C’est au début des années 70 que Yves Baré et son frère Guy décident de transformer les champs familiaux situés à Wihogne, à mi-chemin entre Liège et Tongres, en infrastructures de football. « Je crois que je devais avoir quelque chose comme neuf ans à cette époque », se souvient ainsi  Anne-Pascale, la fille de Yves, véritable légende du RFC Liège et Diable rouge à de multiples reprises dans les années 60. « Mes grands-parents, c’est-à-dire les parents de mon papa et de mon parrain Guy, étaient fermiers (NDLR : la ferme se trouve d’ailleurs toujours en bordure du complexe). Et quand ils ont cessé leurs activités, ils ont donné les terrains et les vergers aux deux fils, qui les ont de suite transformés en terrains de football, cinq au total, la grange servant alors de vestiaires. »

Il faut dire que, pour la famille Baré, le football était bien plus qu’une simple passion. « Oh, ça, c’est certain », sourit Anne-Pascale. « Le complexe était d’ailleurs devenu une véritable affaire familiale : pendant que les garçons s’occupaient des terrains, les filles tenaient la cafétéria. Moi, je gérais les courses et l’équipe derrière le bar. Chacun avait son petit rôle dans la vie et la gestion du complexe. »

Avec cinq terrains d’une qualité remarquable et des infrastructures de premier plan pour l’époque, le complexe attire tout de suite le gratin local, à savoir l’école de formation du Matricule 4 voisin. « Les jeunes du RFC Liège sont tout de suite arrivés, c’est vrai. Il faut dire que mon papa y avait été un grand joueur et donc les contacts ont pu se nouer facilement. Mais il n’y avait pas que les jeunes de Liège qui venaient s’entraîner. Je me souviens par exemple que Seraing est venu s’entraîner ici. C’était avec Georges Heylens qui venait de succéder à papa comme entraîneur du club. C’était la génération des Jules Bokandé, des Péruviens Percy Rojas et Juan Carlos Oblitas. C’est ici aussi que se déroulaient les épreuves de sélection provinciale au niveau de la prospection des jeunes, avant que le site de Blégny ne soit créé spécifiquement à cet effet. C’était toujours le grand rendez-vous annuel où il y avait un monde fou, c’était vraiment chouette comme période. Et puis il y avait aussi des sociétés qui participaient au championnat inter-corporatif et qui venaient s’affronter au complexe. »

Un site qui comprend 10 terrains

Face à ce grand succès, le complexe s’agrandit encore dans les années 90, se dotant de cinq nouveaux terrains. « C’est mon parrain qui a en effet racheté des terrains sur les hauteurs du site et qui les a transformés en terrains de football. »

Mais le début des années 90 rime également avec le début des difficultés financières qui s’emparent du RFC Liège, principal locataire des lieux. « Mon papa était un Sang et Marine de cœur, donc il avait tendance à accepter beaucoup de choses et, notamment, un certain retard du club dans le paiement des coûts de location. Malheureusement, quand la situation est devenue plus compliquée encore pour le club, celui-ci n’a plus payé. » Et donc le contrat a été rompu, laissant un site somptueux de dix terrains en parfait état sans équipe. Mais pas pour longtemps.

À une quinzaine de kilomètres de là, un autre club de la région liégeoise est alors en pleine ascension. Sous l’impulsion de Guy Thiry, un homme d’affaires bien implanté dans le tissu économique et politique local, le RCS Visé retrouve la nationale où il grimpe un à un les échelons, jusqu’à se retrouver dans l’antichambre de l’élite, la division 2.

Cette ascension sportive au rythme effréné s’accompagne également d’un développement généralisé des structures du club, en ce compris son école de jeunes, laquelle se retrouve rapidement à l’étroit dans le petit stade de la Cité de l’Oie. Et c’est ainsi que les jeunes de la « Visé Football Academy » débarquent à Wihogne, redonnant de nouvelles couleurs (bleue et blanche cette fois) au site.

