« Phil, c’est le Belge parfait ! »

La relation entre Patrick Lefevere et Philippe Gilbert va au-delà de leurs succès au Tour des Flandres et à Paris-Roubaix.

« Je pense que j’ai un petit vélo dans le ventre. C’est un sport dur, sans pitié, qui procure des émotions très fortes. C’est un sport qui ne ment pas. »

Patrick Lefevere pourrait parler durant des heures de sa passion insatiable pour la petite reine. L’homme fort de Quick-Step Alpha Vinyl se montre aussi très loquace quand il s’agit de s’exprimer sur Philippe Gilbert. Durant trois ans, le Liégeois et lui ont vécu des moments très forts, dont les victoires au Tour des Flandres (2017) et à Paris-Roubaix (2019) constituent des instants d’anthologie que ni l’un ni l’autre n’oublieront.

Patrick, on imagine que vous vous souvenez bien de l’arrivée de Philippe Gilbert au sein du Wolfpack pour la saison 2017…

Évidemment. Entre Philippe et nous, ça a mis longtemps à se conclure. J’ai dû m’y reprendre à plusieurs reprises. La première fois que j’y ai pensé, il était en espoirs. Mais j’ai renoncé parce qu’il y avait cette histoire de cortisone. Ce n’était pas assez clair pour moi. Mais je suis revenu à la charge quand il était à la Française des Jeux. À chaque fois, je me faisais éconduire (rires). Puis, à la fin de sa fabuleuse année 2011, j’ai vraiment essayé. Nous sommes allés au restaurant avec Vincent Wathelet, son homme de confiance, et Eddy Merckx. Devant moi, Wathelet a déchiré le contrat proposé par BMC. On s’est fait un bisou et on a bu une bonne bouteille de vin. Pour moi, c’était fait. Mais un mois après, Wathelet a mangé sa parole. Le problème de Philippe à l’époque, c’est qu’il avait trois agents. Et négocier avec trois personnes, ce n’est pas mon truc… Puis en 2016, je reçois un coup de téléphone de Philippe. Il me dit: « J’ai des trous à combler dans mon palmarès et il n’y a que chez vous que je pourrai y arriver ». Je lui réponds que je n’ai pas les moyens de débourser l’argent qu’il demande. Mais, il me rétorque que l’aspect financier ne constitue plus un problème. On s’est mis d’accord sur un salaire annuel et des bonus en cas de victoire… Quelques heures plus tard, c’était en ordre. Philippe a toujours su ce que je pouvais me permettre financièrement. Après sa victoire à Paris-Roubaix en 2019, son statut a logiquement changé. Il aurait aimé rester chez nous mais je ne pouvais pas lui offrir plus qu’un an de contrat. Or Lotto-Soudal venait, à ce moment, avec un bail de trois ans. Je lui ai dit qu’il ne pouvait pas le refuser, que c’était une trop belle opportunité pour lui. Nos chemins se sont alors séparés.

Où situez-vous Philippe parmi tous les champions que vous avez eus sous votre coupe?

Je n’aime pas faire des comparaisons parce que chaque époque a ses spécificités et chaque coureur sa propre histoire. Une chose est sûre, cependant, Phil a une classe et un caractère assez rares, une rage de vaincre innée. Comme Johan (Museeuw) et Tom (Boonen), il fait partie de ces coureurs dont le palmarès parle pour eux. Phil, c’était ce jeune Wallon qui voulait courir en Flandres. Il a compris tout de suite que pour atteindre une autre dimension, il fallait rouler au nord du pays. Philippe s’est construit un fabuleux palmarès parce qu’il a aussi eu l’intelligence d’effectuer les bons choix. Certains, au sud du pays, auraient aimé faire de lui un coureur de grands tours, je pense.

Philippe est un personnage entier. Vous aussi. Est-ce pour ça que vous vous entendez si bien?

Sans doute. Il y a tout de suite eu un déclic entre nous. Je resterai toujours attaché à Phil. C’est un gars qui bosse très dur, sait ce qu’il veut. Il peut se montrer égoïste quand il le faut et partageur à d’autres moments. Il n’a jamais refusé de tenir un rôle d’exemple pour les plus jeunes.

