Chapitre 3 : Des rires et des larmes

« Parce qu’un homme sans mémoire
est un homme sans vie,
un peuple sans mémoire
est un peuple sans avenir. » (Ferdinand Foch)

Si les jeunes présentés au public en cette veille de 15 août sont appelés dans les années à venir à écrire l’histoire du club, le FC Bomal peut aussi compter sur les plus anciens pour leur transmettre celle d’un passé tantôt glorieux et tantôt déconfit, parfois jubilatoire et parfois dramatique. Bref, l’histoire d’un club qui a marqué, à maintes occasions, les esprits villageois.

Edgard Bonjean est l’une des figures historiques du club. Bombardé président du jour au lendemain (lire ci-contre) un soir de 1987, cet instituteur aujourd’hui à la retraite et ancien mandataire communal incarne en quelque sorte la mémoire vivante du club.

« On jouait football pour jouer football »

Dans un épais classeur truffé de photos en noir et blanc et de coupures de presse, il a soigneusement poursuivi le travail entamé par ces prédécesseurs en nourrissant, tout au long de ses vingt-quatre années de présidence, ce qui tient lieu de « livre d’or » du club : une véritable bible du football à Bomal.

L’ancien président bomalois Edgard Bonjean fait figure de véritable mémoire vivante du club disparu.

« Le club a commencé à exister en 1912. A cette époque-là, il jouait au sein d’une forme de ligue de clubs amateur. Il y avait une dizaine de clubs en tout et ils avaient formé une association où ils se rencontraient mutuellement. Ce n’est qu’en 1941 que nous avons obtenu notre numéro de matricule (NDLR : un autre club, baptisé « Jeunesse Bomaloise » et enregistré dès 1933 auprès de la fédération, a existé jusqu’en 1938). »

Lorsqu’il feuillette une à une les pages du précieux volume et remonte ainsi le temps, les souvenirs jaillissent inévitablement.

Réunis le temps d’un après-midi, Léon Thirion, Jean-Yves Henrotte, Roger Clette et Edgard Bonjean ont ressassé les vieux souvenirs.

Léon Thirion, beau-frère d’Edgard et ancien joueur du club, prend tout autant de plaisir à tenter de se remémorer les noms d’après les visages.

« Oh, lui, je le reconnais bien : Van Hooren ! J’ai joué avec lui… »

Au moment d’étaler plus précisément ses souvenirs, Léon s’embrase au moment d’évoquer le match de 1968 contre Nassogne. « J’avais 17, peut-être 18 ans, et j’étais remplaçant. Mais certainement que le titulaire centre-avant avait des cartes jaunes ou était blessé, enfin en tous les cas, j’étais titulaire. On devait gagner ce match-là. Et alors Van Hooren me met chaque fois trois balles, mais trois mètres derrière le libéro et je shoote trois fois au but. Et je mets trois goals. C’est la première fois que je mettais un hat-trick en première provinciale. Et ils m’ont sauté dessus ! Parce qu’ils étaient fort contents ! Parce que, eux, ils touchaient, je crois, un bon salaire. Mais moi… on jouait football pour jouer football… Nous étions un peu innocents… »

L’argent, déjà. Le nerf de la guerre. Et du foot provincial.

« Mais où est papy ? »

Plus que les quelques titres glanés dans les différents niveaux du championnat provincial, ce sont les personnes qui, à écouter nos deux lascars, ont fait l’histoire du club. De Van Hooren à Sylvain Lemaire en passant par Léon Cornet ou Jean-Marie Duchesne : ils sont nombreux à avoir laissé une trace dans cette aventure. Certains davantage que d’autres naturellement, et pas forcément toujours pour les raisons que l’on pourrait attendre…

Plus vieux joueur du club encore en vie, Roger Clette approche les 97 ans mais conserve des souvenirs précis de beaux moments passés au foot.

