Trouver un taxidermiste actif en Wallonie n’a rien d’une sinécure. Excepté quelques grands noms qui résistent au temps, comme la célèbre maison liégeoise « JP Gerard Simon », rares sont les particuliers qui naturalisent encore les animaux. « On est devenu une espèce en voie de disparition », sourit Sébastien Plumer, les yeux rivés sur la dépouille d’un raton laveur dont il travaille la peau. « Et encore, pour ma part, ce n’est pas mon activité principale. Des taxidermistes professionnels, il doit sans doute en rester moins d’une vingtaine en Belgique. Dire qu’à l’époque, on en trouvait presque dans tous les villages… »

Contrairement aux années 70 et 80 qui ont assisté au boom de la profession, il n’y aurait désormais plus qu’une poignée de naturalistes wallons. « Les empailleurs de campagne, ça n’existe plus », répète Sébastien Plumer. La faute à un métier « très pointu », mais aussi sans doute à un manque d’encadrement.

« En Belgique, il n’y a pas de fédération regroupant les taxidermistes et il n’existe pas d’école pour apprendre le métier, contrairement aux Pays-Bas ou en Grande-Bretagne. Chez nous, c’est donc un savoir qui se transmet uniquement de passionné à passionné. Et un savoir qui met du temps avant d’être maîtrisé, tant les techniques sont nombreuses, explique le Villersois. Pour faire correctement un oiseau, on peut dire qu’il faut sans doute en faire entre 150 et 200 avant de commencer à être au point. Il faut donc être motivé et patient, en plus d’être méticuleux. »

Dans son atelier où les mannequins ont remplacé le fil de fer et la paille, l’Ardennais d’origine, dont les mains gantées s’affairent sur l’oreille d’un marcassin, assure pourtant qu’il y a pas mal de jeunes qui s’intéressent à l’art de naturaliser les animaux. « De temps en temps, il y en a l’un ou l’autre qui me contacte pour en savoir plus sur la profession. On sent que ça les titille, mais, bien souvent, ils n’osent pas franchir le pas, car ils n’ont pas envie de passer pour celui qui vit de la carcasse d’animaux morts. »

Pour le quadragénaire liégeois, c’est clair : « Il y a une relève possible, mais il faudrait lui donner les moyens et l’envie de se lancer. Si nous avions la même culture de la taxidermie qu’aux États-Unis, beaucoup plus de jeunes naturalistes viendraient gonfler nos rangs aujourd’hui. »

Assis dans son chalet de jardin transformé en atelier, le quadragénaire de Fize-Fontaine se souvient avec une certaine nostalgie de cette époque où naturaliser des animaux n’avait rien d’extraordinaire. « Les années 70 et 80, ça a été un peu l’âge d’or de la profession en Belgique. Il n’y avait pas une maison où on ne trouvait pas un faisan ou un renard empaillé. Malheureusement, ce n’était pas toujours très réussi. Et ça a beaucoup desservi le métier. » Des yeux asymétriques d’un oiseau aux oreilles tombantes d’un chevreuil en passant par le pelage trop sombre d’un chat, les exemples de ratés ne manquent pas pour le commercial de profession.

Des réalisations qui faisaient peur

« Techniquement, tout n’était pas toujours au point. Par exemple, il n’était pas rare de voir des animaux empaillés qui louchaient sans explication. Ou alors, des volatiles qui perdaient leurs plumes au bout de quelques mois, parce que le travail n’était pas réalisé correctement. Bref, ça manquait parfois de professionnalisme », poursuit Sébastien Plumer, persuadé que l’appât du gain a alors attiré de nombreux opportunistes « qui ne s’y connaissaient pas assez ». « Mais ce n’est pas tout. Les bons taxidermistes n’ont pas toujours fait les bons choix non plus en voulant représenter des spécimens avec un air agressif, la gueule ouverte et les crocs acérés. Aujourd’hui, grâce à internet, ce sont des représentations qui sont devenues kitchs, car on sait qu’une bête sauvage n’est pas méchante par nature, mais pour la plupart des jeunes qui ont grandi dans les années 70, 80 et même 90, le mal est fait. Pour eux, la taxidermie reste associée à l’image d’un animal agressif, qui fait peur. »

