À Santa Helena de Goiás, la communauté Léonir Orback résiste face à la puissante agrobusiness voisine, mais aussi l’acharnement d’un juge local.

Face à la pression populaire, et quelques jours seulement avant un coup d’État militaire, le gouvernement jette les bases d’une réforme agraire le 13 mars 1964.

Reprise en main par la junte, celle-ci trouve sa première application dans la loi sur l’Estuto da Terra, qui établit les conditions d’expropriation des terres ne respectant pas leur « fonction sociale », définie selon 4 critères (art. 186 de la Constitution) : mise en valeur rationnelle et adéquate ; utilisation adéquate des ressources naturelles disponibles et préservation de l’environnement ; respect des dispositions qui réglementent les relations du travail ; exploitation favorisant le bien-être des propriétaires et des travailleurs. Un droit d’usage sur ces terres peut alors être concédé par le gouvernement (assentamento) aux travailleurs ruraux sans terre, producteurs d’une agroécologie familiale.

C’est pour revendiquer un tel droit que Wilmar Fernando do Santos et sa communauté sont venus s’établir sur une portion de culture de canne à sucre laissée à l’abandon dans la région de Santa Helena de Goiás.

« Nous occupons cette terre depuis maintenant 6 ans, explique celui qui est le leader de la communauté baptisée Léonir Orback. Quand nous avons appris que l’entreprise à laquelle appartient cette terre était en faillite et avait une dette envers l’État, nous nous sommes installés ici pour revendiquer cette terre. »

L’idée défendue par la communauté de Wilmar est simple : montrer au gouvernement qu’elle est capable de répondre aux critères qui établissent la fonction sociale de la terre et espérer ainsi recevoir un droit d’usage de la part de l’État fédéral.

« Mais la difficulté, c’est de produire de façon agroécologique, car nous sommes voisins de grandes fermes de l’agrobusiness, qui est très forte dans la région, pointe Wilmar. Or, eux, ils utilisent beaucoup de pesticides, qu’ils étendent sur leurs cultures non pas avec des tracteurs mais avec des avions ! Du coup, notre communauté et nos plantations sont également touchées. D’ailleurs six de nos membres ont déjà été intoxiquées en raison de ces produits chimiques. »

Criminalisation de la résistance

Au-delà des problèmes rencontrés par l’utilisation massive de pesticides par l’agrobusiness voisine, la communauté Léonir Orback de Wilmar doit également faire face aux pressions politiques et policières locales.

« Un juge de la région, ami des grands propriétaires locaux, a mené une action en justice afin de nous expulser et de faire reconnaitre le Movimento dos trabalhadores rurais sem terra (MST) comme un mouvement terroriste, dénonce ainsi le leader de la communauté. Plusieurs de nos membres ont été arrêtés à la suite de cette action. »

Wilmar nous explique ainsi que Valdir, un compagnon du MST, a écopé d’une peine de 6 mois de prison. Luis, un membre de la communauté, purge, lui, une peine d’un an d’emprisonnement. « Et une action est actuellement en cours contre Jessica et Natalino, deux autres membres de notre communauté, qui ont été contraint de s’exiler. » Si ce dernier s’est finalement rendu à la police d’un autre État, Jessica, elle, vit cachée dans un lieu tenu secret depuis des mois.

Soutenue activement par les équipes juridiques de la Commission pastorale de la terre (CPT) et d’autres partenaires, la communauté Léonir Orback a récemment obtenu que l’avis d’expulsion soit annulé, dans l’attente qu’une solution puisse être trouvée dans le différend opposant le gouvernement au propriétaire de la parcelle. Elle attend désormais le verdict final dans l’action entamée par le juge local dans le but de criminaliser le MST, qui organise la résistance des travailleurs ruraux sans terre.

« Nous sommes aujourd’hui environ 120 familles sur le camp d’occupation, reprend Wilmar. Nous ne sommes pas des criminels. Simplement des paysans qui veulent pouvoir cultiver cette terre. Notre seule volonté, c’est de pouvoir rester ici et produire. »

Un lourd tribut humain

Fondé en 1985, le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST) milite en faveur de la lutte des communautés rurales et organise l’occupation de territoires qui ne remplissent pas la fonction sociale de la terre, en marge de la réforme agraire (lire ci-contre).

« Le Mouvement des travailleurs sociaux sans terre aident les communautés locales à organiser la résistance face aux grands propriétaires voisins et face à l’utilisation surabondante de pesticides, explique Maria Moreira da Silva Neta. Pour cela, nous cultivons la terre, pour montrer l’utilité de ces communautés, ce ne sont pas des familles qui s’installent là pour ne rien faire, elles veulent participer à l’organisation de la société. C’est pourquoi elles redistribuent une partie de leurs récoltes aux plus nécessiteux et vendent également certains produits de leur activité agricole. Nous n’avons qu’un seul objectif : que ces familles puissent conquérir cette terre. Et pour cela, il faut résister et travailler la terre. »

Comme Maria, ils sont plusieurs centaines de milliers de travailleurs ruraux et militants du MST à lutter pour faire vivre des campements. Mais cette lutte a un prix, souvent dramatique.

Outre les pressions, les menaces de mort et les arrestations arbitraires, certains donnent leur vie pour la cause. En 2017, la Commission pastorale de la Terre estimait ainsi à 1722 le nombre de militants assassinés depuis sa création dans les années septante !

Le Brésil, un des leaders mondiaux de l’agrobusiness

Entre 2000 et 2020, le Brésil est le pays où la couverture forestière a perdu le plus de terrain : 54 millions d’hectares, selon l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cette réalité s’explique, en partie, par le développement de l’agriculture.

Premier producteur mondial de fèves de soja et de canne à sucre, le Brésil est également troisième producteur mondial de maïs et d’huile de soja, mais aussi le deuxième producteur mondial de viande de bétail et de viande de volaille. Avec 63 milliards de dollars en 2020, le Brésil trône par ailleurs au premier rang mondial des exportations en net.

En 2020, toujours, le Brésil était par exemple le deuxième plus gros exportateur mondial de bétail et le troisième plus gros exportateur mondial de volaille, de maïs et d’huile de soja. Avec 36 milliards de tonnes de céréales exportées, il faisait partie du top 5 mondial en la matière (avec les USA, l’Ukraine, l’Argentine et la Russie).

Enfin, le Brésil occupe la deuxième place en matière d’utilisation de pesticides (derrières les USA) : 377.000 tonnes de produits chimiques ont ainsi été déversés sur les cultures brésiliennes en 2020.

Tandis qu’un appareil récolte les fèves du soja battu par la moissonneuse, un autre tracteur passe juste derrière pour déjà planter la prochaine récolte.

Le paradoxe de l’historique Goiás, moteur de la réforme agraire

Soutenir l’émancipation des femmes rurales pour développer les communautés

À Minaçu, les terres immergées de Cana Brava et la menace invisible de Serra Verde

Les travailleurs « sans terre » : produire pour exister et résister

Les Quilombolas, héritiers de la résistance à l’esclavagisme

Occuper la terre pour en revendiquer le droit d’usage

Le Cerrado, joyau oublié de l’Amérique et défiguré par l’agrobusiness

Une réforme agraire pour redistribuer la terre