Inondé par l’Ourthe, le restaurant de Sophie et Nicolas a dû fermer neuf mois. Neuf longs mois pour faire leur deuil et renaître. 

Dans la salle déserte de leur restaurant, Nicolas fait glisser le doigt sur l’écran de son smartphone pour nous montrer les images de la montée des eaux de l’Ourthe. A ses côtés, Sophie recule. “Je ne veux plus les voir.”

Juste en face de la route, le soleil fait scintiller les eaux de la rivière qui s’écoulent lentement le long d’une petite île formée par des cailloux. Un couple y fait traverser ses chiens. Difficile d’imaginer que l’Ourthe a pu monter à plus de 5 mètres hors de son lit.

Ce mercredi 14 juillet, alors que la pluie tombe depuis plus de 24 heures, Sophie n’est d’ailleurs plus tracassée que cela. “Je repassais au premier étage” (leur habitation se situe au premier étage du restaurant).Nicolas, lui, est aux aguets, suivant notamment les informations du site web du SPW “Info crue”.

Le couple de restaurateurs fait face à une première alerte durant le mercredi après-midi: La citerne d’eau de pluie d’une maison voisine située un peu plus haut a lâché, inondant les jardins et la devanture de la maison voisine et entraînant une petite coulée d’eau dans le restaurant. “Je vais prévenir les clients et dire qu’on sera fermés demain pour remettre en ordre”, glisse alors Sophie. Nicolas, plus dubitatif, se demande alors si la fermeture ne sera pas plus de l’ordre d’une semaine.

Comme un film catastrophe au magasin de bricolage

Il part chercher des sacs de sable dans un magasin de bricolage à Aywaille. “Là, c’était comme dans un film catastrophe avec les gens qui courraient partout pour acheter des sacs.” À cette heure-là, le village de Comblain-la-Tour est relativement épargné. Mais les choses vont rapidement dégénérer. “Les anciens propriétaires nous avaient dit de garder un oeil sur la place, sur la rive opposée, si elle est inondée, il faut surveiller de notre côté.” Les taques d’égout commencent alors à déverser de l’eau sur la chaussée. L’Ourthe a déjà recouvert le RAVeL, 1m50, en contrebas de la chaussée et le niveau de l’eau continue de monter rapidement. Sophie et Nicolas embarquent les chaises au premier étage et mettent des choses à l’abri sur des tables, pensant que cela devrait suffire.

Mais les flots de l’Ourthe se sont bel et bien engouffrés dans le restaurant.

L’odeur et le bruit sourd des objets qui se cognent

Le couple a trouvé refuge au premier étage de l’habitation et n’a jamais envisagé de la quitter. “Heureusement, après le premier soir, on a pu conserver le courant..” Mais en dessous d’eau, le restaurant est ravagé. L’eau y monte à plus de 1m50. Depuis l’escalier menant à leur habitation, le couple suit cette montée qui ne semble pas s’arrêter. Dans le noir, le bruit sourd des objets emportés qui se cognent leur parvient et marquent le couple. Puis c’est l’odeur qui commence à imprégner l’atmosphère.

“J’avais l’impression que le covid nous avait volé nos plus belles années et là, c’était l’inondation.” Sophie encaisse difficilement. Nicolas, lui, comprend vite que la fermeture du restaurant va durer plusieurs mois. “Mais nous n’avons pas trop le droit de nous plaindre, c’est notre outil de travail qui a été touché, nos souvenirs et notre maison ne sont pas partis avec l’inondation.”

“Le temps de faire mon deuil”

Le couple peut compter sur leurs caractères très différents pour se soutenir mutuellement. “Quand on est descendu dans le restaurant et qu’on a vu les dégâts, c’était traumatisant”, se souvient Sophie.  À cela s’ajoute la marée de bénévoles qui va déferler sur la région pour aider les sinistrés. “C’était gênant”, commente-elle. “Il faut le temps de faire le deuil. Avec la tête pleine d’images et de soucis c’est difficile d’envisager de nouveaux projets. ” D’autant qu’autour d’eux, tout le monde ne le parle que de ça.

Une longue attente de 9 mois

Pragmatique, Nicolas estime que ces inondations, “sont un mal pour un bien” et envisage un nouveau visage pour le restaurant. Mais après avoir accepté l’idée de tourner une nouvelle page, il faut attendre. Une longue attente de 9 mois avant de pouvoir ouvrir à nouveau. Et contrairement au confinement où le couple pouvait faire des plats à emporter, ici, pour bénéficier des aides du droit passerelle, interdiction de travailler, même pas pour donner un coup de main à des amis restaurateurs en manque de personnel.

“Peur qu’on nous oublie”

Cette reconstruction, Sophie et Nicolas ont voulu la partager sur la page Facebook du restaurant. Une obligation à leurs yeux. “En allant à la pharmacie du village, on m’a dit “j’ai entendu que vous n’alliez pas rouvrir””, raconte Nicolas. Un coup de semonce. “On avait peur qu’on nous oublie. Il fallait prendre le temps de continuer sans tomber dans l’apitoiement. Une chance qu’on avait les réseaux sociaux.”