La bourgmestre de Waterloo a besoin de comprendre pour agir. Alors face à la montagne de chiffres issus du Covid, Florence Reuter a relevé ses manches. Entre les explications de son responsable de plan d’urgence, l’expérience accumulée sur le terrain au fil des mois et ses contacts en tant que députée fédérale, la bourgmestre de Waterloo s’estime capable de jauger. Même si elle a été taraudée par le doute… et frappée de plein fouet par le Covid qui a causé la mort de son Premier échevin.

Alors que la Belgique est emportée, ballotée, par le tourbillon de la crise du coronavirus et que les premières mesures sont prises, Florence Reuter n’hésite pas: elle saisit son smartphone et envoie un SMS à Sophie Wilmès: “Là, je fais quoi…” Plus qu’une anecdote, cet échange de sms entre la député-bourgmestre de Waterloo et la Première ministre à propos de l’interprétation des mesures édictées par les niveaux de pouvoirs supérieurs révèle le flou dans lequel se trouvaient les bourgmestres, chargés de les appliquer.

Depuis son bureau vitré de l’administration communale, Florence Reuter scrute, décortique les chiffres fournis quotidiennement dans le cadre du suivi de la pandémie. “Je veux m’assurer que je ne passe pas à côté d’une situation particulière. Au début de la crise, on a beaucoup discuté avec le Planu (ndlr: fonctionnaire communal chargé des plans d’urgence). J’ai besoin de comprendre. Je ne peux pas parler de quelque chose que je ne comprends pas. Aujourd’hui, je ne peux pas interpréter les chiffres de manière scientifique mais j’arrive à jauger grâce à ces mois d’expérience.”

“ Au début de la crise, on passait son temps à trouver le juste milieu.”

Près de 12 mois après le déclenchement de la crise (cet interview a eu lieu en février), elle se souvient encore très bien de ces dizaines, centaines d’appels de ses citoyens qui ont rythmé les semaines de mars et d’avril. “Le tout début du confinement fut la période la plus compliquée pour moi en tant que bourgmestre. Il fallait digérer les informations qui venaient du niveau fédéral, comprendre les mesures, les appliquer. Ensuite, il y avait tout un travail d’équilibre à faire. Il y avait des cas particuliers partout, tout le temps. On passait son temps à trouver le juste milieu entre les mesures contraignantes de sécurité qui étaient nécessaires et le bien-être de la population. ”Par “on”, j’entends les bourgmestres.”

Dans cette crise, Florence Reuter perçoit le rôle du bourgmestre comme celui d’un chef d’orchestre. “La pierre angulaire pour gérer la mécanique”. Dans ce cadre, la bourgmestre discute, échange notamment beaucoup avec le chef de corps de la police. Dans l’optique, toujours, de trouver l’équilibre: “par exemple entre le ressenti qu’on a, en tant que citoyen et parce qu’on vit aux côtés des habitants et le côté plus systématique de la police, lorsqu’on doit mettre en place de nouvelles mesures.”

“Je ne vois plus personne. Je m’interroge beaucoup vu qu’on n’a plus le contact physique avec la population, cela a un côté perturbant.”

Ce contact avec la population, justement, a évolué. L’agenda vidé de manifestations, les permanences de la bourgmestre fermées… “J’ai parfois le sentiment d’être loin, tout en étant là, je réponds aux messages… Je ne vois plus personne. Je m’interroge beaucoup vu qu’on n’a plus le contact physique avec la population, cela a un côté perturbant. Il y a des jours où je dis à mon mari “est-ce que je suis une bonne bourgmestre ? Est-ce que je fais bien les choses ? ”

Traumatisée par le décès de son bras droit, Yves Vander Cruysen

En ce début 2021, pas un jour où la bourgmestre n’a une pensée pour son bras droit, son Premier échevin, Yves Vander Cruysen, décédé du Covid à 57 ans, fin novembre 2020. Les dossiers, les avancements des projets… sont autant de souvenirs liés à celui dont le bureau voisine celui de la bourgmestre. “On ne l’a pas vu venir, ni lui, ni moi. Je me souviens d’avoir encore râlé parce qu’il avait un peu de fièvre et qu’il venait travailler à l’administration. Je lui ai dit : “mais enfin, t’es dingue, reste chez toi!” Je m’en voulais après. On était très prudent mais on n’a pas réalisé que cela pouvait faire des dégâts si vite.”

La bourgmestre se remémore ces instants : “Quand il m’a envoyé un message pour me dire “dans 2 heures, je suis intubé, je ne serai plus joignable”, je lui ai répondu “t’inquiète, tu vas revenir plus fort.” Jamais, je n’ai pensé qu’il ne reviendrait pas. C’est traumatisant.”

Un traumatisme qui va la secouer jusque dans sa sphère familiale. En cette fin d’année, alors que les Belges s’interrogent sur l’organisation des fêtes de fin d’année, Florence Reuter ne veut pas prendre le moindre risque.

Fin février, l’arrivée de la nouvelle échevine apporte un vent d’optimisme. “C’est un nouveau souffle. On a laissé 3 mois avant de remplacer Yves, pour nous permettre de digérer car on a clairement eu un gros coup de déprime.”

Entre délations et générosité 

“D’un côté, la crise a fait ressortir de beaux sentiments de solidarité. Il y a eu des élans de générosité. Et à côté de cela, il y a la délation  “mon voisin a fait ceci”… Je trouve cela atroce. J’ai vu, j’ai entendu des trucs terribles concernant la délation.” Florence Reuter a le sentiment que la population est à bout. “Les gens ont besoin de perspectives. On est en première ligne de la lassitude”