Au Brésil, les travailleurs ruraux, organisés en petites communautés, occupent des terres pour faire valoir leurs droits. Rencontre avec celle qui occupe le campement Dom Tomas Balduíno, à Formosa.

Occuper et cultiver une parcelle de terre : tel est le mode de résistance de centaines de communautés de travailleurs ruraux « sans terre » à travers l’État de Goiás. Pour montrer leur utilité. Pour prouver leur rôle sociétal dans un Brésil dont la survie dépend largement de l’agriculture familiale, mais dont le territoire est confisqué en grande partie par les gros propriétaires fonciers.

Selon les lois fédérales, l’accès à la terre s’obtient en effet soit par un titre de propriété, soit par la concession d’un droit d’usage. Si le premier reste le privilège d’une oligarchie héritée d’un colonialisme dont l’influence demeure profondément ancrée dans l’organisation contemporaine du pays, le second est le salut recherché par tous ces paysans jetés sur le bord des chemins, à la recherche d’une parcelle à cultiver, d’une parcelle où survivre.

Alors, lorsqu’ils dénichent une surface abandonnée ou ne remplissant pas la fonction sociale de la terre (lire ci-contre), ces « sans terre » s’organisent en petites communautés afin de prendre possession de celle-ci, résister aux menaces et pressions de la puissante agrobusiness voisine et lutter pour faire ainsi reconnaître leurs droits par le gouvernement et obtenir un droit d’usage (assentameno) sur la surface occupée.

« Nous faisons cela pour défendre nos valeurs, poursuivre notre résistance et permettre à chacun de se sociabiliser, d’abord au sein de la communauté, puis envers la société », explique Ana Maria, membre du camp d’occupation (acampamento) Dom Tomás Balduíno à Formosa.

Intimidations

De nombreuses menaces brandies par les gros propriétaires fonciers pèsent cependant sur les « sans terre ». Utilisation massive de pesticides, incendies volontaires, menaces de mort, recours à des milices armées : tout est bon pour tenter de déloger les communautés établies dans les différents campements d’occupation.

« En septembre, une grande partie de notre campement et de nos récoltes a été brûlé, témoigne ainsi Mácio Gomes. Nous n’étions pas du tout préparés. Le feu est arrivé vers 14 heures du haut de la colline. Lorsqu’on s’en est aperçu, il était déjà trop tard. La végétation était très sèche, le vent a soufflé très fort ce jour-là. On n’est pas arrivé à contrôler le feu. Nos maisons, notre église, nos serres : une grande partie de notre campement est parti en fumée. Cet incendie était volontaire ! Nous avons retrouvé des bandes antifeu qui ont permis au grand propriétaire voisin de protéger ses récoltes et son terrain. Il ne veut pas de nous ici. Chaque jour, nous devons lutter pour conserver notre terre. »

« Ça a été difficile pour nous ces dernières années, souligne Jair, membre du MST (lire ci-contre). Bolsonaro a été un grand président pour les grands propriétaires. Mais il n’a rien fait pour nous. Avec le retour de Lula, il faut laisser le temps pour voir : en 2002, il avait fait beaucoup pour nous ; maintenant qu’il est de retour, nous sommes plein d’espoir au sein du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre et nous attendons qu’il fasse une nouvelle réforme agraire. Car il faut que cela change. Car nous subissons aujourd’hui de fortes pressions de la part des grands propriétaires voisins qui ont soutenu Bolsonaro et qui disposent de leurs propres milices armées, nous avons peur pour nos vies. Mais avec le retour de Lula, nous sommes plein d’espoir : il nous faut une nouvelle réforme agraire. »

Un modèle de démocratie participative

Fondé en 1985, le Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST) milite en faveur de la lutte des communautés rurales et organise l’occupation de territoires qui ne remplissent pas la fonction sociale de la terre, en marge de la réforme agraire (lire ci-contre).

« Un camp d’occupation (un acampamento) s’articule en plusieurs secteurs, chacun étant responsable d’une thématique et géré par un ou plusieurs membres de la communauté, détaille Maria Moreira da Silva Neta, coordinatrice du mouvement dans la région de Formosa. Cela concerne donc la production, les finances, la santé, l’éducation, etc. Le but est que chacun puisse avoir la responsabilité d’une tâche. Quant aux décisions de nature plus politiques, elles sont prises par un conseil qui réunit des représentants de chaque zone du camp ».

Ana Maria est par exemple responsable de l’éducation sur le camp d’occupation Dom Tomas Balduíno. « Dès le début, l’objectif était d’alphabétiser les membres de notre communauté, car il y avait beaucoup d’adultes qui ne savaient ni lire, ni écrire. L’objectif était que le jour où ils reçoivent de l’État le document leur donnant un droit d’usage sur cette terre, ils soient en mesure de pouvoir le comprendre et le signer. Nous avons réussi à alphabétiser tous les adultes de notre communauté. Alors, aujourd’hui, nous continuons de travailler au niveau de l’éducation, notamment auprès des plus jeunes, car il y a des enfants ».

Comme Maria et Ana Maria, ils sont plusieurs centaines de milliers de travailleurs ruraux et militants du MST à lutter pour faire vivre des campements.

Mais cette lutte a un prix, souvent dramatique. En 2017, la Commission pastorale de la Terre (CPT, lire ci-contre) estimait ainsi à 1722 le nombre de militants assassinés depuis la création du mouvement !

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