Stupeur et tremblements

Omniprésents, les codes de la société nippone déboussolent plus d’un étranger. Au point, parfois, de renvoyer l’image (tronquée) d’un pays dénué de toute spontanéité.

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a première fois que je me suis entraînée au Kodokan, à Tokyo, je me suis fait reprendre assez vigoureusement par un Japonais qui n’admettait pas que je me balade hors des vestiaires sans que ma ceinture ne soit totalement nouée. J’étais tellement mal à l’aise… » Même si elle a beau adorer le Japon, « ses paysages et sa nourriture », Myriam Blavier fait partie de ces jeunes judokas belges qui ont du mal avec la rigueur nippone. « Faire attention à tout ce qu’on fait et être toujours prudent dans ce qu’on dit, ça devient vite épuisant à la longue. La seule chose qu’on souhaite au bout d’un moment, c’est briser leurs règles. »

« La première fois que je me suis entraînée au Kodokan, à Tokyo, je me suis fait reprendre assez vigoureusement par un Japonais qui n’admettait pas que je me balade hors des vestiaires sans que ma ceinture ne soit totalement nouée. J’étais tellement mal à l’aise… » Même si elle a beau adorer le Japon, « ses paysages et sa nourriture », Myriam Blavier fait partie de ces jeunes judokas belges qui ont du mal avec la rigueur nippone. « Faire attention à tout ce qu’on fait et être toujours prudent dans ce qu’on dit, ça devient vite épuisant à la longue. La seule chose qu’on souhaite au bout d’un moment, c’est briser leurs règles. »

Nécessaires pour les uns, excessifs pour les autres, les codes adoptés par la société japonaise laissent rarement indifférents. D’autant plus qu’ils s’imposent tous les jours aux habitants de l’île.

« Malheureusement, assez souvent, ça donne des situations embarrassantes où on ne parvient plus à se comprendre, estime Charline Van Snick. Comme cette fois où j’ai demandé une balance à une réceptionniste et qu’elle n’a jamais voulu répondre franchement à ma question parce que l’hôtel n’en possédait pas et qu’elle avait peur de me décevoir. »

Honne et tatemae

Terre de subtilités, le Japon différencie l’être du paraître.

Pour preuve, honne et tatemae sont des mots nippons utilisés pour décrire le contraste qui peut exister entre les véritables sentiments et les désirs d’une personne (honne) et la conduite ainsi que les opinions qu’elle expose en public (tatemae)

D’un perfectionnisme inhabituel aux yeux des Occidentaux, les Japonais peuvent également se montrer déconcertants dans leur attitude. « Parfois, on voit quelques-uns de leurs champions remporter de gros tournois sans jamais exprimer aucune émotion. Pour nous, ça paraît bizarre comme réaction parce qu’on est plutôt du genre à exprimer notre joie en souriant ou en sautant dans tous les sens, par exemple. Mais pas eux, note Anne-Sophie Jura. Et il n’y a pas que les judokas qui sont dans ce cas-là… Dans la rue aussi, on a l’impression que le visage d’une bonne partie des Japonais qu’on croise est un peu figé. » Par discrétion, bien sûr. Par humilité, aussi. Par respect, toujours.

« Si tu ris, tu ne seras pas distinguée. Si ton visage exprime un sentiment, tu es vulgaire. Si tu mentionnes l’existence d’un poil sur ton corps, tu es immonde. Si tu manges avec plaisir, tu es une truie ». Dans la bouche de Mori Fukubi, un des personnages principaux de « Stupeur et tremblements », l’auteure Amélie Nothomb, qui a longtemps vécu sur l’île, résume (exagérément, sans doute) ce Japon où l’on n’étale pas ses sentiments. Et où il est compliqué d’affirmer sa personnalité.

D’un perfectionnisme inhabituel aux yeux des Occidentaux, les Japonais peuvent également se montrer déconcertants dans leur attitude. « Parfois, on voit quelques-uns de leurs champions remporter de gros tournois sans jamais exprimer aucune émotion. Pour nous, ça paraît bizarre comme réaction parce qu’on est plutôt du genre à exprimer notre joie en souriant ou en sautant dans tous les sens, par exemple. Mais pas eux, note Anne-Sophie Jura. Et il n’y a pas que les judokas qui sont dans ce cas-là… Dans la rue aussi, on a l’impression que le visage d’une bonne partie des Japonais qu’on croise est un peu figé. » Par discrétion, bien sûr. Par humilité, aussi. Par respect, toujours.

