Chapitre 5 : Le village en rouge et blanc

 « Même pour le simple envol d’un papillon
tout le ciel est nécessaire. » (Paul Claudel)

Depuis plusieurs années, la révolte gronde au sein du foot amateur. « Maintenant, on a des matches le vendredi soir, le samedi après-midi, le samedi soir, le dimanche après-midi et le dimanche soir ! », peste ainsi un sympathisant croisé lors du premier match amical d’avant-saison. « Comment voulez-vous que les petits clubs de provinciales parviennent encore à faire venir les supporters au bord des terrains quand, au même moment, vous pouvez regarder le Standard, Anderlecht ou Bruges à la télévision ? »
La question – rhétorique pour le coup – n’est pas neuve. Mais elle conquiert, saison après saison, son lot d’adhérents : « On veut tuer le foot amateur ! »
Au-delà du plaisir simple de voir vingt-deux gars courir derrière un ballon pour tenter de le mettre au fond des filets adverses, ce sympathisant estime ainsi poser une sorte d’acte militant en venant se positionner tout contre la balustrade encerclant le terrain de jeu du FC Bomal. « On vient surtout pour les gars », se déride-t-il en pointant d’un hochement de tête quelques joueurs occupés à s’échauffer. « Et parce qu’on sait qu’on vient s’amuser. Parce que l’ambiance, ici, elle est familiale. »
L’aspect familial : tel est le socle sur lequel le FC Bomal a choisi de poser ses fondations.

De la jeunesse sur le terrain, mais aussi dans les gradins, tel est le credo poursuivi par le nouveau FC Bomal.

« On offrait des verres »

« C’est très important », renchérit Léon Thirion, lequel a porté les couleurs du club dans les années 60 et 70. « Car maintenant, c’est une catastrophe. Les joueurs, s’ils n’ont pas de l’argent, s’ils n’ont pas un terrain comme un billard, ils ne veulent plus jouer. Mais on jouait dans la boue, nous ! Ça ne nous dérangeait pas. Dans le football actuel, il leur faut des terrains comme au mini-foot. Ben qu’ils jouent au mini-foot alors ! »

« Savoir avec qui ils allaient jouer ? Cela ne les intéressait pas », repense, amer, Edgard Bonjean, l’ancien président resté à la barre du club entre 1987 et 2009. « La question, c’était toujours la même : « président, combien tu donnes ? »

« Nous, au contraire, on venait travailler dans les clubs et sur le terrain de football, ici, à Bomal, reprend Léon Thirion. On faisait tout gratuitement, on a planté les poteaux, les balustrades… On buvait un verre et on offrait aussi des verres, à la buvette du foot, c’est comme ça qu’on parvenait à nouer les deux bouts. »

Venir en famille, avec les parents, les enfants, les frères et les sœurs, pour le plaisir de partager un verre tout en regardant un peu de foot : le FC Bomal aspire à des choses simples.

De l’engouement

« Je suis fier de retrouver Bomal comme je l’ai quitté : en rouge et blanc », se réjouit toutefois Edgard Bonjean. « Et je félicite les gens qui ont repris le club en sachant très bien que la gestion d’un club, ce n’est pas facile. Et ils savent devant quoi ils vont. Je regrette simplement que le R ne soit plus à Bomal. J’étais fier d’avoir vécu cette royauté, disons, du football (NDLR : quand un club atteint 50 années d’existence reconnue par l’Union belge, celui-ci peut obtenir la dénomination de « société royale », marquée par un « R » dans son nom ; ici, R Bomal FC). D’ailleurs, on en a fait une fête assez exceptionnelle ici… Les Bomalois, ils savent aussi prendre un verre et s’amuser. Et moi je suis… comme eux ! »
« On n’a plus le R pour royal, c’est vrai, mais espérons que les fins de match le seront », sourit Jean-Yves Henrotte. « Que les fins de matches seront royales et que tous les matches, mêmes les matches d’enfants, les matches de jeunes, les matches de réserve, les matches de première soient des moments de convivialité entre tous les gens du village. »
Et les premières sorties de l’équipe première ne trompent pas : barbecues organisés entre joueurs, casiers qui se succèdent au bar improvisé en bordure de terrain, chants jusqu’à pas d’heure parmi les plus fêtards mais aussi les plus chevronnés, tout semble réuni pour que cette saison du renouveau, dans l’attente de voir ce qu’elle donnera sur le terrain, se traduise par une franche réussite aux abords de celui-ci.

