Les prairies de Philippe Voss avaient été noyées par la Vesdre. Même si les tonnes de déchets ont été évacuées, un an plus tard, tout n’est pas réglé et l’agriculteur se pose beaucoup de questions.

Les déviations qui jalonnent le parcours pour atteindre la ferme des frères Voss, à Limbourg, en disent déjà long sur la situation dans cette région traversée par la Vesdre : non, la catastrophe des inondations n’est pas qu’un pénible souvenir. Elle rythme encore le quotidien des habitants des communes sinistrées.

Sur les bords de la rivière, les engins de chantier s’affairent pour réaménager les berges. Dans les prairies de la ferme Voss, les grues et pelleteuses côtoient les limousines et les blondes d’Aquitaine depuis des semaines. C’est là, au milieu de son élevage de vaches allaitantes bio que Philippe Voss a fixé le rendez-vous pour évoquer ce terrible 14 juillet 2021. Lorsque la Vesdre a noyé 25 hectares de ses prairies qu’elle traverse habituellement paisiblement. Y charriant des tonnes de cailloux, des voitures, des citernes à mazout, des bobines métalliques de la câblerie d’Eupen, des arbres ou encore des palettes entières de la beurrerie Corman de Baelen.

« J’avais quitté les lieux vers 22 heures. Je ne m’attendais pas à découvrir un tel désastre quand je suis revenu le lendemain… », évoque Philippe Voss en détournant un regard embué.

500 conteneurs de déchets

À l’époque, un énorme élan de solidarité citoyenne leur avait permis, à son frère et lui, de rester debout. Des dizaines de bras de bénévoles et des engins de chantiers de privés, mais aussi mandatés par la Province, avaient dégagé l’équivalent de 500 conteneurs de déchets divers.

Pourtant, un an plus tard, même si les vaches sont revenues dans ces prairies, tout n’est pas réglé, loin de là, déplore Philippe Voss. Sur un terre-plein en surplomb à une cinquantaine de mètres de la rivière, un énorme amas de pierres, de blocs de béton et de terre voisine un bâtiment de la ferme.

« J’ai demandé au SPW quand cela serait enlevé, mais on m’a répondu que ce qui est sur ma propriété m’appartient ! Il y a 300 ou 400 bennes à évacuer… »

On avait aussi promis à Philippe Voss qu’on apporterait de la terre arable pour réparer les zones où la Vesdre a pelé les prairies jusqu’aux pierres et graviers. Il attend toujours. « Je comprends qu’il a fallu aller plus vite pour les villes et les villages, dit-il. Mais on voudrait bien qu’on réhabilite nos prairies aussi. Moi, je ne vis pas des cailloux, je vis de la terre et je voudrais récupérer mon outil de travail en ordre. À certains endroits, il manque un demi-mètre de bonne terre. ça fait sans doute 300 bennes. Comme pour les clôtures arrachées, ce n’est pas couvert par le fonds des calamités. Il y en a pour des centaines de milliers d’euros, mais ce n’est pas à nous de payer pour les erreurs commises au barrage d’Eupen ! »

Avec les berges mangées par l’eau, parfois sur plus de deux mètres et les zones de prairies devenues désert minéral, les pâtures ont été morcelées et réduites de plusieurs hectares, dit Philippe Voss. Qui a donc été forcé de se séparer d’une soixantaine de bêtes, faute d’espace suffisant pour les nourrir.

Des animaux encore blessés aujourd’hui

« J’ai aussi perdu 8 veaux, déplore-t-il. Leurs sabots sont plus tendres et ils se sont blessés dans les graviers et cailloux, puis on fait de l’infection… » En mars, un autre a été retrouvé noyé dans un trou que la SWDE a fait dans une prairie pour réparer une canalisation. Trois mois plus tard, même si on a placé des barrières de protection, le trou est toujours là et l’assurance n’a toujours pas remboursé…