« Si tu ris, tu ne seras pas distinguée. Si ton visage exprime un sentiment, tu es vulgaire. Si tu mentionnes l’existence d’un poil sur ton corps, tu es immonde. Si tu manges avec plaisir, tu es une truie ». Dans la bouche de Mori Fukubi, un des personnages principaux de « Stupeur et tremblements », l’auteure Amélie Nothomb, qui a longtemps vécu sur l’île, résume ce Japon où l’on n’étale pas ses sentiments. Et où il est compliqué d’affirmer sa personnalité.

Symbole d’une société en quête d’homogénéité, l’uniforme constitue ainsi la norme, que ce soit dans les écoles, les musées ou les quartiers d’affaires. « Ici, personne n’imagine se rendre au boulot autrement qu’en costume, constate Nicolas Wauters, un guide touristique belge installé à Tokyo. Tout est toujours très codifié. » Y compris pour les jeunes dont la coiffure fantasque et/ou les vêtements excentriques ne sont finalement que la manifestation extrême d’un look socialement accepté, à l’inverse des tatouages.

Trop « militaire », « pas assez spontané » voire « oppressant » pour une partie des judokas belges, le cadre nippon pousserait-il les Japonais à sacrifier leur identité propre au profit de la société ? « On sent en tout cas qu’ils sont dans un contrôle permanent, remarque Toma Nikiforov, ancien champion d’Europe et vice-champion du monde. Moi, j’en serais incapable car ce n’est pas comme ça que j’envisage la vie. Perso, je ne veux me priver de rien… »

« Comme souvent au Japon, ce qui paraît déroutant au premier abord s’explique culturellement, nuance toutefois Nicolas Wauters. Étant donné qu’on leur a appris très tôt à se montrer modeste et digne en toutes circonstances afin de servir le bien commun, les Nippons ont réellement peur d’être pointés du doigt par leurs pairs. C’est pour cette raison qu’ils sont assez peu nombreux à oser sortir du rang et qu’ils acceptent parfois des situations qui ne leur conviennent pas forcément au quotidien. » À l’image de ces employés rangés au placard car ils ne répondent plus aux attentes de la société ou de ces jeunes qui abordent (très) difficilement la question des relations amoureuses en public.

Dans une société longtemps marquée par un important taux de suicide, où les tabous sont encore nombreux et où la peur de l’échec est perceptible, l’image qu’ils peuvent renvoyer régit donc en bonne partie le quotidien des Japonais. Car, à défaut d’être soi-même, faire partie d’une société modèle à l’identité forte – ce pays insulaire, qui a longtemps rêvé d’être la nation d’un seul peuple et qui est toujours très hermétique à l’anglais, ne compte que 2% d’étrangers – est déjà un bel accomplissement en soi.

« Comme souvent au Japon, ce qui paraît déroutant au premier abord s’explique culturellement, nuance toutefois Nicolas Wauters. Étant donné qu’on leur a appris très tôt à se montrer modeste et digne en toutes circonstances afin de servir le bien commun, les Nippons ont réellement peur d’être pointés du doigt par leurs pairs. C’est pour cette raison qu’ils sont assez peu nombreux à oser sortir du rang et qu’ils acceptent parfois des situations qui ne leur conviennent pas forcément au quotidien. » À l’image de ces employés rangés au placard car ils ne répondent plus aux attentes de la société ou de ces jeunes qui abordent (très) difficilement la question des relations amoureuses en public.

Dans une société longtemps marquée par un important taux de suicide, où les tabous sont encore nombreux et où la peur de l’échec est perceptible, l’image qu’ils peuvent renvoyer régit donc en bonne partie le quotidien des Japonais. Car, à défaut d’être soi-même, faire partie d’une société modèle à l’identité forte – ce pays insulaire, qui a longtemps rêvé d’être la nation d’un seul peuple et qui est toujours très hermétique à l’anglais, ne compte que 2% d’étrangers – est déjà un bel accomplissement en soi.

Des codes
et
des valeurs

En quête
de
perfection

Stupeur
et
tremblements

Nature
et
paradoxes

Changer
un
peu