De Santiago Bernabeu (le stade du Real Madrid) à San Siro (celui des deux clubs milanais) en passant par le Nou Camp du Barça, le Vélodrome de l’OM ou même le… Parc Astrid du Sporting d’Anderlecht, les dix terrains d’entraînements du complexe démarrent une nouvelle vie. « Au niveau des vestiaires aussi, le club de Visé a tout remis à neuf : le chauffage, le carrelage… », poursuit Anne-Pascale Baré. « En échange, ils avaient le droit d’utiliser les terrains gratuitement pendant une année. J’ai aussi commencé à travailler pour le club : j’y assurais le suivi des dossiers médicaux pour les joueurs blessés. Cela a duré trois ans. »

Mais comme avec Liège, le club visétois se retrouve au début des années 2010 sujet à des problèmes financiers. « À partir d’un moment, ils n’ont plus payé. Puis ils sont finalement tombés en faillite. »

Au sortir de l’exercice 2014-2015, Visé met la clé sous le paillasson. Et c’est une nouvelle période d’errance qui s’ouvre alors pour le complexe Baré de Wihogne.

Un peu plus de deux ans plus tard, le site n’a pas bougé. Certes la végétation commence tout doucement à recouvrir les banquettes de réservistes et la surface autrefois impeccable des terrains a laissé la place à de véritables champs de patate, mais le tableau d’affectation des vestiaires est encore complété comme il l’était la veille du départ du club visétois. Il ne faudrait vraiment pas grand-chose pour redonner vie à ce magnifique complexe. « Mais jusqu’ici, cela n’a jamais abouti à quelque chose de concret », regrette Anne-Pascale.

Il est vrai que, à l’heure où les clubs régionaux comptent soigneusement leurs deniers, la grandeur du site peut faire peur. « Il faudrait un repreneur de grande envergure », confirme d’ailleurs Anne-Pascale. « Il y a tout de même dix terrains, ce n’est pas un petit site ! Ma cousine (NDLR : la fille de Guy Baré) et son époux continuent de tondre les terrains, mais il est certain qu’il faudrait les retravailler. »

Le site ne manque pourtant pas d’attrait : « Outre sa taille, il est bien situé par rapport aux autoroutes, il est proche de la Flandre mais aussi des Pays-Bas, voire de l’Allemagne. Il y a du parking. Il suffirait juste qu’un mécène ou un investisseur ait le coup de cœur… »

Une place aussi pour la fête

En attendant, le site s’est rendormi. « Aujourd’hui, ce sont les petits-enfants de Yves et Guy qui s’occupent du site, mais chacun a son travail, ses activités. » Mais cet abandon n’a en rien effacé de sa mémoire quelques souvenirs mémorables pour Anne-Pascale : « On a vraiment vécu de chouettes moments. Notamment quand on était de grands ados et que le club de hockey de Liège venait y organiser des fêtes et des spectacles mémorables. Je me rappelle aussi une fête de Nouvel An que nous avons organisée dans la buvette un hiver où il a fait particulièrement rude. C’était dans les années 70 et les gens du village étaient venus à pied, car les routes étaient impraticables. Mais cela ne nous a pas empêchés de faire une belle fête ! Les repas étaient servis sur des grandes tables dressées dans les vestiaires tandis que la soirée dansante se faisait dans la buvette. »

Tour à tour école de formation pour jeunes Sang et Marine ou jeunes Visétois, cadre insolite de fêtes familiales ou lieu de rendez-vous pour des clubs et autres groupes, le site de Wihogne avec ses 10 terrains (dont 8 disposent de l’éclairage !) et ses 11 vestiaires, bijou footballistique abandonné et témoin de la passion débordante pour le foot de la famille Baré, attend donc désespérément le sauveur qui lui rendra de nouvelles couleurs.

« Le club de Liège est en train de renaître de ses cendres, mais auront-ils un jour l’envie de revenir ici ? Je me souviens à ce propos que Gaëtan Englebert (NDLR : actuel directeur général du RFC Liège) venait s’entraîner ici quand il était jeune », sourit encore Anne-Pascale… Qui sait si, un jour, le RC Liège et Wihogne n’avanceront pas à nouveau main dans la main ?

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Des arbres qui poussent au milieu d’une tribune, de la rouille qui ronge les pylônes d’éclairage, des graffitis qui jonchent les murs des vestiaires, des fantômes du passé qui se souviennent de leurs exploits: L’Avenir est parti à la découverte des terrains de football abandonnés de Wallonie.