Concernant les risques de noyade de ses bêtes, l’agriculteur s’inquiète d’ailleurs des travaux en cours dans la rivière. Le SPW envisage de creuser le lit jusqu’à un à deux mètres de profondeur, entre le pont à la sortie de Dolhain et celui en direction et situé en aval. Soit à peu près 500 mètres au travers des prairies de l’agriculteur. « Déjà, je ne comprends pas l’utilité de ces travaux, ça ne va pas empêcher l’eau de sortir, dit-il. Mais en plus, mes vaches n’auront plus le gué qui leur permet de passer d’une prairie à l’autre. »

Des prairies où, çà et là, on aperçoit encore des détritus divers que la rivière recrache régulièrement quand elle se gonfle un peu. Et puis aussi quelques zones noircies, sans herbes. Les traces de feu ? « Non, ce sont les endroits où il y avait les paquets de beurre. Une partie de cette matière grasse a fondu et, depuis un an, plus rien ne repousse… »

En attente d’un rapport sur la pollution

La question de la pollution tracasse d’ailleurs Philippe Voss. Il aimerait obtenir les résultats des analyses que l’ISSeP (Institut Scientifique de Service Public) a effectuées en janvier. « L’Afsca m’a donné le feu vert pour remettre mes bêtes et m’a dit que je n’avais aucune inquiétude à avoir. Mais ce que je veux c’est les résultats sur papier ! »

Un an après la catastrophe, le fermier de Limbourg se pose donc encore beaucoup de questions concernant l’avenir de son outil de travail. « Je sais que des gens ont tout perdu et qu’on ne sait pas tout régler d’un seul coup. Mais ce serait bien qu’on pense un peu à nous et qu’on nous apporte des réponses… »

Plus de 11 000 véhicules ont été détruits ou endommagés dans les inondations, selon les chiffres compilés par la Région wallonne. Les assureurs, eux, sont intervenus pour 6 922 véhicules assurés en omnium (ou petite omnium). « Et une bonne partie d’entre eux étaient en sinistre total », dit-on chez Assuralia.

Ces véhicules hors d’usage auraient logiquement dû aboutir dans un des 110 centres de recyclage agréés en Belgique. Une obligation légale que, dès le mois d’août 2021, la ministre de l’Environnement, Céline Tellier (écolo), avait rappelée. Précisant aussi que l’exportation des véhicules hors d’usage ou la vente privée de l’épave s’apparente à l’exportation de déchet dangereux et requiert, notamment, de solliciter préalablement le consentement explicite des autorités compétentes du pays de départ et du pays de destination.

Dans les faits pourtant, les centres de recyclage n’ont vu passer que… 1 242 véhicules détruits dans les inondations. FEBELAUTO, la fédération des recycleurs, qui a tenu cette comptabilité avait en effet demandé à ses membres d’indiquer la mention “FL” (pour flood, inondation) sur le certificat de destruction réglementaire.

Alors, où sont passées ces épaves de véhicules inondés ? Si certains véhicules, oubliés dans les dédales administratifs, sont toujours stockés chez des dépanneurs, un nombre important est rentré dans le circuit de l’occasion, dit FEBELAUTO. À l’étranger mais aussi en Belgique. Certains véhicules ont ainsi passé la frontière pour aller se faire “toiletter” au karcher avant de revenir chez nous pour être vendus. « J’ai notamment discuté avec des revendeurs hollandais qui m’ont dit avoir reçu beaucoup de véhicules plein de boue qui venaient de Belgique », dit Catherine Lenaerts, la directrice de la fédération. Des « pratiques peu scrupuleuses », dit-elle. Voire même « totalement illégales et répréhensibles » lorsqu’il s’agit de la vente de véhicules hors d’usage à des opérateurs non agréés, avait précisé la ministre Tellier.

