Depuis la fenêtre de la salle du conseil communal de Vresse-sur-Semois, sorte d’immense œil-de-boeuf, on aperçoit de multiples cheminées d’habitation d’où s’élèvent des volutes de fumée. Des cabanes en bois, des tôles… avec la forêt en toile de fond, le décor fait presque penser à un village de western. En cette fin d’année, le soleil s’est finalement décidé à percer les nuages. Dans la salle au premier étage de l’administration communale, Arnaud Allard vient d’allumer les deux radiateurs et décapsule une petite bouteille d’eau. L’interview du plus jeune bourgmestre de Wallonie va débuter. (Accédez à notre vidéo questions-réponses

De part et d’autre de la rue principale semble se dessiner le visage de Vresse, tout en contraste. Il y a la Semois, ses abords bucoliques, avec son pont en pierre, sa zone de baignade qui drainent les touristes tout au long de l’année. En période estivale, la population de cette commune du Namurois triple. Sur les 2 100 habitations de Vresse, 800 sont des secondes résidences. Les lieux sont particulièrement courus par les Flamands et les Hollandais. Mais il y a aussi ces façades défraîchies, ces bâtiments en vente, d’autres ayant leurs belles années derrière eux. 

Vresse est la commune wallonne comptant le plus de personnes âgées de plus de 65 ans. Et c’est cette commune de 2 700 âmes qui a élu le plus jeune bourgmestre de Wallonie. Tout en contraste, on vous le disait.

Cinq voix qui font basculer une vie

Élu en octobre 2018, Arnaud Allard ne s’était pas vraiment intéressé à la politique auparavant (même si son grand-père a siégé dans l’opposition pendant 24 ans). Gestionnaire d’un camping, l’homme est un bosseur qui n’est jamais aussi heureux que lorsqu’il est sur le terrain. En cinquième position sur la liste ECD (Ensemble pour une Commune Dynamique), Arnaud Allard se voyait conseiller, peut-être échevin mais pas bourgmestre. Cinq petites voix vont tout changer. 

Et voilà Vresse qui catapulte à sa tête le plus jeune bourgmestre de Wallonie, âgé de 27 ans. Avec ce fameux grand écart entre l’âge moyen de la population et celui de son mayeur. “Nous avions un programme, les gens ont dû s’y retrouver”, rétorque-t-il, du tac-au-tac. Sa popularité a fait le reste. Même s’il l’affirme : “Je ne suis pas le people de la commune.”

Contrairement à Alice Leeuwerck de Comines-Warneton, l’autre très jeune bourgmestre wallonne, Arnaud Allard n’a pas d’expérience en politique. “Avant d’être ministre, certains n’ont pas été bourgmestre. Je viens avec un regard tout à fait nouveau mais sans une bonne administration, sans un bon directeur général, on n’est rien. Alors, je ne dis pas que j’en ai, je ne suis pas quelqu’un de prétentieux mais il faut énormément de bon sens et de recul. C’est tout le temps décision rapide sur décision rapide. Il faut essayer de bien comprendre pour éviter d’avoir la réaction ou le mot qu’il ne faut pas. C’est assez paradoxal: il faut rester spontané tout en étant réfléchi.”

“Les problèmes sont parfois là où on ne les attend pas.”

Se mettre dans le costume du bourgmestre ne lui a pas posé de problème, assure-t-il. “L’administration a juste dû me briefer sur le protocole. Le reste, ce n’est que du bon sens. Parce que si on explique à quelqu’un ce qu’est être bourgmestre, ça ne l’intéressera pas.” Hors micro et de façon pudique, le jeune bourgmestre évoque toutefois quelques moments forts auxquels il a dû faire face en tant que représentant de l’autorité communale. Des situations face auxquelles personne n’est préparé.

“Je ne dis pas que je fais bien ma fonction de bourgmestre mais comme je l’aborde, ça prend beaucoup de temps et d’énergie. Je trouve que ce n’est pas difficile. Je me trouve rarement dans une situation où je me dis “Qu’est-ce que je dois faire?”. Ça, c’est grâce à l’équipe.”

