La crise du covid a sans doute paru aussi longue à Vincent De Wolf que ses 30 ans de maïorat à Etterbeek, lui qui aime répéter qu’il les fête en 2021. Avec 50.000 âmes dont près de 50% d’étrangers, l’année du libéral montre combien les institutions européennes ont pesé sur les courbes pandémiques belges. « 5.000 habitants ont quitté le territoire à Noël », déplore-t-il toujours. À l’écouter, le cluster au Collège Saint-Michel et le « bad buzz » national en découlant ne semble pas digérés. « On est devenu le pire élève », grince-t-il encore. Retour sur son année tout en arrêtés inédits et contestés, anecdotes « dingues » et luttes politiques pour l’obtention des données de quarantaine.

« La gestion de crise, ça me connaît. En 2000, j’avais voulu arrêter Jorg Haider qui prévoyait une visite sur la commune. Ça s’annonçait violent ».

En 30 ans de mayorat à Etterbeek, Vincent De Wolf en a vu d’autres que le coronavirus. L’écharpe à peine nouée, en 1993, il doit démolir l’église Sainte-Gertrude, qui menace de s’effondrer. « C’était terrible!  Y avait l’armée, la protection civile. Un ingénieur, également géologue, m’avait assuré que c’était la bonne décision. Mais qu’avec 10 ans d’expérience, je ne le referais pas ».

Trois décennies plus tard, le libéral n’a pas changé de tactique : « dans l’action, je fonce ». Ne lui demandez pas s’il a eu peur depuis le printemps 2020. « C’est mon côté inconscient ». Ainsi, il y a un an, De Wolf ne prend pas de gants pour interrompre les classes de neige. « On regardait la Chine comme des idiots. “Tiens, qu’est-ce qui se passe là-bas ?”», ironise-t-il. « L’école Claire Joie était au ski. J’ai mis tout le monde dans le car. Les parents étaient choqués ». Comme pour l’église Sainte-Gertrude, le maïeur juge que « c’était la bonne décision ». Il n’est pas le seul à avoir senti l’oignon. « Au retour d’Italie, trains, autoroutes, tout était bouché, c’était la cohue ».

« On regardait la Chine comme des idiots. “Tiens, qu’est-ce qui se passe là-bas. Une école était au ski. J’ai mis tout le monde dans le car. Les parents étaient choqués »

Très vite, le pilotage de la commune se fait depuis le camp retranché de l’avenue d’Auderghem. « Nous, on n’a pas été confinés. On se réunissait dans une salle, à l’étage de la Maison Communale. Plus grande, pour respecter la distanciation ». De Wolf s’entoure des fonctionnaires essentiels : police, population, étranger, état civil, enseignement… « Un petit groupe de 9 personnes. On gérait en permanence ce qui arrivait ». On pense aux images d’Obama et Clinton rivés sur leurs écrans, encadrés de leurs conseillers et hauts gradés, pour la traque de Ben Laden. Sauf qu’ici, l’ennemi est invisible. Et que « personne n’est préparé », souligne le Bourgmestre. Qui sait sur qui compter. « J’étais en réunion tous les jours jusqu’à 8 heures du soir ».

Etterbeek est ainsi la première commune de Belgique à réquisitionner un hôtel pour les sans-abri. C’est le Derby, au Cinquantenaire. Nous sommes le 21 mars 2020. De Wolf comprend alors que la crise exacerbe la beauté et la laideur chez l’humain ».  Ainsi, à l’ouverture de ces 15 chambres, « certains ont accouru pour prêter main-forte, d’autres se sont enfuis ». Des gardiens de la paix se mobilisent jour et nuit. « Il faut le faire!  Avec les problèmes d’hygiène, d’addiction, qu’on peut rencontrer avec ce public », souligne le maïeur. « Ces gars sont restés là 3 mois! » Le travail n’est pas vain. « 10 bénéficiaires de la réquisition ont pu être relogés. On les avait sous la main : ce contact, l’humain, c’est autre chose qu’une séance psy par semaine ». Tout ça, « c’est grâce au covid ».

« Un soignant avait trouvé la serrure changée le soir en rentrant chez lui. Sa famille le laissait sur le seuil!  “On respecte ton boulot, mais nous, on prend pas le risque”, ils lui ont dit »

Les événements se précipitent. De leur « bunker », De Wolf et son entourage restreint multiplient les décisions inédites. Un poste avancé triant les patients se monte à l’hôpital Saint-Michel. Les parcs sont fermés. Les couturiers sont mobilisés pour les masques des policiers, gardiens de la paix, infirmiers… « Jusqu’à avril, on ne compte aucun mort sur la commune ». Mais les situations « dingues » se succèdent. Comme cette soirée où le maïeur est appelé pour dénicher d’urgence une chambre d’hôtel. « Un soignant avait trouvé la serrure changée le soir en rentrant chez lui. Sa famille le laissait sur le seuil!  “On respecte ton boulot, mais nous, on prend pas le risque”, ils lui ont dit ». Deux Etterbeekois se sont retrouvés dans le cas. « Dingue », oui.

