Entreprises du secteur de l’énergie ou exploitations minières : face aux travailleurs ruraux, ce sont des géants de l’industrie qui se dressent pour convoiter leurs terres dans la région de Minaçu. Pour certains, il s’agit d’une menace invisible. Pour d’autres, c’est un combat perdu d’avance.

Expropriés de leurs terres voici vingt ans pour la construction d’une centrale hydroélectrique, des centaines de familles de Minaçu estiment avoir été manipulées et volées par l’entreprise.

En 2000, la société Tractebel Energia, filiale brésilienne de GDF Suez, devenue Engie, a commencé les travaux de construction d’une centrale hydroélectrique à Cana Brava, au Nord-Est de Minaçu. Cette construction s’est accompagnée de la constitution d’un barrage, destiné à retenir les eaux du Rio Tocantins. Conséquence de cette opération, de nombreuses familles ont été contraintes de quitter leurs terres, aujourd’hui immergées.

« Les paysans étaient convaincus que cette construction apporterait du progrès dans la région, se souvient Agenor Costa Y Silva, membre du Movimiento dos Atingidos por Barragem (MAB). Ils faisaient confiance à Engie. »

Mais cette confiance a rapidement laissé la place à tout autre chose…

« Engie a déterminé lui-même les critères, assure Agenor. Ceux qui n’avaient pas de titre de propriété n’ont pas été reconnus comme éligibles pour une indemnisation. Seuls les grands propriétaires l’ont donc été. »

Pour les petits propriétaires, éligibles à l’indemnisation, le montant de celle-ci s’est toutefois révélé bien moindre qu’espéré.

« J’étais propriétaire de ma ferme et je disposais de deux appareils pour le dragage dans les mines, raconte par exemple Silviu José Gomes. Quand j’ai été exproprié, ils m’ont donné 19 000 R$. Or, j’ai appris que dans le Tocantins (NDLR : l’État voisin), un cas similaire avait été enregistré et l’indemnisation avait été de 1 million ! Je n’ai pas reçu ce que j’aurais dû recevoir. »

Quant aux paysans qui bénéficiaient d’un droit d’usage de la terre, mais pas d’un titre de propriété, « Engie leur a donné une carte de crédit d’un montant de 5 300 R$ (NDLR : l’équivalent d’environ 1 000 €) qui allait soi-disant résoudre tous les problèmes », reprend Agenor.

« Ils sont passés dans quelques maisons, mais n’ont pas prévenu tout le monde, se souvient Dita Carvalho Godinho. À ceux qui refusaient de quitter leur maison, ils disaient de prendre une raclette et de repousser l’eau qui allait arriver. Des familles ont été séparées. Nos maisons et le cimetière ont été engloutis. »

« 900 personnes étaient concernées et, à ce jour, 40 % d’entre eux n’ont toujours pas reçu d’indemnités », avance encore Agenor.

Plusieurs familles ont dès lors cherché à s’organiser, dans le but de conscientiser ces personnes sur le fait que leur terre avait bien plus de valeur que la somme donnée.

« La création de ce mouvement nous a permis de comprendre que nous avions des droits à faire valoir, atteste ainsi Valdivino Barbosa Soares. Depuis, nous luttons pour faire reconnaître ces droits. »

Vingt ans après la mise en service de la centrale (en mai 2002), les familles continuent de se battre. À plusieurs reprises, la justice a donné raison à Engie. « Parce que les avocats étaient corrompus », lance Agenor. Aujourd’hui, c’est le ministère public, soutenu par un parlementaire local, qui s’intéresse à l’affaire. De quoi raviver, un peu, l’espoir de ceux qui ont tout perdu et n’ont (presque) rien reçu.

Engie Brésil réagit : « La société a exécuté une décision du gouvernement fédéral »

L’installation du réservoir HPP et la délimitation de la zone font partie d’une résolution du régulateur du secteur énergétique fédéral brésilien ANEEL du 18 mai 2001, qui a déclaré toutes les propriétés dont l’acquisition serait nécessaire, indique ENGIE Brasil. Par conséquent, « la société n’a pas délibéré par elle-même sur l’expropriation des terrains nécessaires, mais a exécuté une décision du gouvernement fédéral, fondée sur l’intérêt public, par l’intermédiaire de l’organisme compétent (NDLR : l’ANEEL) », souligne Gil Maranhão Neto, directeur de la communication.

« Toutes les familles concernées par le projet, qu’elles soient propriétaires ou locataires, ont été correctement et dûment indemnisées, poursuit ENGIE Brasil. Cette déclaration est corroborée par le fait que certains demandeurs ont intenté des poursuites contre la Société et que toutes les réclamations supplémentaires ont été rejetées par les tribunaux. »

ENGIE Brasil précise en outre que « l’investissement de la Société dans la centrale hydroélectrique de Cana Brava (valeur au moment de la mise en œuvre) était d’environ 1,2 milliard de R$, y compris l’équipement, les travaux de génie civil, l’acquisition de terrains, les emplois directs et indirects et les impôts, et environ 74 millions de R$ étaient des investissements sociaux et environnementaux, dont 24 millions R$ ont été consacrés aux programmes environnementaux et 50 millions R$ aux programmes sociaux – suite à un programme global d’atténuation et de compensation imposé par l’agence environnementale fédérale brésilienne IBAMA. Il convient de noter que l’économie locale bénéficiant de la centrale hydroélectrique de Cana Brava et les municipalités environnantes de la centrale reçoivent une compensation financière (redevances) depuis 2002, également conformément à la législation brésilienne ».

