Cette histoire commence par une demande: “Yves, viens sur la liste pour me soutenir.” Nous sommes à Tellin, en 2005. Tellin, une commune de 2.470 habitants où l’église, située sur une butte, domine tout, y compris l’administration communale. Yves, c’est Yves Degeye. Il est facteur. C’est son oncle qui lui demande ce coup de main.  “Je l’ai tellement soutenu que j’ai fait plus de voix que lui”, se souvient-il. Pour ses premières élections, Yves Degeye peut revendiquer une place d’échevin… à la place de son oncle. Il ne la prendra pas. Portrait d’un bourgmestre qui prend le temps de grandir. (Vous pouvez cliquer ici pour vous rendre directement sur la vidéo questions-réponses)

Pour nous recevoir ce jour-là, Yves Degeye quitte la réunion du collège communal un peu avant la fin. Le timing était serré et c’est le seul moment qui pouvait convenir. Dans le bureau adjacent, il revient sur ses débuts. Des débuts qui permettent de mieux cerner ce trentenaire. “En 2006, je n’ai pas pris l’échevinat pour deux raisons. D’une part, je voulais grandir, observer, voir tous les aspects de la vie politique. D’autre part, en cédant l’échevinat, je laissais l’occasion à mon oncle de terminer sa carrière politique et je trouvais que la transition était belle. Je suis finalement devenu échevin en 2009, à 29 ans.”

Aux élections de 2012, Yves Degeye est à une place stratégique sur la liste: la dernière. L’histoire se répète en quelque sorte puisqu’il fait plus de voix que le premier. Cette fois, c’est donc le poste de bourgmestre qu’il peut revendiquer… mais qu’il cèdera, conformément à des accords internes. Yves Degeye devient Premier échevin. “Je ne veux pas aller trop vite.” Son tour viendra définitivement en octobre 2018.

“Être facteur a été un des éléments de ma réussite”

Son ascension fulgurante de 2006, Yves Degeye sait à quoi il la doit. “J’étais déjà facteur et c’est un des éléments de ma réussite. Mais je ne pense pas que cela se passerait encore comme cela maintenant. À l’époque, le rôle de facteur était, à mon sens, plus riche parce qu’on était plus disponible pour la population. On avait un rôle important.”

Cette disponibilité, c’est finalement le fil rouge qui lie son rôle de facteur à celui de bourgmestre. “Une personne disponible qui consacre une majeure partie de ses journées à la vie de la commune”, décrit Yves Degeye lorsqu’il évoque sa fonction.

“Mais c’est aussi un homme, avec ses forces et ses faiblesses. Il faut travailler tout en étant naturel. C’est important de rester soi-même.”

Inévitablement, la fonction va influencer l’homme. “C’est vrai. Je suis quelqu’un d’assez sensible mais j’ai maintenant une carapace. Il faut se protéger. ”

Pas le choix: “être bourgmestre, c’est plus compliqué quand on connaît 90% des habitants. Les gens attendent de nous qu’on gère les dossiers en bon père de famille, qu’on ne fasse pas de passe-droit. En refusant ces passe-droit, dans de petites communes comme les nôtres, on se crée beaucoup d’ennemis. C’est très compliqué de dire à un voisin, à un ami: “Tu ne peux pas faire cela, c’est pour tout le monde la même chose.” Mais en travaillant de cette façon, on reste l’esprit tranquille. ”

Pas de permanence

Car oui, Yves Degeye connaît pratiquement tous les habitants de Tellin. Une situation qui a ses bons et ses moins bons côtés. “Si je jardine, il y a toujours quelqu’un qui s’arrête et qui commence par “j’en ai pour 5 minutes””, sourit-il. On en revient à cette “disponibilité” soulignée d’entrée de jeu par le bourgmestre. “Je n’organise pas de permanence, les gens peuvent toujours me contacter.”

Lorsqu’on lui demande s’il a une déception pour cette première année à la tête de Tellin, Yves Degeye ne tourne pas autour du pot: “Plus que de la déception, c’est de la colère vis-à-vis des niveaux de pouvoir supérieurs qui nous empêchent d’effectuer nos tâches envers le citoyen. On en remet de plus en plus sur le dos de la Commune, est-ce que ce n’est pas pour nous orienter vers une fusion ? Je me pose la question.”

Le bourgmestre privilégie de toute façon le travail d’équipe. Aussi bien en interne qu’avec les autres mandataires locaux. “C’est dommage que chaque Commune, dans le cadre de dossiers d’envergure, avec des cahiers des charges, travaille seule de son côté. Il faudrait pouvoir profiter de l’expertise et du travail déjà réalisé par les autres. C’est un peu le souci: on est tout le temps le nez dans le guidon alors que finalement l’info ou la manière de procéder existe déjà ailleurs.”

Le mariage à la place du foot des enfants

Dans la famille Degeye, le fils et la fille marchent sur les traces de leur père… en foulant les terrains de foot. Impossible pour le bourgmestre d’assurer le suivi en semaine, mais il arrive à se libérer un peu plus facilement le week-end. Un peu frustrant parfois, il l’admet. “J’arrive à assister à 70% des matches. C’est vrai, à un moment, on culpabilise mais la situation n’est pas propre aux politiciens. Beaucoup de gens sont dans la même situation que moi. Des papas ne sont jamais là le samedi parce qu’ils doivent travailler. Je n’ai pas à me plaindre. Des gens sont là tous les samedis, mais ils ne se rendent plus compte de la chance qu’ils ont. Chaque moment où je suis en famille, je le vis intensément. On se rend compte de la qualité par rapport à la quantité.”

Découvrez l’interview tac au tac d’Yves Degeye