Avec le confinement survient aussi la problématique des personnes isolées. « Etterbeek compte 9.000 personnes âgées. Dont beaucoup de femmes seules. Elles avaient peur de sortir faire leurs courses », déplore le Bourgmestre. « Moi, j’avais des chauffeurs de bus et des ouvriers à l’arrêt ». Un service communal de livraisons de colis se met donc à rouler. « C’était cette époque où les Belges se ruaient sur le papier-toilette. À ma demande, les patrons de 2 grosses entités commerciales ont permis aux fonctionnaires de court-circuiter les files. Idem chez certains pharmaciens ». Une quinzaine d’employés communaux s’embarquent. 150 Etterbeekois étaient tributaires de leur service, préfinancé par la Commune pour éviter l’échange d’argent. « C’était une mission très valorisante ».

Le printemps est éclatant en Belgique et comme les jonquilles dans les parcs bruxellois pris d’assaut, Vincent De Wolf phosphore. « Le premier mai, je suis en grande réflexion. Un maire allemand impose le masque sur son territoire et voit les contaminations baisser drastiquement ». Ni une, ni deux : le maïeur etterbeekois lui emboîte le pas dans ses zones commerciales les plus denses. Là encore, il est le premier de Belgique. Là encore, ça grince. « On me dit que c’est scandaleux, illégal. J’ai bien rigolé ». Car comme on sait, l’idée se généralise rapidement.

Au cours de l’été, puis de l’automne, Etterbeek ferraille toujours avec le coronavirus. Le personnel de la piscine de L’Espadon est réquisitionné : les maîtres-nageurs encadrent les garderies face à la pénurie d’accueillants. Les crèches communales accueillent les enfants du personnel hospitalier d’Iris Sud « pour qu’ils puissent aller travailler ».

Les délations se bousculent à la zone de police. Un budget « relance » d’un million d’euros est sur la table, misant entre autres sur le Broebel, monnaie locale dont les 300.000€ en chèques à dépenser dans les commerces seront distribués via les primes communales. « Le budget sera à zéro fin 2021 », confie De Wolf. Qui resserre aussi la vis dans les funérariums après être tombé par hasard dans une cérémonie d’hommage « où le catafalque présentait le corps sans aucune protection ». Bref, la vie sous covid19 suit son cours inédit.

« On ne va pas envoyer les barbouzes ! L’idée, c’est de sensibiliser les citoyens. Qu’est-ce que je peux faire d’autre dans des quartiers de 10.000 habitants ? Je vois pas… Mettre tout le monde en quarantaine ? »

« C’est dans l’épreuve qu’on reconnaît ses amis », glisse De Wolf. Aussi le libéral se rapproche-t-il naturellement de ses confrères des Woluwe en 2020. Voir de Philippe Close, à la Grand-Place. « Avec Philippe, on se parle pour l’encadrement des manifs. Donc oui, on peut dire que 2020 nous a rapprochés ». Par contre, l’entente est loin d’être cordiale avec Alain Maron. Depuis les bancs de l’opposition au parlement bruxellois, Vincent De Wolf n’a pas cessé ses « coups de boutoir » pour secouer le Ministre Écolo de la Santé.

Le différend tient des circonstances. « Le 4 janvier 2021, Etterbeek compte 155 citoyens contaminés. Et le 18 janvier, le chiffre passe à 477 ! », s’emporte De Wolf. « La preuve formelle est faite que les vacances de Noël ont généré cette accélération ». Le Bourgmestre pointe les « nombreux expatriés des institutions européennes » rentrés durant le congé. « Le chiffre officieux, je le connais : 5.000 personnes au moins ont quitté la commune ». Le 13 janvier, De Wolf prend un arrêté : il enjoint le médecin-inspecteur de l’hygiène de transmettre aux bourgmestres les données des personnes assignées à la quarantaine. « On peut avoir des infos sensibles sur les “returnees” et pas sur les malades du covid ? On invoque le secret professionnel ? Pourquoi ? On ne va pas envoyer les barbouzes ! L’idée, c’est de sensibiliser les citoyens. Qu’est-ce que je peux faire d’autre dans des quartiers de 10.000 habitants ? Je vois pas… Mettre tout le monde en quarantaine ? »

La situation s’envenime quand, le 24 janvier, un cluster se révèle au Collège Saint-Michel. « De bon élève, Etterbeek devient le pire ». La tension ne retombe pas, exacerbée par les couacs du testing dans l’établissement de plus de 1700 âmes. « Pourtant, on n’est pas à Mexico avec 12 millions d’habitants », ironise De Wolf. Avec les hôpitaux Iris Sud et la direction du collège, il cosigne un courrier plutôt… vert. Là encore, Maron en prend pour son grade. « “De quoi tu t’occupes?”, il m’a demandé. “De ma population”, j’ai répondu ». Haussement d’épaules. « C’est dans la loi : en tant que Bourgmestre, je dois lutter contre les pandémies ».

« Je suis gentil. Mais quand je sens l’injustice et qu’on me ferme la porte, je la défonce»

Et on ne va pas apprendre à cet avocat à lire un texte juridique. « J’ai consulté des profs d’univ pour cet arrêté. Il est très motivé. Spectaculaire aussi. Vous savez : je suis gentil. Profondément. Mais quand je sens l’injustice et qu’on me ferme la porte, je la défonce ». Le pied-de-biche etterbeekois a fini par ébrécher les méfiances régionales : le 25 février, le protocole de transmission des données est finalement approuvé.

Du repos dans cette avalanche ? Oubliez : les vacances, ça sera pour fin juillet. Durant cette année pandémique, Vincent De Wolf n’a d’ailleurs « jamais » coupé son téléphone. « Je suis ouvert jour et nuit », plaisante-t-il. « C’est une vie de chien. Mais tant qu’on a le virus, si j’ose dire… »