L’accès à la terre demeure depuis toujours le privilège de riches propriétaires dans ce pays qui reste fortement marqué par la période coloniale.

Au moment où le Brésil accède à l’indépendance, soit le 7 septembre 1822, la répartition du territoire national est régentée par le concept des sesmarias, importé du Portugal dès le XVIe siècle et qui se présentait sous la forme de concessions de terres accordées à des particuliers par la couronne dans un but de mise en culture et de production, mais aussi de peuplement du territoire.

Un second concept majeur est ensuite introduit en 1850. Il s’agit de la Lei de Terras, première loi relative à la propriété privée de la terre au Brésil, qui instaure l’achat comme unique moyen d’acquisition des terres qui ne font pas partie d’un domaine particulier et représentent, à l’époque, la majeure partie du territoire national.

En d’autres termes, lorsque le Brésil abolit finalement l’esclavage en 1888, l’accès à la terre est l’apanage des grandes et riches familles qui s’y sont développées durant la période coloniale.

Ce n’est qu’une centaine d’années plus tard que la lutte paysanne pour l’accès à la terre s’accélère. Face à la pression populaire, et quelques jours seulement avant un coup d’État militaire, le gouvernement jette les bases d’une réforme agraire le 13 mars 1964.

Reprise en main par la junte, celle-ci trouve sa première application dans la loi sur l’Estuto da Terra, qui établit les conditions d’expropriation des terres ne respectant pas leur « fonction sociale », définie selon 4 critères (art. 186 de la Constitution) : mise en valeur rationnelle et adéquate ; utilisation adéquate des ressources naturelles disponibles et préservation de l’environnement ; respect des dispositions qui réglementent les relations du travail ; exploitation favorisant le bien-être des propriétaires et des travailleurs. Un droit d’usage sur ces terres peut alors être concédé par le gouvernement (assentamento) aux travailleurs ruraux, producteurs d’une agroécologie familiale.

Il faut cependant attendre 1986 et la fin de la dictature militaire pour assister à la première concrétisation de ce processus.

Aujourd’hui, la mise en œuvre de cette réforme se heurte à la mainmise de l’agrobusiness et autres grandes entreprises sur la concentration de terres dédiées aux monocultures tournées vers l’exportation.

Une agriculture familiale vitale pour le Brésil

Au Brésil, le secteur de l’agriculture familiale comptait environ 5 millions de travailleurs ruraux en 2006, selon une estimation publiée dans la Revista de Economia e Sociologia Rural. Sous l’impulsion de plusieurs programmes de soutien spécifiques adoptés par l’État fédéral à partir de 2003, ce nombre a rapidement augmenté, atteignant près de 15 millions de travailleurs ruraux moins de dix ans plus tard. Ce nombre représente à peu près 7% de la population totale du pays, lequel compte actuellement un peu plus de 214 millions d’habitants.

Une enquête de l’Instituto Brasileiro de Geografia e Estatística publiée en 2009 révélait quant à elle que cette agriculture familiale concentre 85% des exploitations du secteur, mais que celle-ci n’exploite que 25% de la superficie totale du territoire brésilien consacrée à l’agriculture (laquelle s’étend sur un total de 236 millions ha en 2020). Toujours selon cette étude, l’agriculture familiale génère un peu moins de 40% de la production agricole brut au niveau national. À l’inverse, 60% de celle-ci provient de la puissante agrobusiness locale, laquelle s’étend sur les trois quarts de la surface du sol brésilien dédié à cette activité, pour seulement 15% des exploitations du secteur.

L’agriculture familiale apparaît pourtant vitale pour le pays : deux tiers de l’alimentation des Brésiliens provient de ses cultures. Cela signifie aussi et en d’autres termes que l’essentiel de la production agricole du pays est réservé à l’exportation : selon les derniers chiffres publiés par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le Brésil a exporté en 2020 plus d’1 milliard de tonnes de nourriture, pour un revenu supérieur à 73 milliards de dollars, ce qui place le pays dans le trio de tête au niveau mondial.

Face à cet ogre en continuelle expansion, l’agriculture familiale souffre. Les travailleurs ruraux qui font le choix de travailler la terre pour nourrir leur famille, leur communauté, doivent faire face aux pressions expressions sous de multiples formes par l’agrobusiness locale, mais aussi les grandes entreprises nationales et les consortiums internationaux qui tentent de s’approprier l’essentiel des terres. Il résulte de cette triste réalité que l’accès à cette terre demeure particulièrement compliqué pour les travailleurs ruraux.

La Commission pastorale de la Terre (CPT), soutien aux résistances des communautés rurales

Les oppositions, parfois extrêmement violentes, entre les travailleurs ruraux de la réforme agraire d’une part et les grands propriétaires fonciers de l’agrobusiness d’autre part sont nombreuses au Brésil.

Dans ce contexte et afin de soutenir les premiers cités, la Conférence nationale des évêques, sous l’impulsion de Dom Tomás Balduíno, évêque de Goiá, a créé en 1975 la Commission pastorale de la terre (CPT).

Plus généralement, la CPT offre un appui à « tous ceux qui subissent des menaces et des violences de la part des voleurs de terre (les grileiros), des compagnies minières, des grands propriétaires en général et de ceux qui refusent à ces familles le droit d’acquérir un terrain pour produire ou de rester sur la terre où ils vivent, explique Saulo Ferreira Reis, l’un des coordinateurs de cet organisme dans l’État de Goiás. Plus précisément, elle enregistre et surveille les conflits, dénonce l’injustice et garantit à ces familles leurs droits à la terre. En outre, la CPT soutient tous les processus de résistance de ces communautés victimes de violences et les actions qui créent du travail et un revenu familial, de la production agricole sans pesticides, de l’émancipation des femmes, ainsi qu’un accès aux politiques publiques. »

« Sur l’ensemble du territoire national, nous avons répertorié plus de 27 000 conflits liés à l’accès à la terre, détaille Flávio Marcos, responsable du centre de documentation de la CPT. Sous le gouvernement précédent, celui de Jair Bolsonaro, les chiffres ont explosé

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