De grandes bâtisses en pierres du pays, de vastes champs à perte de vue, quelques bosquets couvrant le haut des crêtes alentour, des vaches broutant l’herbe grasse des chavées : le décor est planté. Niché au cœur du Condroz, le petit village des Avins, situé sur la commune de Clavier, abrite ce qui ressemble à l’un des derniers bastions de ce fameux « esprit de clocher », si cher et si révélateur de notre Wallonie rurale.

Au détour d’une petite route bosselée à peine plus large qu’une voiture, se dresse l’antique tribune de ce qui abritait autrefois le club de football du village : le Stade Edmond Marchand, du nom du premier président du FC Les Avins. Un « vrai » club de village, où les vaches d’aujourd’hui ont remplacé les joueurs de foot d’hier.

Des vaches sur la pelouse, cela rappelle inévitablement le premier terrain qu’a occupé ce petit club condrusien. « C’était un peu plus haut, le long de la route de Clavier », se souvient Jacky Lecouturier, ancien délégué, bénévole et comitard. « La semaine, le champ était occupé par des vaches. Et le week-end, c’est le football qui en prenait possession, tandis que les joueurs allaient se changer dans le café situé à quelques dizaines de mètres de là. »

Puis, en 1974, le club déménage aux abords des carrières Vanderpoorten. « Avec d’autres bénévoles et membres du comité, nous avons construit le clubhouse, la buvette. Tout le monde a mis la main à la pâte : les carrières voisines nous fournissaient les pierres, il y avait un plombier dans le comité qui s’est occupé des douches, le charpentier du village a réalisé la charpente… Le tout bénévolement. Le foot permettait aux gens du village de se rencontrer, de se rapprocher. Le stade de foot, c’était en quelque sorte la maison de la culture du village (rires). »

Jacky Lecouturier, là où il avait autrefois coutume de se positionner pour prendre les nombreuses entrées des villageois venus passer le dimanche au stade

Un « vrai » club de village

Il est vrai que ce qui caractérise avant tout cet ancien club, c’est cette dimension spécifiquement villageoise. Jusqu’à sa disparition en 1992, le club était en très large majorité fréquenté par des jeunes du village, de l’entité. « Quand j’allais voir mon fils Mathieu jouer, tous les joueurs de l’équipe venaient de l’entité à l’exception de deux gamins qui provenaient de hameaux de la commune voisine (NDLR : Vyle-Tharoul). Cela avait le don de créer une très belle ambiance entre les joueurs. D’ailleurs, malgré l’éloignement des études supérieures par la suite, ce groupe a continué de se voir et joue même parfois encore ensemble, à l’occasion. C’est devenu comme une deuxième famille. »

Autrefois, la tribune faisait régulièrement comble lors des grosses affiches

Une deuxième famille pour les jeunes, les joueurs, mais aussi pour les adultes, les suiveurs : « C’est vrai, c’était à une époque où le plaisir passait avant tout et où les parents se déplaçaient encore massivement pour suivre leurs enfants. Nous étions par exemple trois papas de joueurs à nous relayer pour endosser le rôle de délégué les jours de match. Le dimanche, venir au stade voir les gamins jouer coïncidait avec la sortie du week-end. Il ne fallait pas forcément aimer le football pour s’y plaire. Mais c’était avant tout l’occasion d’y croiser les voisins. »

Le « Clasico du Condroz »

Aujourd’hui, jeunes et parents ne fréquentent plus trop le club de La Clavinoise, club issu de la fusion entre les anciens frères ennemis de Clavier et des Avins. « Tout simplement parce que la plupart des joueurs ne viennent plus des villages de l’entité. Le fric a tout tué, y compris dans le football provincial », regrette ainsi Jacky. « Prenez l’école du village. Dans le temps, les gamins qui jouaient au foot dans la cour de récréation formaient deux équipes : ceux de Clavier et ceux des Avins. Et on entendait les cris d’encouragement jusque dans la rue : « Allez Clavier », « Allez Les Avins ». Aujourd’hui, on entend plutôt des « Allez Anderlecht » ou des « Allez Standard »… »

