Les Forges de Clabecq, au même titre que de nombreuses industries dans la région (Fabelta, Brenta, les Tuileries) ont amené une grosse main-d’œuvre étrangère en Belgique, et particulièrement italienne.

Les hommes qui arrivaient par centaine de leur Italie du Nord, étaient hébergés dans le château des Italiens, mis à leur disposition par l’usine. Visite guidée de ce lieu symbolique pour les immigrés italiens avec Jacques Tosolini, arrivé à Clabecq en 1947, un an après son père, employé aux Forges.

Source : www.sonuma.be

Ivanis Coletti : « Le château des Italiens, c’était une situation d’attente »

Ivanis Coletti est un fils d’immigré. Il est arrivé en 1953 pour rejoindre son père, parti quelques années plus tôt.

« Le château des Italiens, c’était une situation d’attente car, dès que les familles en avaient la possibilité, ils déménageaient. Mes parents ont tenu un café, « La mission catholique italienne » surnommé le « Casino », c’était un lieu de rencontres mais aussi d’accueil social avec le Padre Giorgio. Ce père missionnaire, c’était un peu la plaque tournante, il faisait la relation entre l’État et les Italiens ».

Il y avait aussi La Casa Nostra : le premier café italien où les gens venaient de Clabecq, de Quenast, pour danser, mais aussi pour participer à des fêtes à caractère social. Une fois, fermé, c’est au Casino que les activités ont été transférées. « Il faut se dire qu’en 1960, il y avait près de 6 000 ouvriers à Clabecq, précise Ivanis Coletti, et presque tout autant à Fabelta. Les gens venaient en nombre considérable à la gare. Mon père ouvrait le café à 5h du matin, rien que parce que les ouvriers passaient, il fermait le café ensuite. Non seulement il y avait les ouvriers qui arrivaient, mais aussi qui faisaient la pause de nuit et qui repartaient. »

C’était une période florissante, avec beaucoup d’ouvriers, et des cafés qui s’entassaient les uns à côté des autres à côté de la gare.

Giorgio Roman : « On vivait tous ensemble, peu importe l’heure ou le temps »

Giorgio Roman est aussi issu de cette immigration italienne. Arrivé en 1952 au Château des Italiens, à tout juste 4 ans, il y restera jusqu’à sa communion à 12 ans. Un regard d’enfant sur une situation difficile, mais qui avait aussi ses bons côtés : « Moi, je voyais surtout les bons moments, je jouais avec mes amis, entre enfants du même âge. On passait beaucoup de temps à la ferme juste à côté. Et puis on vivait tous ensemble, peu importe l’heure ou le temps, il y avait toujours quelqu’un dans la cour, au milieu du château. Il faut dire que les maisons étaient toutes petites, donc dès que l’on pouvait, on se retrouvait dans la cour pour manger ou simplement passer du temps ensemble ».

Giorgio Roman travaillera aussi bien à la carrière de Quenast qu’aux Forges de Clabecq, et ce jusqu’en 1997, lors de la faillite.

Sarah Berti : « L’immigration a été vue différemment selon les générations »

Sarah Berti, petite-fille d’immigré a coécrit « Le Château des Italiens » avec son cousin le journaliste Christophe Berti. Un ouvrage consacré aux Italiens qui ont immigré dans la région de Tubize. Une immigration d’État qui s’est faite par le bouche-à-oreille. « Les premiers Italiens travaillant aux Forges avant les accords, ont été envoyés en Italie comme émissaires pour recruter des gens. Mais ces Italiens ne connaissaient bien souvent que leur village natal. C’est là qu’ils se rendaient pour ramener d’autres hommes en Belgique, et c’est la raison pour laquelle les gens viennent de villages éparpillés, parfois perdus dans les montagnes. »

Une immigration pas toujours bien vue

Il faut se remettre dans le contexte de l’époque : l’Europe sort tout juste de la seconde guerre mondiale et la Belgique tente de redémarrer son économie. Mais l’arrivée de migrants, et particulièrement de ceux en provenance du camp des « ennemis », n’était pas toujours très bien perçue par la population.

« L’immigration a été vue différemment selon les générations. La première, celle de mon grand-père, l’a mal vécue. Le regard sur eux était très fermé, ils ont été mal accueillis, et il y avait beaucoup de racisme. Ils ont dû travailler très dur, et ils se sentaient déracinés. La génération de mon papa estime, par contre, avoir eu toutes les cartes en main. Ce n’était pas facile non plus pour autant. Nous, on était la génération dorée. Quand j’étais petite, être italien c’était un plus. On avait deux cultures, on était fiers d’être italiens, de parler l’italien, d’aller en vacances en Italie. On est la génération qui réconcilie nos grands-parents et nos parents avec leur pays d’origine. »

L’arrivée des Italiens n’avait qu’un but purement économique, alors qu’il va radicalement changer la vie de milliers de gens.

Un tissu urbain forgé par les industries

Cette démographie nouvelle a nécessairement provoqué des constructions et a dynamisé une société qui se transformait. La région s’est développée grâce aux industries environnantes. De nombreuses maisons ont été construites pour loger les travailleurs comme La cité des Forges (ci-dessous)

Citation : « Au départ, beaucoup d’ouvriers travaillaient à Tubize, mais peu y habitaient.
Les trajets, la disponibilité et la fatigue accumulée font partie des facteurs qui ont incité les dirigeants des Forges à construire des maisons » (Luc Delporte, historien et conservateur du musée de la Porte à Tubize).