Qu’est-ce que Philippe Gilbert a apporté à votre équipe?

Avant tout, des très belles victoires. Tout le monde se souvient de ses succès au Tour des Flandres (2017) et à Paris-Roubaix (2019).

Sa longue échappée au Ronde reste un exploit incroyable. Nous l’avions planifiée avec le reste de l’équipe mais encore fallait-il répondre présent au bon moment. J’étais en train de mourir (sic) dans la voiture tellement il y avait d’émotion. On réussissait le coup qu’on avait fomenté. C’était dingue!

À Paris-Roubaix, les autres coureurs ont tout de suite décidé de se mettre au service de Philippe. Surtout Yves Lampaert, qui a durci la course comme il sait si bien le faire. Quand Philippe est parti avec Politt, les conditions étaient réunies pour qu’il s’impose mais tout pouvait encore arriver. Paris-Roubaix reste une course à part où tout peut basculer à tout moment. Et puis, après 280 kilomètres, ce sont les jambes qui parlent.

Qu’est-ce que le Wolfpack a apporté à Philippe Gilbert?

On l’a mis dans les conditions idéales pour gagner les classiques qu’il voulait. Enfin, pour remporter deux des trois monuments qui manquaient à son palmarès… J’étais convaincu qu’il pouvait s’imposer au Ronde et dans l’Enfer du Nord. En revanche, j’ai toujours eu plus de doutes sur sa capacité à remporter Milan-Sanremo. Il n’aurait pu y arriver que dans des circonstances exceptionnelles, avec du mauvais temps, un vent latéral. Il aurait fallu une vraie bataille de guerriers avec un groupe de vingt échappés dans le Poggio. Mais ces dernières années, la Primavera a souri à des gens un rien plus explosifs que Phil.

Pourquoi Philippe est-il si populaire en Flandres, selon vous?

Parce que c’est un coureur qui attaque. La première fois qu’il a gagné le Circuit Het Nieuwsblad, qui était encore Het Volk à l’époque, c’était en partant de loin. Les gens aiment les coureurs d’instinct. Tu ne peux pas tricher avec les spectateurs. En outre, Philippe parle très bien le flamand, en plus de l’anglais et de l’italien. C’est pour ça aussi qu’il a toujours été bien vu dans ses équipes successives. Philippe sait également comment créer un groupe fort autour de lui. Quand il fallait bosser, il était le premier là. Mais il savait aussi faire la fête lorsque le moment était venu de décompresser.

Philippe a toujours été un coureur offensif. Il collait, donc, parfaitement à la philosophie de Quick-Step?

Oui, et c’était encore plus vrai dans la deuxième partie de sa carrière. Parce qu’il attaquait mais avec discernement. Il lit très bien la course. Donc, il sait quand il faut bouger ou pas.

Quel est votre tout premier souvenir de Philippe?

Je me souviens de lui, jeune. Il n’avait pas froid aux yeux. Mais c’est surtout son premier succès au Volk qui m’a marqué. Surtout pour la manière avec laquelle il est allé chercher la victoire. En attaquant à trente kilomètres de la ligne. C’était fort.

Qu’est-ce que cela vous fait de diriger des grands champions comme Museeuw, Boonen et Gilbert?

D’abord, des victoires (rires). Je suis quelqu’un qui aime bien payer ses coureurs, du moment que les résultats suivent derrière. Dans ce cas-là, toutes les parties y trouvent leur compte. Dans mon équipe, il y a des primes à l’objectif qui peuvent être assez élevées. C’est une excellente source de motivation pour les coureurs. En tant que patron, je ne cherche pas spécialement à avoir des relations privilégiées avec les coureurs. Mais avec certains, j’ai conservé des liens étroits. C’est le cas avec Phil. Nous sommes toujours en contact, lui et moi. C’est normal qu’il soit parti chez Lotto-Soudal. Il avait le profil idéal pour eux. Phil, c’est le Belge parfait. Il est Wallon et parle très bien flamand. Mais depuis qu’il est là, il a eu beaucoup de malchance. Je lui souhaite que ça aille mieux jusqu’à la fin de l’année, histoire qu’il parte en beauté.