La problématique du ruissellement est une autre composante des risques d’inondation. L’été dernier, en l’espace de six semaines, une habitante de Nil-Saint-Vincent a été noyée onze fois par les coulées de boue…

 

Si ce sont essentiellement les inondations par débordements de cours d’eau qui ont ravagé la Wallonie, les dégâts par ruissellement ont aussi touché de nombreuses personnes l’été dernier.

Marielle Vekemans en sait quelque chose : durant les seuls mois de juin et juillet 2021, en l’espace de six semaines les coulées d’eau et de boue ont déferlé… 11 fois dans sa propriété, dans le petit village de Nil-Saint-Vincent, en Brabant wallon.

« Je n’ose plus partir de chez moi, de peur qu’un orage survienne pendant mon absence »

À chaque fois c’est le même scénario désolant qui se jouait. À peine 15 minutes de gros orages suffisaient à faire ruisseler des torrents d’eau boueuse depuis les campagnes situées derrière sa maison. Résultat ? Jusqu’à 40 centimètres de boue dans la cour de cette ancienne ferme et dans les dépendances ; la citerne d’eau noyée de boue ; les taques d’égouts de la rue qui cèdent sous la pression, laissant s’échapper des flots d’eau usée…

Même si le corps de logis de son habitation, légèrement surélevé, n’a pas été directement touché, Marielle Vekemans avoue être au bout du rouleau.

11 fois en 6 semaines

« Je n’ose plus partir de chez moi, de peur qu’un orage survienne pendant mon absence », dit-elle. Car si la répétition d’un tel phénomène (11 fois en 6 semaines !) peut paraître improbable, les faits montrent que ce n’est pas le cas. « Cette année, c’est déjà arrivé deux fois au mois de mai », dit Marielle Vekemans. Pourtant, depuis qu’elle s’est installée à Nil-Saint-Vincent en 2000, le phénomène ne s’était encore produit qu’une seule fois, en 2003.

Alors, qu’est-ce qui a changé ? Le dérèglement climatique, avec son cortège d’épisodes météo plus intenses (sécheresse + fortes pluies) est certainement en cause, souligne Marielle Vekemans. Et dans ce contexte, l’environnement agricole qui se déploie derrière chez elle n’aide pas, note aussi la Niloise.

« Les torrents de boue descendent directement de la route de campagne derrière chez moi et du champ situé sur la gauche, explique-t-elle. Le problème, c’est que les agriculteurs du village ne veulent rien entendre concernant des mesures de prévention. »

Et effectivement, à l’arrière de la propriété s’étendent de vastes cultures de maïs dont les sillons sont, jusqu’en bordure de champs, tracés dans le sens de la pente. Tels des toboggans sur lesquels risquent de déferler eau et terre à la prochaine pluie un peu forte…

Récemment, un agriculteur a toutefois accepté de planter du miscanthus sur quelques dizaines de mètres, au niveau d’une pente qui donne accès aux champs, juste à côté de la maison de Marielle Vekemans. Mais les jeunes pousses ne promettent encore qu’un barrage bien dérisoire.

Des coulées de boues… à côté des avaloirs

La commune aussi a fait quelques aménagements : deux grilles placées au milieu de la route qui arrive de la campagne doivent servir d’avaloirs. Mais la réalisation n’a pas été optimale, comme l’ont démontré les ruissellements en mai dernier. « L’essentiel des coulées passait sur les côtés… »

Marielle Vekemans tente donc de se protéger comme elle peut. « J’ai installé des palplanches de ce côté », dit-elle en montrant le passage qui lui permettait auparavant de rentrer sa voiture dans la cour. « Devant l’autre barrière, j’ai installé de gros bacs à fleurs et j’ai une pompe que j’actionne pour rejeter l’eau et la boue vers la rue… »

Mais lorsque les éléments se déchaînent, ce sont là des protections presque aussi dérisoires que les quelques ballots de paille que la commune a placés à une des sorties du champ de maïs…

« La commune est de bonne volonté et fait des efforts, dit-elle, appuyée par sa voisine Béatrice Tacq (voir ci-contre). Mais ce que nous voudrions, c’est rencontrer les agriculteurs pour leur expliquer la situation afin qu’ils changent certaines de leurs pratiques. Mais la commune nous dit que cela ne sert à rien, qu’ils ont toujours fait comme ça et qu’ils ne changeront pas… »

« En 30 ans, on n’avait jamais curé »

À quelques centaines de mètres de chez Marielle Vekemans, la maison de Béatrice Tacq-Bodart a aussi subi des dégâts l’été dernier. Là aussi, même si c’est indirectement, c’est la problématique du ruissellement qui en est la cause. Gonflé par l’orage, mais aussi par les eaux qui venaient des campagnes, le Nil a débordé. « C’était déjà arrivé une fois en 2002, dit Béatrice Tacq. Mais l’eau était partie rapidement. Là, elle est restée 28 heures dans la maison… »

