Lors de la dernière campagne électorale, Frédéric Deville et son groupe s’étaient engagés à mener des actions pour soutenir les commerces du centre-ville de Ciney. “Avec le Covid, tout s’est accéléré.” La Ville n’a pas hésité à puiser dans ses réserves. Et à mettre sur pied des initiatives originales. “Psychologiquement, les gens avaient besoin qu’on soit à leurs côtés.”

A chaque fois, c’est le même scénario qui se répète. La conférence de presse présentant les décisions du comité de concertation (codeco) débute à peine que le téléphone du bourgmestre de Ciney se met à sonner. Ses concitoyens veulent savoir, veulent comprendre quel impact ces nouvelles décisions auront sur leur vie. Frédéric Deville, le jeune quadragénaire à la tête de la capitale du Condroz, n’en sait pourtant pas plus qu’eux. Lui aussi, va découvrir au fil des minutes ce que les instances régionales et fédérales ont décidé.

Et à chaque fois, c’est une période grise qui s’ouvre pour les bourgmestres. “Le comité de concertation balise de grandes règles générales, il faut attendre l’arrêté ministériel qui est publié une semaine, dix jours plus tard et qui fixe les décisions dans les moindres détails. Mais à côté de cela, il y a tous les cas particuliers auxquels on ne sait pas répondre. Des cas face auxquels on se sent démunis et parfois même un peu bêtes”, admet-il en toute franchise.

“La grosse lacune de la gestion de cette crise, c’est la communication.” Et de rêver que les bourgmestres soient informés avant les conférences de presse. D’autres bourgmestres rencontrés dans le cadre de notre série caressent le même rêve.

Position délicate

Frédéric Deville est le premier bourgmestre que nous avons rencontré. C’est lui qui a attiré notre attention sur la notion d’interprétation. “Un club de tennis voulait organiser des matchs par 4 moyennant d’ouvrir les pans de la bulle. J’ai refusé. Ils m’ont dit qu’à Gembloux, c’était autorisé. J’ai contacté mon confrère pour comprendre sur quoi il se basait pour son interprétation.” Cette fameuse zone grise. Qui place parfois le bourgmestre dans une position délicate.

En charge de la salubrité et de la sécurité publique, les bourgmestres n’ont toutefois qu’un pouvoir de décision relativement faible dans cette crise. “Nous devons faire appliquer les décisions prises plus haut. Par contre, on a le pouvoir d’action.”

Et la Ville de Ciney ne s’est pas privée de l’utiliser: “nous avons un centre-ville qui souffre. Pendant la campagne électorale, nous avions prévu des choses. Finalement, le Covid a tout accéléré. Nous avons commencé avec une action puis deux…” Des actions souvent originales, qui font parler d’elles. Comme ce 1er mai, où les boulangers (qui pouvaient ouvrir) ont parrainé des fleuristes (qui ne pouvaient pas ouvrir) en vendant leurs fleurs sans prendre de commission.

Il y a aussi l’opération mise en place pour la fête des mères. “J’ai en ai encore la chair de poule. Les gens commandaient chez les commerçants qui venaient ensuite déposer les colis au centre sportif. Il y a eu plus de 600 cadeaux qu’avec la Ville, l’ADL et des bénévoles, nous avons été distribuer le matin de la fête des mères. Les mamans nous ouvraient en pyjamas. ”

“Si le fonds de réserve ne sert pas pour une catastrophe comme celle-là, à quoi ça sert ?”

La Ville a aussi mis en place des indemnités Covid et chacun des 8.000 ménages de l’entité a reçu une carte prépayée de 30 € à dépenser dans les commerces locaux.

Ciney n’a pas lésiné sur les moyens. “Nous avons puisé dans notre fonds de réserve pour équilibrer notre budget 2021. S’il ne sert pas pour une catastrophe comme celle-là, à quoi ça sert ?”

Avec le recul, Frédéric Deville se dit que Ciney a fait les bons choix: « À court-terme, les gens avaient besoin de liquidité. Et psychologiquement, notre présence était importante.”

De cette année face au Covid, Frédéric Deville pense que le regard des gens sur le rôle de bourgmestre a évolué: “Le bourgmestre est la personne qui doit les aider à traverser la crise, à maintenir la tête hors de l’eau. Tout le monde est dans le même bateau.”

Paradoxalement, le contact avec la population a évolué. Privé de soupers, foires et autres activités publiques, le bourgmestre a perdu quelque chose: ces moments qui lui permettent d’être en contact direct avec le terrain, de “sentir” les choses comme jamais. Mais Frédéric Deville explique que la crise l’a rapproché via des contacts individuels. “Cela m’a rapproché de gens qui étaient inquiets.” Des propos qui font échos à ceux tenus notamment par le bourgmestre de Bouillon. (mettre lien vers https://grand-angle.lavenir.net/un-an-face-au-covid-6-bourgmestres-au-chevet-de-leur-commune/retablir-lhonneur-de-bouillon/)

Profiter du confinement pour régler certains conflits familiaux ou de voisinage

Le revers de ce contact direct avec les citoyens: la délation. Au début de l’épidémie, Frédéric Deville se retrouve au milieu d’une mauvaise pièce de théâtre. “Des gens se sont servis du confinement pour régler certains conflits familiaux ou de voisinage… C’est encore plus compliqué que d’appliquer des décisions impopulaires: vous devez d’une part faire respecter la loi, d’autre part vérifier si l’accusation est vraie. Il faut clairement se mouiller en appelant la police. On est en plein dans l’impopularité mais vous devez assumer votre rôle et vous ne pouvez pas laisser une plainte sur le côté car on parle ici de santé et d’épidémie.”