« Ça fait vraiment plaisir de voir autant de monde pour nos premiers matches amicaux et la présentation des jeunes », se réjouit Jean-Yves Henrotte, lequel semble ne pas en croire ses yeux. Avec une bonne centaine de personnes agglutinées lors de chaque événement de présaison – et ce malgré la crise sanitaire ambiante – aux abords du terrain et de la buvette, les premiers signes sont évidemment encourageants. « On a même des vacanciers d’Ostende qui se sont tellement amusés qu’ils veulent créer, pour le fun, un club de supporters quand ils seront rentrés chez eux », sourit l’ancien président, tandis qu’il se démène derrière le bar.

Car derrière le bar aussi, les gens répondent présents en ce début de saison.

« S’il n’y a pas de bénévoles, hein… Ça représente beaucoup. Parce que s’il n’y en avait pas, on ne saurait rien faire », fait remarquer Jean Inderherberg, l’un de ceux-là depuis plus de 20 ans. « J’ai déjà entendu qu’il y a des lois pour pouvoir payer des bénévoles. Mais c’est impossible pour les clubs ! C’est impossible… Déjà qu’il n’y a pas de rentrées suffisantes pour le fonctionnement… Quand tu vois le prix des eaux, de l’électricité… C’est vrai hein ! Tout coûte très cher… Et la fédération ! »

Fidèle bénévole à Bomal depuis plus de 20 ans, Jean est conscient de l’importance que son dévouement et celui de ses camarades représente pour la survie du club.

« Tous ensemble »

Car si le club récemment créé bénéficie d’un réel engouement tant chez les joueurs (toutes catégories confondues) que chez les sympathisants, le plus dur sera en effet de maintenir celui-ci tout au long des prochaines semaines, des prochains mois, des prochaines saisons.

« Le fait de recréer des équipes d’âge va faire que les parents vont venir revoir leurs enfants, leurs petits-enfants jouer », estime Edgard Bonjean. « Ils seront peut-être disponibles aussi pour donner un coup de main à Olivier Houard à son équipe. Et il pourra peut-être trouver par cette création de club de jeunes de nouveaux membres, des parents qui accepteraient peut-être de venir travailler quelques heures, ici au foot, voire rentrer dans le comité. Car un club comme ceci, ça se gère. Mais pour ça, il faut des personnes. »

« Mes attentes, à long terme, c’est que le club reste désormais dans les mains des villageois, de Bomalois, et que plusieurs personnes nous rejoignent pour avoir cette aide, parce qu’on en a besoin », corrobore Olivier Houard. « On sait qu’un club vit beaucoup avec des bénévoles et, si on refait quelque chose ici, c’est justement pour des personnes de mon âge et pour des jeunes qui ont envie de s’investir un peu et qui ont vécu, qui ont foulé la pelouse ici. Et maintenant qu’ils ont des enfants, allez ! Tous ensemble, il y a moyen de faire quelque chose, un beau projet. »

Avec les premiers matches amicaux et le lancement des équipes de jeunes, les installations revivent à nouveau à Bomal. De bonne augure pour la nouvelle dynamique que le club aspire à susciter au sein du village.

Mais pour l’heure, tandis que le coup d’envoi de la saison 2020-2021 s’apprête à retentir sur toutes les pelouses du foot amateur, les nouveaux dirigeants bomalois préfèrent ne pas trop songer au futur. Et se plonger plutôt dans le présent, de sorte à pouvoir savourer ce moment. Celui de voir leur club, leur bébé, tel un phénix surgi des flammes du passé, prendre son envol et porter haut ses couleurs rouge et blanc dans le ciel bomalois. Et rendre ainsi au village une âme disparue depuis trop longtemps à leur goût.