Lorsqu’il tourne les pages du précieux sésame, les yeux de Roger Clette, 97 ans, s’illuminent, s’humidifient aussi. « J’ai commencé le football ici à Bomal en 1937 ! J’en ai vécu des belles choses, ici… Dans les années 46, 47, on est allé jouer au début du deuxième tour à Athus. Ils n’avaient pas encore reçu un goal sur leur terrain. On est parti à deux cars. On avait Daniel Gorly, qui avait son accordéon… 0-0 à la mi-temps. À 20 minutes de la fin, penalty pour Bomal ! C’est Ghislain qui shootait ça, Ghislain Lemaire. PAN : dans le coin ! 0-1. Robert, qui était capitaine : « tous dehors, tous derrière », disait-il. On a gagné le match ! On est alors repassé à Martelange, à la Maison Rouge, puis à Bastogne. On est revenu presque au matin ! Et on avait oublié Papy ! Papy, qui tenait le local. On repasse au local et madame Papy dit : « et mon mari ? » Oho ? T’as vu toi ? J’ai pas vu, non. On l’avait oublié à Bastogne… »

Des rires, mais aussi des larmes. Ce sont d’ailleurs les yeux rougis qui marquent le visage d’Edgard Bonjean au moment d’évoquer ce terrible soir de 1987 : « La veille de la mort de l’ancien président qui était Dany Valentin, j’étais en train de tondre à la maison. Il vient me trouver et me dit : « Edgard, est-ce que tu veux bien venir avec moi ? Je vais à La Roche, je vais essayer de faire le transfert de Marc Hubert et il faut m’aider. On a eu malheureusement un accident (NDLR : lors du trajet retour, le véhicule qui transportait les deux hommes est violemment sorti de la route). On a fait le transfert, mais ça a coûté la vie à Dany. »

Gravement blessé dans l’accident, Edgard Bonjean endossera un peu plus tard les fonctions de président du club, en mémoire de son ami tragiquement décédé ce jour-là.

Paul, Roger, Edgard et Jean-Yves sont en quelques sortes les passeurs d’une mémoire locale indissociable de celle du village.

En rouge et blanc

De belles fêtes, des drames tragiques, le FC Bomal peut se targuer de posséder une histoire riche en anecdotes et autres récits de mémoire locale. Une histoire d’autant plus riche qu’elle attise depuis toujours celui que l’on appelle parfois « l’esprit de clocher » chez ceux qui la content, et génère un sentiment d’appartenance auquel s’identifient aujourd’hui encore les Bomalois.

Ce sentiment d’appartenance et cette identité se symbolisent dans les couleurs du club : le rouge et le blanc. Des couleurs qui ont évolué avec le temps.

« Les couleurs ont été imposées par le président », précise Léon Thirion. « Avant, on jouait en jaune et noir. Et ensuite, Monsieur Seutin est arrivé, lui c’était un grand socialiste, il a même été premier échevin aux premières élections communales. Alors, je suppose qu’il fallait du rouge pour lui, tout simplement, et donc on est passé au rouge et blanc. Mais c’est vrai qu’à ce moment-là on avait aussi beaucoup de Liégeois avec nous… »

Du rouge et blanc, le club est ensuite passé lors de la fusion au rouge et noir, sous la gouverne du président Paul Tintin, Sérésien dans l’âme. « Ça, les vieux du club ne l’ont jamais vraiment accepté », regrette, pensif, un ancien bénévole du club.
Conscients de cela, Olivier Houard et Jean-Yves Henrotte, chevilles ouvrières de la refondation du club cet été, n’ont pas hésité un seul instant lorsqu’il s’est agi de conférer ses couleurs au nouveau club : « Bomal, c’est en rouge et blanc, c’est comme ça », sourit ainsi le premier cité.

Et comme pour marquer davantage la rupture avec le chapitre d’un passé récent qu’ils souhaitent définitivement clos (lire chapitre 1), les nouveaux dirigeants ont abandonné le sanglier durbuysien pour orner le blason du nouveau club d’un autre animal : le taureau !

« Parce que le taureau, c’est un animal qui fonce, qui n’a peur de rien. Et qui est bien implanté par chez nous ! Ça nous correspond assez bien », conclut Olivier Houard, lequel est par ailleurs… éleveur de bovin !