Charles Michel, premier ministre

Le 22 mars 2016, le premier ministre Charles Michel était à son domicile lorsqu’il a été informé de l’attentat qui venait de se produire à Zaventem. Récit d’une journée où le sang-froid devait prendre le pas sur les émotions.

Ma fonction faisait de moi une cible. D’ailleurs les enquêtes ont montré que, dans les ordinateurs retrouvés, je faisais partie des cibles possibles

« C’est une journée glaçante dont je me souviendrai jusqu’à la fin de ma vie. » Le 22 mars 2016, alors qu’il s’apprête à quitter son domicile à Wavre, Charles Michel, à l’époque Premier ministre, reçoit un coup de fil de son ministre de l’Intérieur.  « Il y a eu une explosion à Zaventem.  On n’a pas encore de certitude mais on a une grosse inquiétude que ce soit lié à des questions de terrorisme ».

À 7 h 58, une double explosion a ravagé le hall des départs de l’aéroport de Zaventem. Jan Jambon est un des premiers informés.  « Je n’oublierai pas le son de sa voix, ce qu’il me dit à ce moment-là et l’émotion dans sa voix. »  Dans la foulée, Charles Michel reçoit aussi un message alarmant de Jacqueline Galant, ministre fédérale de la Mobilité. « À ce moment, on n’a pas encore les informations de la police ou du parquet. Mais tout le monde a l’intuition que c’est un attentat terroriste. »

L’hypothèse de l’attentat est validée très rapidement. Le Premier ministre file vers le centre de crise installé en face du « 16 rue de la Loi ».  La voiture du Premier emprunte les grands axes de la capitale et passe à la hauteur de la station de métro Maelbeek où Khalid El Bakraoui a fait exploser son sac à dos piégé à 9 h 11.  « On roule avec la voiture sur des débris de verre, se souvient-il alors qu’il était pendu au téléphone depuis son domicile. Dans la voiture, je prends alors connaissance qu’une deuxième explosion est survenue. »

La Belgique est KO. Deux explosions à Zaventem, une dans le métro. Des morts, des dizaines de blessés… Aucun bilan chiffré n’est encore connu. Un de ses collaborateurs s’est extrait du métro et arrive hagard au cabinet. « C’était un des conseillers sécurité qui était dans le métro derrière le lieu de l’explosion. Il est arrivé couvert de poussière, traumatisé par ce qui s’était passé. »

Barack Obama m’appelle, Angela Merkel m’appelle, le président français François Hollande m’appelle… Je dois expliquer à nos partenaires ce qui se passe en Belgique. 

Une arme ? Non, une canne à pêche…

Au centre de crise, la tension est grande. « Il y a plein d’informations inquiétantes qui arrivent et qui sont chaque fois prises au sérieux. À un moment donné, une grande panique s’installe parce que des témoins affirment avoir vu un type à moto avec une carabine près de la Gare centrale. »  Après vérification, la pression retombe, il s’agit d’une canne à pêche dans un sac à dos.   « Nous étions un pays attaqué. Sans savoir où était l’ennemi, quelle était la prochaine cible. »

« Mon intuition, c’est qu’il va encore se passer des choses. On est tous tétanisés à l’idée que c’est une attaque coordonnée avec peut-être encore d’autres qui vont intervenir.  Je me souviens que ce n’est qu’à la fin de la matinée que j’ai commencé à me dire que, peut-être, il ne se passera plus rien aujourd’hui. »

Le contexte de l’époque était particulièrement tendu. Salah Abdeslam avait été arrêté quelques jours plus tôt à Bruxelles, l’année 2015 avait été endeuillée par les attentats de Paris de janvier et de novembre.  « Cela faisait des mois qu’il y avait un contexte sécuritaire très lourd. En fait, il se passait ce que nous redoutions. »

