Frédéric Van Leeuw, procureur fédéral

La veille du 22 mars, le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw, insistait sur la menace qui pesait sur notre pays. Le lendemain matin, sur la route vers le boulot, un journaliste l’interroge sur une explosion à Zaventem…

Le climat était fort tendu.  C’est une séquence qui a commencé par les attentats du 13 novembre à Paris.  Puis Salah Abdeslam disparaît dans la nature.

La menace terroriste ne s’est pas manifestée soudainement ce 22 mars 2016.  Bien avant cette terrible journée, elle concentrait déjà toute l’attention des autorités judiciaires belges. Ce jour-là, alors que le procureur fédéral, Frédéric Van Leeuw, est en route vers son bureau proche du palais de justice de Bruxelles, il reçoit un appel d’un journaliste. Un appel pour l’interroger sur une explosion à l’aéroport… « C’est le ciel qui nous tombe sur la tête… » Un coup de fil à la police fédérale confirme qu’il y a bien eu une explosion à Zaventem. Et même deux… « Tout le monde est assez vite conscient que ce n’est pas quelque chose de normal qui se passe. C’était probablement ce qu’on craignait. »

Depuis plusieurs mois, les forces de sécurité et de renseignement étaient mobilisées sur l’enquête liée aux attentats de Paris, sur la traque de Salah Abdeslam, sur le démantèlement d’un groupe de djihadistes à Verviers.  « Le climat était fort tendu. C’est une séquence qui a commencé par les attentats du 13 novembre à Paris.  Puis Salah Abdeslam disparaît dans la nature.  Il y a le lockdown de Bruxelles, la pression de l’opinion publique, toute une série de perquisitions qui sont menées dans tous les sens pour essayer de trouver les auteurs des attentats du 13 novembre. » Les enquêteurs savent qu’ils font face à un groupe excessivement bien structuré et aux ramifications larges.  Il faut donc attaquer la bête sur plusieurs fronts et veiller à en éliminer toutes les métastases.

Lorsque Salah Abdeslam, devenu un des terroristes les plus recherchés de la planète, est arrêté le 18 mars, le procureur fédéral se garde bien de sabrer le champagne. Nous sommes quatre jours avant les attentats de Bruxelles… « On reçoit les félicitations mais on sait bien qu’on n’a pas tout le monde.  Il y a même un tweet d’Obama qui félicite la justice belge. À ce moment-là, il y avait un sommet européen et je me retrouve dans le bureau de Charles Michel avec François Hollande.  Et là, je dis : “On n’a pas tout le monde” et on reste sous pression. »

La veille des attentats de Bruxelles, une importante réunion avait été menée avec les collègues français dont le procureur de la République, François Molins, « pour échanger sur le dossier “Paris” ».  Une conférence de presse est convoquée dans la foulée.

Devant la presse internationale, les propos de Frédéric Van Leeuw sont prudents : « Nous avons pas mal de pièces du puzzle. Ces derniers temps, plusieurs pièces ont trouvé leur place, mais je suis encore loin, et nous sommes encore loin, d’avoir terminé le puzzle. »  C’était quelques heures avant que Bruxelles ne soit endeuillée par trois explosions.

Assez rapidement, je prends la décision de scinder tout ce qui est enquête judiciaire et accompagnement des victimes.  Ça permet d’avoir des magistrats concernés directement par cette question.

22 mars : « Tout le monde voit des terroristes partout »

Alors que les secouristes sont encore en train d’évacuer les blessés, Frédéric Van Leeuw rejoint le centre de crise.  Il faut coordonner les opérations et les enquêtes.  En continu, des informations parviennent à la gestion de crise : « tout le monde voit des terroristes partout… » Il se souvient aussi du « réseau téléphonique qui flanche ».

Malgré les nouvelles qui s’accumulent, Frédéric Van Leeuw a aussi besoin d’être rassuré puisqu’il est sans nouvelle de son épouse qui devait prendre le métro.  « Elle devait aller donner cours à la VUB. Elle m’avait dit le matin : ‘‘Je pense que je vais prendre le métro.’’ Évidemment, le calcul est vite fait : elle doit passer par Maelbeek. Heureusement, elle avait quand même pris la voiture… »

Le front est multiple. Il faut mener des devoirs d’enquête un peu partout en Belgique. Mais aussi répondre aux attentes de familles effondrées, de familles sans nouvelles d’un proche. « Assez rapidement, je prends la décision de scinder tout ce qui est enquête judiciaire et accompagnement des victimes. Ça permet d’avoir des magistrats concernés directement par cette question. »

Éviter l’erreur d’identification

La gestion d’un nombre si important de victimes n’avait jamais été mise en œuvre. Il faut pouvoir donner des nouvelles mais, surtout, identifier les blessés et les personnes décédées. « Lors de l’attentat de Sousse (sur une plage en Tunisie le 26 juin 2015), des identifications ont été faites sur base de photos et il y a eu plein d’erreurs.  Il y en a eu aussi au Bataclan : c’était quelque chose qu’on voulait éviter. »  Les victimes ont été profondément abîmées par les engins explosifs : le travail d’identification nécessite un certain temps.  Avec minutie, il faut relever chaque morceau de chair et éviter l’impardonnable.  « Pour cela, il faut très rapidement faire des analyses ADN.  Si vous donnez un permis d’inhumer, on ne peut pas enterrer quelqu’un deux fois si on retrouve d’autres parties après. »

Les journées qui suivent ce mardi 22 mars sont comme des jours sans fin pour le procureur.  « Pour moi, c’est une journée qui est très vite passée parce qu’il faut prendre des décisions très rapidement.  J’ai à peine eu le temps de rentrer dans la nuit à la maison pour changer de chemise… »

En Belgique, en Europe, tous les contacts sont activés. Les perquisitions se multiplient car les images de vidéosurveillance ont révélé que deux des terroristes ne sont pas allés au bout de leur mission. Il s’agit de Mohamed Abrini, présent à l’aéroport, et Oussama Kraiem qui, lui, avait été vu aux côtés du terroriste du métro. « On se dit qu’il y a encore une cellule qui est capable de faire quelque chose. Abrini, on le connaissait déjà un peu. Mais la qualité des images à l’aéroport n’a pas permis de l’identifier tout de suite ».  Ce n’est que le 8 avril que les fuyards sont arrêtés. « On sait alors que la menace devient nettement moins importante. »

« Il y a un moment qui m’a marqué. C’est le jeudi, un des premiers moments où je reviens à une heure correcte à la maison pour y passer la nuit.  Je tombe sur une interview extraordinaire à la RTBF avec Michel Visart qui parle du décès de sa fille. »

Décompression et émotion

Le stress et les émotions galvanisent le procureur qui n’a pas le temps de s’arrêter sur les images diffusées par les médias. Ce n’est que deux jours plus tard que l’émotion s’exprime.  « Il y a un moment qui m’a marqué. C’est le jeudi, un des premiers moments où je reviens à une heure correcte à la maison et pour y passer la nuit.  Je tombe sur une interview extraordinaire à la RTBF avec Michel Visart qui parle du décès de sa fille. On la lui a annoncée ce jour-là.  Et il fait un discours tellement magnifique que c’est à ce moment-là que l’émotion est remontée… Et, j’ai commencé à pleurer devant la télé. Ça m’a permis de sortir toute une série d’émotions. Il a fait un plaidoyer pour sa fille mais aussi pour toutes les Lauriane qui se battent pour un monde plus humain. Et quelque part, c’est aussi ça qui donne la motivation et la force d’avancer. »