figée à 7 h 58 ce 22 mars 2016. « Ce qui m’a vraiment fait peur, c’est la présence de poussettes, de doudous abandonnés. Mais aussi le nombre de GSM abandonnés dans les restaurants. C’est souvent la dernière chose que vous laissez à la maison… Tout était là, on voyait les œufs sur le plat, le café… »

Au sol : 16 victimes ; la plupart ont été particulièrement abîmées par la violence des explosions.  Qui sont-elles ?  C’est là que débute le travail de Patricia et de son service. Et il s’étend aussi à l’identification des terroristes. Lors de notre rencontre, l’enquêtrice s’attarde peu sur cet aspect. Mais elle précise : « Ce sont les fils de quelqu’un. Notre travail n’a pas changé : que ce soit pour un auteur ou une victime. Leurs parents, quelque part, sont aussi victimes. »

Cela fait 14 ans que la policière travaille dans ce service où la mort est omniprésente sans jamais être banalisée. « Quand j’étais gendarme, j’étais déjà intéressée au côté social. J’étais plus intéressée par la protection des gens que par le côté répressif. »

Le travail est minutieux, méthodique. Des morceaux de chair comme des objets personnels sont répertoriés. Il n’y a pas de droit à l’erreur comme ce fut le cas lors des attentats de Paris où une famille s’était recueillie devant un corps qui n’était pas celui de leur fille.  « Chaque fois qu’on intervient, c’est avec l’objectif de pouvoir rendre l’identité le plus rapidement pour que les proches puissent avancer. »

Ce qui m’a vraiment fait peur, c’est la présence de poussettes, de doudous abandonnés.  Mais aussi le nombre de GSM abandonnés dans les restaurants. C’est souvent la dernière chose que vous laissez à la maison…

Croiser les informations pour identifier les victimes

À Zaventem, ce travail a nécessité trois jours tant la scène était complexe. Dans de telles circonstances, une carte d’identité dans une poche n’est pas un élément suffisant pour identifier une victime.  Une cicatrice, un tatouage : ce sont des informations pertinentes.  Il faut alors les combiner aux analyses dentaires mais aussi à l’ADN.  Dans le cas des attentats de Bruxelles, ces dossiers ont dû être demandés dans plusieurs pays d’où provenaient les victimes.  « Pour certaines victimes, on a dû faire des analyses ADN et ça prend un peu de temps.  Ça a été assez rapide, malheureusement pas assez pour les familles. »

L’autre réalité, c’est l’attente insoutenable des proches qui sont dans le doute, qui ne savent pas si la personne qu’ils recherchent est à l’hôpital ou à la morgue. « On n’a pas le choix du tout. On ne peut pas se permettre de faire une erreur. On doit prendre un maximum de précautions ; ce qui n’est pas toujours compréhensible pour la famille. Si la personne est reconnaissable, on va quand même faire toute la procédure. »

L’enquêtrice était en congés

Le team DVI n’est composé que de sept personnes. Pour assurer le travail lié aux attentats, il était renforcé par environ 100 personnes issues des unités de police judiciaire de l’ensemble du pays.  Ce 22 mars, Patricia était en congés… « J’avais décidé d’aller faire les magasins et de faire une virée entre copines ».
Son téléphone sonne, c’est Christian Decobecq, le patron de la cellule DVI.  – « Il y a eu deux explosions à Zaventem. »  – « Oui, oui », répond la policière qui avait déjà reçu une notification Facebook annonçant des explosions à l’aéroport « avec des blessés. Je me souviens, c’était en néerlandais : ‘gewonden’. Je n’avais pas fait attention plus que ça… »  Mais le patron du DVI est préoccupé : « Si, c’est très grave. Et même plus que ça, c’est un attentat. »

L’inspectrice habite en dehors de Bruxelles et file vers la capitale « tant bien que mal… Je devais passer par Zaventem.  Là, je me suis rendu compte qu’il se passait vraiment quelque chose parce que l’autoroute était bloquée, les gens étaient à l’arrêt. »

Avec une de ses collègues, Patricia est envoyée à Zaventem « pour évaluer les moyens dont j’avais besoin ».  Sur la route menant à l’aéroport, l’équipe du DVI croise une colonne de voyageurs tirant leurs valises comme s’ils prenaient la route de l’exil. « Il y avait des gens un peu partout, des valises abandonnées.  Ça courait dans tous les sens… »

Il est 10 h 15 quand le binôme de l’identification des victimes arrive à l’aéroport.  « Malheureusement, je me suis rendu compte que j’avais besoin de pas mal de renforts. »   Le labo est sur place « pour récupérer tous les indices » et il faut donc éviter de polluer le site. Le DVI attend donc le feu vert.  À 11 h 45, le travail a pu débuter. « Une fois le ‘go’ reçu, on va récupérer les victimes décédées une par une ».

« On est le dernier contact, on a travaillé avec énormément de respect.  Je me pose toujours la question : si ça devait être votre frère, votre père, comment aimeriez-vous qu’on s’occupe de lui ? »

En parallèle du travail de terrain, d’autres collègues collectent les informations. « Ça travaille de tous les côtés.  Des collègues sont rappelés pour faire des ‘ante mortem’.  Ils vont se charger de la famille et poser toutes les questions par rapport à la victime : comment est-elle habillée, connaissez-vous son dentiste… » Les 16 victimes de l’aéroport ont ensuite été transportées à l’UZ Leuven.  « Là, il y a des membres du DVI qui vont faire des ‘post mortem’. Ils vont marquer tout ce qu’on voit sur les victimes. »  L’équipe d’identification renforcée par des membres d’Interpol a alors commencé à croiser les informations reçues.  « On regarde pour faire des ‘matchs’: c’est notre méthode de travail. »

Pas le droit à l’erreur

La pression se fait ressentir car il y a énormément d’attente du côté des familles.  « Elles veulent récupérer leur proche le plus rapidement possible.  Là, c’est le plus compliqué. Dire à une famille, même si c’est évident pour elle, que leur proche était bien à Zaventem mais qu’il faut patienter car on ne peut pas se permettre une erreur. »

Dans l’attente de l’identification, c’est l’équipe « ante mortem » qui se charge des relations avec les familles. Jusqu’au moment où la nouvelle tombe… « Quand vous êtes face à un événement comme celui-là, les familles sont un peu perdues, comme un arbre au milieu de la forêt. Le binôme ‘ante mortem’ pourra leur donner toutes les informations.  C’est eux qui feront l’annonce de la mauvaise nouvelle. Si nécessaire, ils iront avec la famille rendre un dernier hommage.  » Les questions sont nombreuses. Parfois, les familles demandent des détails précis.  « On a des mercis des familles.  On est le dernier contact, on a travaillé avec énormément de respect.  Je me pose toujours la question : si ça devait être votre frère, votre père, comment aimeriez-vous qu’on s’occupe de lui ? Et c’est comme ça que je travaille… »

Aujourd’hui,  Patricia Vanderlinden est toujours sollicitée pour identifier des victimes dans des incendies, des accidents, des catastrophes.  Ces attentats l’ont marquée : « Les attentats, c’est comme chaque dossier au DVI, on n’oublie jamais totalement. Quand on aime son métier, c’est comme ça… »■

Devoir dire à une famille, même si c’est évident pour elle, que leur proche était bien à Zaventem mais qu’il faut patienter car on ne peut pas se permettre une erreur.