Les appels d’Obama, Merkel, Hollande…

Les gouvernements étrangers sont aux aguets. Les messages de soutien affluent mais il faut aussi rassurer sur la capacité de la Belgique à gérer la crise.  « Beaucoup de chefs d’État et de gouvernement m’appellent. C’est important aussi de répondre au reste du monde.  Barack Obama m’appelle, Angela Merkel m’appelle, le président français François Hollande m’appelle… Je dois expliquer à nos partenaires ce qui se passe en Belgique et montrer qu’on essaye de reprendre le contrôle de la situation. »

S’il faut rassurer les partenaires, un message doit également être adressé à la population belge qui, dans son ensemble, a été touchée par ces attaques.  Au terme d’un Conseil national de sécurité, le gouvernement se présente face à la presse dans le bunker sous le « 16 rue de la Loi ».  Les mines sont tirées en cette fin d’après-midi. À droite de Charles Michel, le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw.  « Très vite, je sens que le message que je dois donner doit être transparent pour ne pas polariser la population belge. Il faut donner un message qui se veut le plus rassembleur possible dans un moment de choc violent. »

Quelques instants avant de faire face à la presse internationale, Charles Michel rassemble ses idées afin de diffuser un message rassurant.  « Je me souviens bien que les vice-Premiers ministres me donnaient des conseils judicieux sur les messages à donner. Notamment Alexander De Croo. »  Le Premier pèse ses mots : « Je n’alimente pas le message ‘nous sommes en guerre’. Il y a eu un attentat terroriste grave mais la Belgique n’est en guerre contre personne.  C’est une sémantique qui ne sera pas la même que celle employée par François Hollande en France. »

 Je n’oublierai pas le son de sa voix, ce qu’il me dit à ce moment-là et l’émotion dans sa voix. » Après avoir reçu l’appel de Jan Jambon, ministre de l’Intérieur, l’informant de l’attentat à Zaventem

Dans l’après-midi, Charles Michel s’était rendu sur le site des deux attaques. Le désastre s’offre à lui et les témoignages des secouristes sont bouleversants. « Je rencontre les secouristes à l’hôtel Thon qui était devenu la base logistique.  Ils me décrivent des scènes indescriptibles.  Je les vois marqués et dévastés par ce qu’ils viennent de voir. »

« Du mal à montrer mes émotions »

Charles Michel rencontre aussi des victimes. L’empathie est profonde mais la dignité doit prévaloir. Il faut rassurer et ne pas flancher… « Il y a des récits poignants. Mais je suis quelqu’un de pudique et j’ai du mal à montrer mes émotions. Je ne suis pas quelqu’un de démonstratif.  Comme chaque être humain, je peux me projeter dans ce que ça signifie quand tout bascule dans une famille. »

La sécurité est au maximum, la Belgique est placée sous niveau 4. La sécurité autour du Premier ministre est aussi renforcée. « Ma fonction faisait de moi une cible. D’ailleurs les enquêtes ont montré que, dans les ordinateurs retrouvés, je faisais partie des cibles possibles avec le ‘16 rue de la Loi’, la chancellerie… Et il y a eu des menaces très très directes à l’égard de mes enfants ; mais je n’en avais pas été informé à l’époque. »

Cette journée du 22 mars sera presqu’un jour sans fin. Charles Michel ne regagne pas son domicile privé. Il s’installe dans la résidence officielle au Lambermont.  « Pendant cette période, on a logé avec ma famille au Lambermont. C’était une exigence sécuritaire pour être sur place en cas de soucis. »

Charles Michel est désormais président du Conseil européen. Mais son gouvernement a laissé un lourd héritage à ses successeurs. Notamment dans l’accompagnement des victimes qui errent toujours entre souffrance physique et mentale.  « Il n’y a absolument rien qui puisse réparer ce qui s’est passé.  Je mesure que ce n’est pas facile de remonter la pente. On voudrait tellement avoir la baguette magique pour revenir en arrière et que l’attentat n’ait pas lieu. »■

 On est tous tétanisés à l’idée que c’est une attaque coordonnée avec peut-être encore d’autres qui vont intervenir. Ce n’est qu’à la fin de la matinée que j’ai commencé à me dire que, peut-être, il ne se passera plus rien.