Chez FEBELAUTO, on pointe les experts automobiles, eux-mêmes mis sous pression par certains assureurs pour qu’ils ne déclarent pas les véhicules en perte totale technique mais plutôt en perte totale économique. Ce qui permet alors de le réintroduire sur le marché parallèle de l’occasion et d’en retirer plus que les quelques centaines d’euros payés par un centre de recyclage, note Catherine Lenaerts. Mais la pratique n’est pas sans danger, ajoute-t-elle. Car ces véhicules qui ont été inondés peuvent connaître des pannes, y compris en lien avec la sécurité. À la suite de ces inondations de l’été dernier, FEBELAUTO a plaidé auprès des autorités politiques et des assureurs pour avoir des critères plus clairs et homogènes pour déclarer un véhicule inondé en perte technique totale. « Comme par exemple en France où, dès que l’eau a atteint l’assise du siège le véhicule est déclassé. »

Le travail colossal de la gestion des déchets et pollutions

Lors des inondations, près de 10 000 hectares ont été sous eau. Une eau en furie qui a évidemment charrié son lot de débris, déchets et polluants en tous genres. La Région wallonne a ainsi organisé et financé l’évacuation et le traitement de 152 000 tonnes de déchets. directement engendrés par les inondations. Un temps stockés sur trois sites de regroupement, ils ont été assez rapidement absorbés par les filières de recyclage et d’incinération.

Pour les terres et les boues, au tonnage au moins équivalent, c’est une autre histoire. Une partie de ces terres et boues sont encore sur sites, dans les communes ou même sur des terrains privés, comme c’est le cas par exemple chez l’agriculteur Philippe Voss (voir ci-contre).

Le gouvernement wallon a confié une mission déléguée à la SPAQuE (Société publique d’aide à la qualité de l’environnement) qui doit les regrouper pour un tri et un prétraitement avant de les envoyer vers des filières de valorisation. Le port de Statte, à Huy, a été envisagé. Mais la Ville s’y est opposée, craignant le charroi, le bruit et la poussière de cette activité. Libérée de ses déchets, c’est finalement la bretelle de l’A601, sur les hauteurs de Liège (photo), qui a été retenue pour ces activités de prétraitement. La SPAQue a déposé une demande d’extension de permis temporaire et le site devrait débuter son activité avec les boues de la commune de Chaudfontaine, a récemment indiqué la ministre de l’Environnement Céline Tellier. Mais la SPAQuE étudie également la possibilité d’utiliser un troisième site de regroupement, en bord de Meuse dans la région d’Oupeye. Vu les quantités, ces opérations de stockage et de prétraitement devraient durer au moins jusqu’à la fin de l’automne.

Terres agricoles : une analyse par coups de sonde

Ces boues et ces terres, mais aussi et surtout les terrains qui ont été inondés chez des privés, sont-ils pollués ?

Assez rapidement après la catastrophe, la Wallonie a demandé à la SPAQuE de réaliser un monitoring des sols pour mesurer un éventuel impact chez les personnes sinistrées. Vu l’ampleur des inondations, c’est sur base de déclarations de sinistrés qui supposaient ou détectaient eux-mêmes une possible pollution. Généralement aux hydrocarbures, à cause de citernes à mazout inondées ou arrachées. Selon les derniers chiffres communiqués par la ministre Tellier, près de 400 demandes ont été introduites, mais à peine une trentaine d’analyses ont montré une pollution avérée des sols.

Pour ce qui concerne les terres agricoles, c’est l’Institut Scientifique de Service Public (ISSeP) qui a fait le boulot. Là aussi, vu les superficies concernées, on y est allé par coups de sonde sur 80 parcelles, « suivant un maillage prédéfini permettant de définir une cartographie de l’étendue et de l’intensité des contaminations ». Là, on ne s’est pas limité aux hydrocarbures, métaux lourds et autres polluants ont été pris en compte. Sur base de résultats préliminaires, « aucun impact des inondations sur la qualité des sols n’est à déplorer pour 82 % des échantillons déjà testés », dit-on chez la ministre de l’Environnement. Et si, sur 79 échantillons analysés, 14 ont montré un dépassement de certaines valeurs seuil, c’est sans lien direct avec les inondations.

Avec 85 sites analysés 5 fois par mois, le programme spécifique « Eau de surface post-inondations 2021 » a montré un « impact assez limité » au niveau des eaux de surfaces. Sans doute grâce au débit très important qui a permis une dilution importante des concentrations. Une augmentation de la pollution a toutefois été observée dans le bassin de la Vesdre où les stations d’épuration ont été à l’arrêt (trois le sont encore actuellement). Cette année, un suivi post-inondation est encore au programme avec portera quant à lui sur 25 sites analysés mensuellement.