Au premier étage de l’hôtel de ville de Comines-Warneton, la salle est haute, imposante. Un style “à la Breughel”. Le bois domine, du sol au plafond. Les fenêtres s’ouvrent sur la place communale, au pied de l’église. Au rez-de-chaussée, le bureau de la bourgmestre a été sorti de son jus breughelien. Il est résolument moderne. C’est la touche d’Alice Leeuwerck. La jeune bourgmestre n’a pas que renversé une majorité cdH en place depuis de très nombreuses années, elle impose aussi sa patte. Mais passer de conseillère de l’opposition à bourgmestre ne s’improvise pas.  (Accédez à notre vidéo questions-réponses)

Depuis la Wallonie, Comines-Warneton semble être au bout du monde. Une ville wallonne de 18.000 habitants en région flamande. “Je dirais plutôt que c’est ici que la Wallonie commence. On est à un endroit stratégique, au centre de l’Eurométropole: Lille, Roubaix, Tourcoing, Courtrai. Ça me fait penser aux bases militaires russes qui se trouvent un peu dans l’Union européenne, à côté de l’Estonie : Comines, c’est la Wallonie même si c’est excentré en Flandre”, sourit Alice Leeuwerck. La jeune bourgmestre donne le ton.

Je vois notre situation géographique comme un atout

À 28 ans, elle veut trancher avec le côté Calimero, l’attitude fataliste de son prédécesseur. “Avant, l’éloignement géographique était vu comme une fatalité. Moi, je vois notre situation comme un atout. J’ai mis un point d’honneur à avoir de bonnes relations avec les bourgmestres tout autour. J’ai d’ailleurs commencé par les rencontrer.” Des bourgmestres flamands et des maires français. “On organise énormément de réunions transfrontalières.”

Non seulement Comines-Warneton est isolée, éloignée, mais en plus, elle a hérité bien malgré elle d’un statut spécial dû à la création de la frontière linguistique. Dans cette commune à facilités linguistiques, les échevins sont élus directement. “Ma Première échevine fait partie de l’opposition. Chez nous, les tractations du fédéral, c’est tous les jours. “Mais personne ne veut toucher à ce statut, c’est toucher à la Constitution, c’est ouvrir la boîte de Pandore. Dans le travail quotidien, cela a des répercussions énormes. On est par exemple la seule ville de Wallonie où la majorité au CPAS n’est pas la même qu’à la Ville car c’est le cdH qui l’a emportée.”

Savoir bien communiquer est aujourd’hui primordial

Qu’est-ce que le métier de bourgmestre aujourd’hui ? “La connaissance des dossiers est primordiale mais on n’attend pas du bourgmestre qu’il soit tout le temps dans son bureau, il faut aussi être sur le terrain, être proche des citoyens. C’est ça l’équilibre à trouver. Bien communiquer, ça demande beaucoup de temps. Les gens disent qu’on communique mieux maintenant, je trouve que je ne communique pas encore assez. Ce n’est pas évident. Il faut communiquer de manière positive. Jusqu’où peut-on communiquer dans un dossier ? C’est aussi cette limite qu’il faut bien savoir trouver en tant que bourgmestre. Doit-on le faire dès qu’on a une idée bien précise sur un sujet ou bien attendre que le projet soit abouti ?” Alice Leeuwerck pointe ici le temps administratif qui marque les nouveaux bourgmestres que nous avons rencontrés. “Un temps administratif qui fait qu’entre l’idée et la réalisation, il faut 4,5,6… 12 ans.” Et qui est encore plus long à Comines-Warneton, de par son statut particulier.

“Les 2, 3 premiers mois, j’avais l’impression d’être en blocus tout le temps”

Passer de conseillère de l’opposition à bourgmestre “Les 2, 3 premiers mois, j’avais l’impression d’être en blocus tout le temps. J’ai dû assimiler très vite beaucoup de choses. Il y a toute une série de termes à acquérir. C’est énorme toute la quantité de choses à digérer. Partir de rien et devenir bourgmestre doit être difficile. L’avantage d’avoir été conseillère, c’est de connaître déjà des fonctionnaires.” Mais c’est son passage auprès de Jean-Luc Crucke (lorsqu’il était député wallon dans l’opposition) qui lui a le plus appris.

Des journées de 12 à 15 heures

D’emblée, Alice Leeuwerck a tenu à ne pas cumuler. “Je suis uniquement bourgmestre. J’ai vraiment décidé de ne pas avoir de jetons rémunérés. C’est aussi un symbole: quand on veut une démocratie plus participative, plus proche des citoyens, on doit être à leur hauteur.” Elle évoque sans pudeur son salaire: “Je gagne 3200 euros (ndlr: nets) par mois quand je vois les responsabilités que j’ai et le travail que je passe en tant que bourgmestre, ce n’est pas beaucoup. Je travaille entre 12 et 15 heures par jour, voire parfois 18 heures où j’arrive à 7h, on a conseil communal et je termine à 1h.”

