La vie du petit club de Vesqueville, situé au cœur de l’Ardenne profonde, s’est brutalement arrêtée un samedi matin d’octobre 2016 : « On devait jouer contre Nassogne ce jour-là », se rappelle Chantal Jamotte, qui a occupé les fonctions de présidente au club durant de nombreuses années. « Mais une fois arrivée sur place au matin, j’ai constaté que des sangliers étaient venus saccager le terrain pendant la nuit ! On a pu s’arranger avec tout le monde pour disputer le match sur le terrain de Nassogne, mais on n’a plus joué sur notre terrain après ça… »

Il faut dire que, dans la foulée, le boiler servant à chauffer l’eau des douches a rendu l’âme. « Or, comment peut-on attirer des joueurs dans ces conditions ? », s’interroge l’ex-présidente. « Déjà que, chez nous, quand tu te lavais dans un des deux vestiaires, il n’y avait pas d’eau dans l’autre… »

C’est vrai que le petit club de Vesqueville a longtemps drainé cette réputation dans la région de club fait de bric et de broc. « C’est la brousse, ici. La commune aurait mieux fait de tirer une ligne électrique depuis la route, plutôt que de louer un groupe électrogène durant 15 ans », ironise encore Chantal. « Mais bon, c’est si beau ici, avec les petits oiseaux… Malheureusement, nous n’étions qu’un petit club qui n’avait que peu de poids au sein de la commune. On a beau s’être serré les coudes avec les autres petits clubs (NDLR : Poix, Arville, Awenne), on ne pouvait rien faire face au club de Saint-Hubert qui a eu la chance d’avoir un gros sponsor et dont, en plus de cela, la commune a racheté le terrain… Ce qui me fait le plus de mal, c’est que le bourgmestre et l’échevin des sports de la commune ont joué ici ! C’est d’ailleurs le papa de ce dernier qui a fondé le club. Et on l’a pourtant laissé mourir… »

De zéros à quasi « Héros »

Malgré cette amertume, la passion de Chantal Jamotte demeure intacte, même si le club a donc dû courber l’échine après 55 années d’existence, dont 18 sous l’égide de son illustre présidente : « En 18 ans, j’en ai collectionné, des souvenirs, c’est normal. Beaucoup de bons, heureusement ! Mais aussi quelques mauvais, comme la fois où on a encaissé 27 buts sur un même match… » Un souvenir pérennisé notamment par l’évocation bourrée d’autodérision de cette fameuse affichette qui trônait derrière le bar de la petite buvette : « Ici, on ne marque pas, on encaisse ! »

Preuve de cette propension à aller rechercher les ballons dans leurs propres filets, les joueurs de Vesqueville ont été approchés en son temps par la production des « Héros du Gazon », la série humoristique entre-temps devenue célèbre sur les antennes de la RTBF. « Au départ, les joueurs étaient emballés par l’idée. Mais à force d’en parler et d’en parler et d’en parler… Certains ont commencé à douter, car c’était finalement dévoiler une partie de leur vie privée. Et puis quand les contacts ont été plus concrets, on s’est rendu compte que les épisodes étaient fort scénarisés. Du coup les joueurs ont préféré renoncer. De toute façon, un joueur qui arrivait la clope au bec à 14h45 pour un match à 15 heures, ça s’était déjà vu chez nous ! Pas la peine de scénariser ça… ».

Pareilles anecdotes, Chantal en a toute une collection, toutes plus improbables les unes que les autres, comme lors de cette curieuse trouvaille un jour d’été : « On est arrivé au terrain, pour notre match, et il y avait des ballots qui avaient été entreposés dessus ! C’est vrai qu’on savait déjà qu’on avait des chèvres sur le terrain, mais là on avait donc aussi les ballots », plaisante ainsi celle qui, avant de tenir le club à bout de bras, avait aussi été joueuse de l’équipe féminine. « En tout, je serai restée 32 ans au club. »

Un club où, pour compenser une réussite sportive peu évidente, la dimension familiale prenait tout son sens, avec de sacrés personnages : « Je pense notamment à Alain Philippe, qui a coaché pendant 10 ans à Vesqueville, chez les dames comme chez les hommes ! Il fallait du courage. Et il ne manquait pas d’humour. On a fait quelques virées mémorables. Il y a aussi José Thomas, qui a joué jusqu’à ses… 57 ans ! Il n’a jamais quitté le club. Et bien sûr aussi Marylou : elle faisait partie des membres fondateurs du club et a été désignée meilleure bénévole de la province ! En hiver, elle faisait le tour du terrain avec sa bouteille de péket pour réchauffer les quelques supporters présents ! Le plus dur, c’était de descendre le petit talus entre la buvette et le bord du terrain. Marylou est déjà tombée, mais elle n’a jamais cassé la bouteille de péket ! »

Témoins de cette ambiance familiale, de nombreux jeux pour enfants jonchent encore aujourd’hui le sol de la buvette : « Il y a quelqu’un qui gardait les enfants pendant les matches », explique Chantal. « Vous savez, il arrivait parfois que des joueurs ne savaient pas venir au match parce qu’ils avaient la garde de leurs enfants. Avec cette parade, tout s’arrangeait : les joueurs concernés pouvaient venir jouer et les enfants se faisaient des petits copains tout en jouant. »

Une équipe dames régulièrement « à 4 pattes »

Mais si ces vestiges jonchent aujourd’hui le sol, c’est parce que le club a aussi connu son lot de vandalisme. « C’est isolé, donc c’est facile de venir casser une vitre et de voler quelque chose… », regrette Chantal. « On a par exemple eu un groupe hydrophore pour les vestiaires, mais on nous l’a volé. Quand le club a cessé ses activités, on a tout rangé, notamment les jeux de la buvette dans de grands sacs. Mais on a eu un squatteur et celui-ci a tout saccagé… »

Mais il en faut décidément plus pour faire perdre à Chantal Jamotte son beau sourire au moment d’évoquer de sa « carrière » de joueuse. « J’ai joué jusqu’à 54 ans ! Je jouais d’ailleurs avec ma fille au sein de l’équipe dames… Ah, cette équipe dames… Je vous assure que c’était quelque chose ! Et la troisième mi-temps n’avait rien à envier à celle des hommes ! On terminait régulièrement à 4 pattes et on se balançait des noms d’oiseaux, et des pires même ! »

Il faut dire que, entre ses obligations de présidente-bénévole, celles de joueuse et même celles de coach chez les jeunes, Chantal avait fait du terrain de la JSC sa seconde résidence. « J’y étais tous les jours »…

Mais des problèmes de santé aidant, Chantal a donc décidé de ne plus se battre pour composer un noyau où le manque de soutien des édiles et les dégradations des sangliers ou autres voleurs ont eu raison de sa légendaire motivation : « Je remercie toutes les personnes qui nous ont aidés et je déteste toutes celles qui nous ont détruits », lâche-t-elle d’un air sombre. « Et je souhaite à Fanfan de passer ici d’aussi belles années que celles qu’on a vécues ici, à Vesqueville. »

C’est que, selon les dernières rumeurs de village, c’est donc « Fanfan » qui reprendrait la gestion du lieu. Mais pas pour recréer un club de football. « Pour un terrain de motocross », sourit Chantal. C’est vrai que le terrain et ses crevasses formées par les sangliers, y semblent pour le moins propice…

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Des arbres qui poussent au milieu d’une tribune, de la rouille qui ronge les pylônes d’éclairage, des graffitis qui jonchent les murs des vestiaires, des fantômes du passé qui se souviennent de leurs exploits: L’Avenir est parti à la découverte des terrains de football abandonnés de Wallonie.