Avant la crise, Azo menait de front une carrière de DJ et de programmatrice dans le milieu queer bruxellois. Les clubs fermés, aucune oasis ne subsiste pour assurer un espace « safe » tellement nécessaire à sa communauté. Entre deux lives acid en ligne, la productrice travaille donc à remonter le moral de ses fidèles. Et dorlote son séquenceur Roland TB-303.

Le samedi 13 mars, Azo est allée se recueillir… au Club C12. Pour commémorer un an de fermeture, la boîte du Marché aux Herbes tenait un petit autel funéraire en ses murs. Comme à d’autres adresses bruxelloises, les clubbers en manque y ont signé quelques cartes postales et sont repartis avec un peu de merchandising pour soutenir leur lieu de fête favori. « Ça m’a fait du bien même si c’était un peu kitsch », sourit la DJ. « Cette fermeture, c’est un gros trauma ».

Avant la brutale coupure du son dans les boîtes, Azo mixait deux fois par week-end. Organisatrice de soirées, elle avait blindé son agenda jusqu’à fin 2020. La fiesta finale de la pride à l’AB, les nuits bimestrielles au C12 ou ses dates de DJ et productrice acid en pleine éclosion : tout tombe à l’eau. Un gros coup au moral pour la Parisienne exilée à Bruxelles, qui rêve de musique électronique depuis ses 4 ans. « Je me suis lancée dès mes 18 ans. Avant ça, mes parents m’ont obligée à apprendre le piano ». Passionnée, elle a branché ses platines dans son appart d’Ixelles « avant même d’avoir un four ».

« Depuis le confinement, sans bar, sans club, il n’y a plus de lieux “safe”. Il n’y a pas de supermarché queer »

Le coup de massue est d’autant plus violent pour Azo qu’elle se définit comme « activiste queer ». Elle développe : « J’essaye de monter des lieux “safe” pour les personnes queer. Des soirées ouvertes, sans jugement, sans agression. Or, depuis le confinement, sans bar, sans club, ce type d’endroit n’existe plus. Il n’y a pas de supermarché queer ». D’où un isolement neuf pour une communauté habituellement très soudée : « les queers ont perdu une partie de leur vie ». La perte ne concerne pas uniquement la nuit, mais aussi les alternatives de jour comme le festival de cinéma Pink Screen, dont Azo programme la soirée de clôture. « Et depuis lors, il est impossible de remettre en place ce genre de lieux safe ». Conséquence : une communauté « déprimée », à qui les DJ sets en streaming ou les Zoom party ne font que rappeler la triste réalité.

Côté finances, Azo garde heureusement la santé grâce à un mi-temps dans un métier « de jour ». Le moral se maintient vaille que vaille via des « rave party en ligne » (lire cadrée), de la production sur une mythique Roland TB-303 récemment acquise et choyée comme un bébé, une compil sur Soundcloud pour le club C12, ou bien une flatteuse invitation à se produire en live à la Gaîté Lyrique à Paris le 6 mars 2021. Via son nouveau collectif Queer Future Club, l’activiste pense aussi lancer des discussions « rigolotes » pour sa communauté, histoire de dérider un peu le parterre.

Surtout, la Bruxelloise milite pour l’arrivée de mesures. « Elles sont bien connues : concerts expérimentaux pour vérifier les montées de cas, démocratisation des tests antigéniques rapides en entrée et sortie des soirées et distanciation ». La distanciation sur le dancefloor : jouable ? « La survie financière des clubs est en jeu, mais pas seulement : la survie psychologique des artistes et des clubbers aussi. Moi, si demain on m’autorise à jouer sur une terrasse ou une scène à jauge réduite et que le public peut danser à 1m de distance, je suis OK ».

« Moi, si demain on m’autorise à jouer sur une terrasse ou une scène à jauge réduite et que le public peut danser à 1m de distance, je suis OK »

Il faut aussi casser la tirelire pour les artistes et les clubs. « Les salles ont dû attendre un an. Et encore : tout le monde n’est pas sur la même ligne. Moi, mon association n’est pas assujettie à la TVA. Résultat : je ne reçois rien ». Et que dire des DJ sans statut d’artiste : « Pour la plupart, c’est la galère parce qu’ils font tout en black ». Pour un DJ bruxellois qui touche « entre 200 et 500€ » le cachet, très loin des « 5.000 à 10.000 » auxquels les noms internationaux peuvent prétendre, la pandémie plombe donc un quotidien déjà pas facile en temps normal.

Rien de neuf sous les lazers led à en croire la trentenaire : « la communauté techno a toujours été habituée à ce qu’on se fiche d’elle, à être marginalisée ». Et de remonter à ses premières expériences militantes. « La Techno Parade, à Paris, devait permettre à cette musique d’être reconnue comme culture à part entière ». C’est la France des années 90, de Chirac, des raves diabolisées. « J’ai regardé un vieux “Ça se discute” de 1995, avec Delarue. C’était déjà les mêmes revendications et a priori sur le monde de la nuit ». Dans le 2021 post-covid, plus besoin d’autorisation pour rassembler des jeunes sur la techno mais « la crise prouve qu’on reste le dernier maillon de la chaîne et que la méconnaissance du milieu persiste, sans doute en raison d’un écart générationnel entre artistes, clubbers et gouvernants ».

Pour conclure, Azo égratigne les gouvernants comme un scratch les tympans : « Avec mes potes, on se réjouit d’avoir vécu la fête. On en a profité à chaque moment, même si on était fatigué. Mais les jeunes d’aujourd’hui… Non seulement ils ont une vie de merde, mais en plus ils sont diabolisés. On leur met tout sur le dos : les lockdown parties, les rassemblements dans les parcs, les comportements inciviques… Et les métros, ils sont pas bondés, les métros ? »

Les femmes font leur lit dans la nuit

Dans les tuyaux d’Azo pour les mois à venir : la curatelle d’une « rave party virtuelle » sur l’incontournable webradio bruxelloise Kiosk. « Je ferai jouer des personnes queers et des femmes uniquement, encore trop minoritaires dans le monde de la nuit ».

C’est une réalité : les affiches des soirées et des festivals restent en franc déséquilibre au détriment des femmes. Même constat du côté des programmateurs et patrons de clubs. Des stars, belges notamment, émergent cependant qui changent un peu les mentalités. « Le phénomène autour d’Amélie Lens ou Charlotte De Witte, je trouve ça cool », souligne Azo en tant que DJ engagée. « Bien sûr, à Bruxelles, on est plutôt bien avancées. Mais le déclic doit encore s’enclencher hors des capitales, là où on n’évolue pas dans un milieu underground ».

Aussi Azo salue-elle Charlotte de Witte comme une ambassadrice. Programmée sur les plus gros festivals du monde, la Gantoise attire des centaines de milliers de vues sur chaque vidéo postée sur YouTube ou chaque stream posté sur Soundcloud. Voire des millions pour certains lives enregistrés durant le confinement. « Elle est la première à sortir la nuit des clichés féminins. Elle n’est pas à poils et elle a une conversation ». Des points communs avec Azo, en plus de l’amour de la techno.