Inévitablement, on aborde son âge. Une étiquette qui lui colle à la peau depuis un an. “ Oui, je suis le plus jeune mais je ne suis pas que le plus jeune, je mets des choses en place. Il faut laisser la chance aux gens de se révéler dans la fonction. Même si on est jeune, je veux prouver qu’on peut faire des choses. On aborde la fonction sous un autre angle. Il y a probablement parfois un petit  excès de fougue: je dis des choses qu’on ne peut pas forcément dire mais j’assume.” 

“Quand les gens partent en vacances, je pars travailler”

En devenant bourgmestre, Arnaud Allard a dû faire une croix sur la gestion de son camping. Du moins en partie. “Je me suis entre guillemets remplacé par un temps plein et demi. Déléguer n’est pas la solution, c’est une des solutions. J’aide aussi moins mon papa pour son camping. Mais une entreprise, ça vit tout le temps, surtout un camping. En été, quand les gens partent en vacances, je pars travailler.” Ses journées de congés à lui, il les compte sur les doigts d’une main.

“Dis, je ne veux pas t’embêter, tu as 5 minutes ?”

Et la fonction de bourgmestre a inévitablement un impact sur la vie privée… Jour et nuit.  “Je me souviens, une fois, des gens m’ont appelé à 2h du matin parce qu’ils n’avaient plus d’électricité. Mais je ne suis pas électricien, sourit-il. Ça ne me dérange pas d’être interpellé par des personnes. La seule chose, c’est qu’il y a des lieux et des moments pour le faire. Ma réponse est:  “Oui, je vous ai entendu mais formulez-moi ça par mail, envoyez-moi un petit courrier et là, on suit très très vite. Je suis pratiquement présent à l’administration communale 6 jours sur 7. Je suis très disponible.” 

Cette disponibilité lui laisse moins de temps pour lui et pour sa vie privée.

Bourgmestre, c’est donc une fonction chronophage mais captivante “Pas un jour où je me suis ennuyé dans ma fonction. Tous les jours, j’apprends des choses, je rencontre de nouvelles personnes toutes les semaines. J’ai un nouveau défi par jour et j’adore ça. Ma vie c’est d’essayer de mettre de gros challenges et d’essayer de les relever. En tant que bourgmestre, je me vois comme un médiateur car c’est plus facile de se disputer avec les gens que de s’entendre.”

Un bras de fer comme baptême du feu

Sa première décision en tant que bourgmestre, Arnaud Allard s’en souvient très bien, et pour cause, il n’a pas hésité à entamer un bras de fer quelques jours après sa prise de fonction. “J’ai bloqué le budget de la zone de secours car elle allait supprimer un poste de secours sur la commune. C’était mon premier conseil de la zone de secours. On m’a présenté comme acquise la suppression du poste de secours à Alle. Moi, ne sachant pas, j’ai refusé de donner mon accord. S’est ensuivie une grosse discussion pour finalement l’obtenir. De la supprimer, on a pu non seulement la maintenir mais l’améliorer.” Une satisfaction.

 Il évite de se projeter

Au fil des mois, Arnaud Allard a pris goût à la gestion communale “mais pas à la politique”, précise-t-il. “Dans la politique, il y a beaucoup moins de personnes entières.” 

Sera-t-il à nouveau présent sur une liste aux prochaines élections ? “Dans 5 ans, je tirerai le bilan de ce qui s’est passé, je verrai les possibilités et puis, ce que je peux encore apporter à Vresse. Tout va tellement vite maintenant. Il y a un an, je ne savais que je serais ici, alors dans 5 ans…”

Et un jour de se présenter à un autre échelon ? “Il n’y a rien du tout d’envisageable, mais je ne ferme jamais les portes.”

Découvrez l’interview tac au tac d’Arnaud Allard