Un travail intense mais la bourgmestre est consciente que son poste et sa majorité ne tiennent qu’à un seul élu. “Je n’ai pas de travail à côté, je ne suis pas chef d’entreprise ou enseignante en congé politique. Je devrais chercher un travail. J’ai été élue députée wallonne mais j’ai refusé le poste. Mon combat, c’est l’avenir de la ville et je pense que les gens ont apprécié.”

Trouver l’équilibre entre mayorat et vie de famille

Être bourgmestre était un rêve de petite fille. Mais cet investissement a une répercussion sur sa vie privée. “ Avant, on aimait bien partir en petit week-end mais maintenant en tant que bourgmestre, je réfléchis beaucoup, surtout ici avec la situation spéciale de notre commune.  J’aimerais avoir un deuxième enfant mais rien n’est prévu. Je le planifie quand : entre deux élections ? Et qu’est-ce que je fais quand j’accouche ? Rien n’est prévu pour les bourgmestres en congé de maternité. Je sais déjà que le jour où j’aurai accouché, je devrai être là s’il y a collège ou conseil, je dois être là sinon on n’a plus notre majorité. ”

Alice Leeuwerck cherche en permanence l’équilibre entre bourgmestre et vie de famille. “Parfois, je m’en veux de ne pas être assez à la maison. C’est difficile. Quand je ne vois pas ma petite fille durant une journée, c’est une journée ratée. Je suis maman avant tout. Le statut de bourgmestre, ce n’est pas un job, c’est une étiquette qui colle à la peau.” Une petite bulle d’oxygène : la reprise du piano. “Ça fait du bien. Mais j’ai fait une croix sur la danse.”

“Assez curieusement, je me suis rendu compte que ce n’étaient pas nécessairement des personnes âgées qui avaient un regard parfois malveillant sur mon âge.” 

Au début de son mandat, Alice Leeuwerck a dû faire face à de nombreux commentaires sur son âge. “En tant que femme, il y a déjà une pression, on est plus jugée, on attend plus de nous. Cette pression, je la ressens presque au quotidien. Quand on a une personne de 50 ans, un peu grisonnante, on lui fait beaucoup plus confiance. J’ai vraiment du mal à comprendre les personnes, surtout de la part de jeunes, qui mettent en doute les compétences ou la capacité d’une personne à cause de son âge. Est-on moins capable parce qu’on est plus jeune ?”

Au bord d’un plan d’urgence… en robe de soirée

L’investissement en temps ne se limite pas à sa présence à l’hôtel de ville. “On est toujours de garde. J’aime bien boire une bonne bière ou un bon petit verre de vin mais j’en bois un c’est tout. À n’importe quel moment, on est rappelable.”  Dernièrement, un samedi, j’étais chez des amis et je bois un verre, pas plus, à ce moment-là, le commandant des pompiers m’appelle en disant qu’il y a une fuite de gaz dans un quartier, proche d’une maison de repos, qu’ils vont voir s’ils peuvent boucler le périmètre et sinon ils doivent lancer le plan d’urgence. J’étais en robe de soirée à 20 kilomètres de Comines-Warneton. J’ai une soeur médecin et c’est comme être médecin de garde toute l’année.”

Décision marquante et plainte

Deux ou trois jours après sa prise de fonction, Alice Leeuwerck découvre dans son agenda qu’elle allait manger au restaurant avec un entrepreneur et des fonctionnaires pour la réception d’une machine. “Je me suis renseignée. On m’a dit que c’était un petit repas avec tel et tel fonctionnaire et la société qui avait livré une machine à la Ville. Hors de question, j’ai dit qu’on décommande et j’ai demandé qu’on donne autant d’heures de formation pour les ouvriers-manutentionnaires qui vont réellement utiliser cette grosse machine.”  C’est aussi ça, la touche d’Alice Leeuwerck.

Tout comme la bourgmestre a déposé plainte contre un citoyen. “Ce n’est pas évident, cela va avoir un impact sur de nombreuses autres personnes (sa famille, ses amis…) mais c’était une attaque contre moi personnellement et sur le fait que je travaille, ça blesse très fort. Certaines personnes ont de moins en moins de respect envers le politique et ne cherchent même pas à comprendre. Je pourrais presque écrire un livre avec tout ce que j’ai déjà vécu. Avec l’envers du décor. ”

 Découvrez l’interview tac au tac d’Alice Leeuwerck