Enfin, la société souligne le fait que « l’entreprise s’est toujours démarquée par l’embauche de main-d’œuvre locale, en plus de nombreux autres partenariats et projets sociaux mis en œuvre dans la région. Parmi les projets sociaux, nous soulignons qu’un centre de culture et de durabilité a été construit par l’entreprise dans la municipalité de Minaçu/Goiás ».

Sous leurs pieds, l’ombre de la Serra Verde

Curé dans la paroisse de Nossa Senhora dos Graças de Minaçu, le père Cornélio José dos Santos est agent bénévole de la Commission pastorale de la terre (CPT) de l’État de Goiás.

« Nous soutenons notamment 23 familles qui bénéficient du travail de la Commission pastorale de la terre et qui ont reçu l’usage d’une plantation communautaire à São Salvador, au Nord de Minaçu. »

Cette plantation est le fruit d’une redistribution de terre consécutive à la réforme agraire mise en œuvre dans la région à la fin des années 90. Achetée par le gouvernement auprès d’un grand propriétaire foncier, cette portion a ensuite été concédée pour usage à plusieurs familles de travailleurs ruraux.

« Ce travail est très important, car il va permettre à ces familles de recevoir cette année ce qu’ils n’ont pu avoir l’année dernière en raison de la sécheresse », souligne le père Cornelio.

Antonio Resende, surnommé Thor, est le leader de cette communauté qui réunit ces 23 familles. « Nous cultivons ici du manioc, du maïs et toutes sortes de courges, de façon agrobiologique, sur un espace de 10 hectares, dont la moitié est consacrée à notre banque de semences. » Cette dernière permet à la petite communauté de cultiver et conserver des semences antiques et créoles, pratiquement disparues aujourd’hui avec l’essor de l’agrobusiness.

« Le gouvernement nous a donné le droit d’usage pour cette terre. Mais certains de nous attendent toujours de recevoir le document officiel. Et cela prend du temps ».

Le problème est qu’une entreprise minière de premier plan, Serra Verde, revendique aujourd’hui l’exploitation de ce sol, lequel contient des métaux utilisés dans un grand nombre de procédés de fabrication de haute technologie et appelés terres rares.

« Or, quand des richesses sont trouvées dans le sol, l’État reprend son droit sur cette terre et peut autoriser l’exploitation de la croûte terrestre ». Autrement dit, si Thor et sa communauté conservent leur droit d’usage sur le sol, ils ne peuvent refuser qu’une entreprise minière investisse la roche sous leurs pieds, avec toutes les dégradations environnementales et les nuisances que comporte une telle exploitation.

« Les lois qui régissent les exploitations minières ont changé et ont introduit une grande flexibilité pour les entreprises qui ont dès lors beaucoup de pouvoir », souligne de son côté Saulo Ferreira Reis, coordinateur de la CPT. De quoi faire peser une pression plus forte depuis quelques années sur les épuales de Thor et de sa communauté.

« Est-ce que j’ai peur ? Non, je n’ai pas peur, rétorque pourtant l’intéressé ! Car nous sommes organisés et nous nous battons pour conserver notre terre ! »

Mineração Serra Verde Réagit : « La plantation n’est pas susceptible d’être affectée par le projet »

« La plantation communautaire de São Salvador, au nord de Minaçu, ne fait pas partie de la zone affectée par les licences d’exploitation ou d’exploration de Mineração Serra Verde – elle se trouve en fait à quelque 25 kilomètres des zones qui relèvent de l’empreinte opérationnelle actuelle et future de l’entreprise », explique Luciano de Freitas Borges, vice-président exécutif de Mineração Serra Verde.

« Mineração Serra Verde entretient un dialogue transparent et de bonnes relations avec les communautés locales autour de ses opérations et a mis en place un programme de communication sociale pour faciliter le dialogue continu avec les résidents de Minaçu et d’autres parties prenantes locales. »

« En conséquence, la communauté en question a été incluse dans une évaluation socio-économique régionale que Mineração Serra Verde a menée dans le cadre du processus d’autorisation plus large, principalement pour déterminer si les personnes qui y résident pourraient bénéficier ou être incluses dans les possibilités d’emploi que l’exploitation génère déjà, comme nous l’avons fait pour toutes les communautés situées dans un rayon de 80 kilomètres du site, mais sinon la plantation n’est pas susceptible d’être affectée par le projet car elle se situe en dehors de la zone d’exploitation envisagée. »

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