L’eau est restée 28 heures  dans la maison

Si elle évoque les effets du ruissellement,la Niloise pointe aussi l’absence de curage de la rivière. « En 30 ans, je n’ai jamais vu qu’on le faisait, dit-elle. Suite aux inondations, ils l’ont fait cette année, mais le cureur m’a dit qu’il faut le faire tous les deux ans. »

Une autre problématique liée à l’entretien concerne le Pré d’Auffe, dit la Niloise. Cette zone encaissée est prévue pour servir de rétention d’eau en cas d’orage. Mais des remblais y ont jadis été déversé et le lieu n’a jamais été entretenu, dit-elle. Il est donc inutile.

La question de ces zones tampons et de ces bassins d’orage est pourtant essentielle, estiment les deux voisines. Commune et Province s’en préoccupent d’ailleurs depuis peu, reconnaissent-elles.

« Le problème, c’est que pour l’instant, on ne fait que des études mais pas de travaux. » Or, les orages violents, eux, n’attendront pas pour les mettre à nouveau les pieds dans la boue…

Bassins d’orage : ces protections qu’on a oubliées

Pourtant essentiels pour protéger, les bassins d’orage ont été délaissés pendant des décennies. Un vaste plan est lancé pour rattraper le retard.

S’il semble bien exister un véritable problème de prévention des ruissellements depuis les champs à Nil-Saint-Vincent, il faut reconnaître que de plus en plus d’agriculteurs – incités en cela par des aides régionales – prennent des mesures de prévention : bandes enherbées, plantations de haies, tracés des sillons en travers de la pente, mares d’infiltration, choix de cultures qui permettent de mieux drainer ou retenir l’eau,… Depuis cette année, la Région propose d’ailleurs des aides financières aux communes pour la mise en place de mesures de prévention reprises dans les PGRI (Plan de Gestion des Risques d’Inondation), la problématique des ruissellements y est intégrée. Des subventions plus spécifiques existent aussi pour des mesures de protection contre l’érosion des terres agricoles.

Si la Région tente donc d’apporter des solutions, il est par contre, dans cette question du ruissellement, un élément où elle semble faire l’unanimité… contre elle : l’entretien des bassins d’orage.

« Certaines communes mettent en cause la Région wallonne pour un manque d’entretien desdits bassins, qui n’auraient plus été curés depuis de nombreuses années. Cette négligence provoque des dégâts importants, non seulement aux communes mais également à des particuliers », indiquait le mois dernier la député wallonne Caroline Cassart (MR) dans une question écrite au ministre Philippe Henry.

Le ministre, responsable du SPW Mobilité Infrastructures qui gère 343 bassins d’orage répartis le long des axes routiers de la Région, n’a pas masqué le problème dans sa réponse. Ainsi, dit-il, une étude menée entre 2018 et 2020 sur l’état des bassins d’orage a démontré leur mauvais état :  132 bassins ont obtenu une cote globale sur leur état supérieure ou égale à 60 %, 80 bassins n’ont pas obtenu la cote moyenne, dont 15 sont dans une situation critique, obtenant une cote de 30 % ou moins.

« Cette négligence provoque des dégâts importants, non seulement aux communes mais également à des particuliers »

Près de 23 millions d’euros  pour un plan d’entretien

Même si l’étude ne s’y est pas intéressée, il y a fort à parier que les bassins d’orage gérés par les communes et les provinces n’ont pas un meilleur bulletin.

L’effet bénéfique de ces infrastructures pour amortir le choc des inondations est pourtant démontré, admet le ministre Henry. Raison pour laquelle il a débloqué un montant de 22,75 millions d’euros pour un « plan d’entretien et d’investissement coordonné à l’échelle de la Wallonie ».

La stratégie d’investissement du plan prévoit une priorité au curage de rénovation, qui concerne 60 bassins d’orage, ainsi que des réparations importantes d’ouvrages endommagés, concernant 28 bassins supplémentaires.

« Ces travaux de rénovation permettront en premier lieu de récupérer la pleine capacité des bassins dans l’objectif de lutte contre les inondations », note le ministre. Des actions préventives comme l’entretien de la végétation, la désobstruction des écoulements ou l’évacuation des déchets, sont désormais prévues au moins une fois par an, a indiqué le ministre. Quant à la question du coût de ces entretiens : « l’estimation budgétaire peut difficilement se baser sur la pratique actuelle, étant considéré notamment le passif de curage devant être récupéré dans certains de nos bassins. »

Comme un aveu que la Wallonie a largement négligé pendant des décennies ces infrastructures de protection pourtant essentielles…