Si l’administration communale de Bouillon jouxte le parking du célèbre château et domine la cité, Patrick Adam a vécu cette année de crise au bord de la Semois, aux côtés de ses habitants. Réaliser des courses pour des citoyens, aller à la rencontre des « contrevenants » ou combattre Sciensano…  le bourgmestre a été au four et au moulin. Il a aussi dû tenter de convaincre et jouer les juges de paix. Et n’a même pas eu le temps de prendre des vacances. Il revient avec nous sur 2020 depuis l’administration communale de Chiny où il est adjoint au directeur général.

Ça a d’abord été un choc. Puis rapidement est venue l’interrogation: comment Bouillon s’est-elle retrouvée pointée du doigt, mise au ban, comme une pestiférée de la pandémie en Belgique? Patrick Adam, le bourgmestre de la cité médiévale se remémore avec précision ce moment où l’information de Sciensano a été répercutée dans les médias. Nous sommes au début de la crise, l’Institut scientifique de santé publique publie quotidiennement des bilans avec le nombre de contaminations par commune. Bouillon est en rouge sur la carte de la Belgique. “Quand j’ai compris sur quoi se basait cette présentation (le cumul des cas depuis le début de l’épidémie ramené au nombre d’habitants), j’ai été envahi par un grand sentiment d’injustice car cette situation ne dépendait pas de nous. J’ai alors pris mon bouclier, mon épée et je suis parti à l’affrontement.”

Cet épisode, Patrick Adam n’est pas prêt à l’avaler. Pas plus que les habitants de Bouillon. “Dans la rue aussi, les gens étaient mécontents. Ils se sont sentis injustement pointés du doigt. Et on m’en parle encore aujourd’hui.”

Le bourgmestre en retire cependant un élément très positif: “le soutien des gens dans ce combat-là.”

“Les pieds dans la boue comme nous”

Alors que la crise semble creuser l’écart entre le public et le monde politique, Philippe Adam pense au contraire qu’à travers la pandémie, les citoyens se rapprochent de leurs élus locaux. “Il y a beaucoup de considérations positives, comprenant que les bourgmestres font de leur mieux, que les bourgmestres apportent à chaque fois une touche personnelle. Les citoyens constatent que comme eux, nous sommes dans la boue.”

Comme bien d’autres, le bourgmestre de Bouillon a voulu être sur le terrain, aux côtés des gens : “Je prends alors le risque d’être à côté de gens en colère. Des gens qui sont vraiment contre les règles, des gens qui veulent trouver la parade…” Il y a aussi ces moments de tensions où le bourgmestre doit faire respecter des règles qui peuvent être sujettes à interprétations comme par exemple sur la notion de take-away pour les restaurants-cafés. “J’ai eu une multitude de coups de téléphones pour quelques personnes qui se montaient le bourrichon pour 4 cafés-cognac…” Des moments où le bourgmestre est mis en porte à faux et où il peut être contesté..  “Et puis le bourgmestre, c’est aussi celui qui doit prendre la claque parce qu’on ne voit pas le ministre.”

Comme un grand frère

Cette crise a aussi rapproché Patrick Adam de ses citoyens. “J’ai voulu jouer le rôle d’un grand frère ou d’un fils…Tout cela crée des liens et des contacts de plus en plus proches. On ne peut pas rester insensible aux situations vécues.” Cette proximité est accentuée par la taille de la commune de Bouillon où sur les 5.000 habitants, ils sont très nombreux à se connaître.

Rassurer les gens jusqu’au bout de la nuit

Lors de la première vague, la peur est plus que jamais présente. Avec les premières conférences de presse, le bourgmestre doit faire face à des phases aiguës. Il est en première ligne. Il faut réconforter, rassurer les gens à la fois au niveau professionnel et privé mais aussi au niveau de la santé.”Il y avait deux types de personnes. Celles qui prenaient l’information en pleine figure, téléphonaient ou contactaient via messenger. Pour eux, l’angoisse était telle que les échanges pouvaient durer jusqu’à 2, voire 3 heures du matin. Et puis il y a ceux qui ont eu l’information, ont été dormir puis font des cauchemars. Ils ne savent pas comment ils vont pouvoir répondre aux questions de demain. Assez tôt dans la matinée, en fait à la fin de la nuit, vers 5h du matin, ils envoient des messages.” Les nuits de Patrick Adam sont alors aussi chargées que ses journées.

L’angoisse du retour du second résident

Avec son haut potentiel touristique, Bouillon compte bon nombre de résidences secondaires. Elles ont été au centre de bien des attentions et de crispations. Lors du premier confinement, la venue de seconds résidents, qui ne pouvaient pas revenir, angoissait tout le voisinage. “Les voisins, un ou deux, me téléphonaient pour me dire “il est revenu”. Je me rendais alors sur place pour discuter avec les personnes. Et dans 95% des cas, les seconds résidents repartaient.”

Ce n’est qu’une partie des appels de délations reçus par Patrick Adam. Avec aussi ces moments cocasses comme avec cette personne qui souhaite rester anonyme mais dont le numéro de téléphone s’affiche sur le smartphone du bourgmestre… qui a pu le rappeler pour lui dire qu’il avait vérifié son information. “La délation était essentiellement causée par le stress et l’incompréhension.”

À côté de cela, le bourgmestre a été surpris par le nombrilisme de certaines personnes: “On devait gérer des catastrophes dans les maisons de repos et certains demandaient si on allait réduire la taxation du camping communal ou celle sur les secondes résidences… Cela m’a un peu plus choqué.”