Il faut dire que le club des Avins jouait en rouge et blanc, alors que Clavier a toujours joué en mauve ! Une sorte de « clasico » du Condroz, en quelque sorte. « Oui, c’est vrai », sourit Jacky. « Il y avait une grosse rivalité entre les deux clubs et les derbys étaient toujours intenses, ils réunissaient énormément de monde autour du terrain et dans la buvette. Je me rappelle aussi que nous avons eu pendant quelques saisons une équipe composée de jeunes plutôt doués et qui ont joué ensemble depuis les scolaires jusqu’en équipe première, où ils sont montés de P3 en P2. Il fallait voir Clavier cravacher pour essayer de suivre le rythme (rires) ! »

Dans une petite commune qui compte aujourd’hui 4.000 habitants, pour 400 âmes au village des Avins, il n’était donc pas rare de voir 100, 200 personnes et plus encore lors de derbys, arpenter les abords du stade Marchand, le dimanche.

« Ce genre de matches drainait naturellement beaucoup plus de monde que ce que l’on voit aujourd’hui. Et il n’était pas rare de voir 50 ou 60 personnes terminer le week-end à la buvette tard dans la soirée… », se souvient encore Jacky.

Photographe de son état, Jacky Lecouturier a gardé quelques précieux souvenirs de la grande époque du club, lorsque tout le village se déplaçait au stade pour assister au derby

Une fusion économique

Mais au crépuscule de la saison 1991/1992, le FC Les Avins abandonne son nom, ses couleurs et son matricule, au profit donc d’un nouveau club, produit de la fusion réalisée avec son rival de toujours.

Une fusion qui trouve sa nécessité sur le plan financier : « Le club de Clavier poussait en faveur de la fusion et celui des Avins freinait. Mais, en définitive, d’un point de vue économique, cela semblait être la meilleure solution pour tout le monde. Par contre, il n’était pas question que l’un des deux clubs avale l’autre et c’est pourquoi on a exigé que le nom devienne « Clavinoise », mélange de « Clavier » et « Avins ». »

Voici près de trente ans que les vestiaires sont vides

« On a d’ailleurs essayé de mélanger les deux clubs : les comitards, les joueurs… Gaby Lambotte, alors président du FC Les Avins, a par exemple pris la présidence du club fusionné. Aujourd’hui encore, des membres du comité de la Clavinoise sont d’anciens membres du club des Avins, comme Philippe Tasiaux. Malheureusement, l’esprit de village a disparu au sein du club. Ce ne sont plus des joueurs qui viennent du coin, hormis ceux d’une équipe réserve qui s’est constituée autour d’anciens et qui draine davantage de spectateurs que l’équipe première ! »

Sept mètres de dénivelé

Pour pallier le vide créé par la disparition du club, plusieurs habitants des Avins ont depuis lors uni leurs forces et leurs idées afin de développer une nouvelle structure dont le but est de dynamiser la vie du village par le biais, non plus cette fois du football, mais bien d’ateliers créatifs : L’Ateliers ASBL.

Quant au terrain, il n’a pas beaucoup changé depuis lors.

Les 7 mètres de dénivelé qui séparent le point de corner côté buvette à celui situé à l’opposé, côté parking, sont toujours là.

Et si la tribune et les cahutes des réservistes s’écroulent petit à petit suite aux quelques pierres et hourdis disparus, la buvette, elle, trône toujours au sommet de la crête, bien que saccagée par plusieurs squatteurs tout au long de ces vingt dernières années. « Le local a été dans un premier temps repris par les patronnés, mais, au bout d’un moment, les pompiers les en ont délogés car le bâtiment commençait à devenir insalubre. Depuis, il est à l’abandon. C’est triste. D’autant que nous avions fait tout nous-mêmes », rappelle Jacky, aujourd’hui mémoire vivante du petit club condrusien disparu en 1992 et que les livres d’histoire ont aujourd’hui oublié…

WALLURBEX FOOTBALL CLUB | Tous les épisodes

Des arbres qui poussent au milieu d’une tribune, de la rouille qui ronge les pylônes d’éclairage, des graffitis qui jonchent les murs des vestiaires, des fantômes du passé qui se souviennent de leurs exploits: L’Avenir est parti à la découverte des terrains de football abandonnés de Wallonie.