D’avis qu’en l’espace de deux décennies, une partie de ses prédécesseurs ont « tué le métier » – « Je suis certain qu’ils ont voulu bien faire, mais ils auraient dû être plus mesurés dans leur travail » – Sébastien Plumer participe désormais à rendre à la taxidermie ses lettres de noblesse. En luttant contre les clichés « et en expliquant, par exemple, que je ne suis pas un naturaliste à l’ancienne, qui va faire son marché dans les bois pour vendre des carcasses mal rempaillées à prix d’or ». Mais surtout, en privilégiant un travail de qualité. « J’ai toujours pensé qu’une pièce bien réalisée pouvait faire changer les mentalités. » Une pièce où la nature s’exprime d’elle-même, sans fioritures.

Plus de transparence

Prônant une taxidermie moderne depuis dix ans, comme il l’indique sur son site internet, l’Ardennais d’origine s’applique donc à rendre des réalisations plus… grand public. « Comme beaucoup de petits naturalistes, l’essentiel de ma clientèle se compose de chasseurs. À leurs yeux, une pièce reflète surtout une performance. Mais pour les autres personnes qui font appel à moi, leur démarche est souvent plus… sentimentale. C’est le cas des éleveurs, qui veulent garder une trace intemporelle d’une belle bête, mais aussi des musées et des décorateurs, qui attendent d’une réalisation qu’elle soit à la fois conforme à la réalité et agréable à regarder. » Exemple avec cet ours empaillé, gentiment assis, qui trône fièrement dans le salon de Sébastien et qui dormira prochainement dans une bibliothèque privée.

« Plus j’y repense et plus je me dis qu’on est désormais à des années lumières de ce qu’on faisait encore dans les années 80 et 90, quand le voisin de mon oncle a commencé à m’apprendre les ficelles du métier chez lui, à Vielsalm. Que ce soit dans la façon de redonner vie aux animaux, dans les techniques de naturalisation ou dans les produits qu’on utilise, tout s’est tellement amélioré. Malheureusement, la majorité des gens ne le savent pas, souffle Sébastien Plumer. Actuellement seuls les rares particuliers qui souhaitent conserver leur animal de compagnie près d’eux peuvent en témoigner. » Autrement dit, restaurer la confiance envers le travail des taxidermistes nécessitera du temps. « Mais ce n’est pas impossible ! »

Car, s’il regrette que sa passion ne soit pas toujours considérée à sa juste valeur, Sébastien Plumer veut croire dans un futur plus réjouissant. « Depuis quelques années, on sent que les mentalités changent un peu. Le monde de l’art et de la décoration s’intéresse de plus en plus à ce que les naturalistes font, et quelques particuliers osent à nouveau revenir vers nous pour des demandes plus personnelles. Là, par exemple, je m’attelle à redonner vie à un bouvier. C’est un beau projet qui me fait penser qu’il y a encore de la place dans l’intimité des gens pour notre travail. » Et qu’il y aura toujours du boulot pour les naturalistes passionnés « qui n’auront pas peur d’ouvrir leur atelier au public en communiquant toujours plus, via les réseaux sociaux par exemple ». Histoire de tordre le cou définitivement aux stéréotypes.

Peu nombreux, mais officiellement reconnus depuis 2014, les taxidermistes du royaume doivent respecter une législation assez stricte. Si cette dernière diffère (un peu) selon qu’ils exercent en Wallonie, à Bruxelles et en Flandre, toutes les régions doivent respecter la convention de Washington (CITES) qui légifère sur le commerce et le transport international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction. Autrement dit, sauf dérogation exceptionnelle « comme pour l’ours sur lequel j’ai travaillé récemment », il est impossible de travailler sur des animaux protégés.

« Aujourd’hui, ce n’est plus le Far West comme dans les années 70-80, quand les anciens taxidermistes allaient dans la nature chasser les animaux qu’ils souhaitaient afin de répondre à une commande, assure Sébastien Plumer. Aujourd’hui, les seuls qui peuvent naturaliser une espèce protégée sont ceux qui le font dans un but didactique, parce qu’ils ont reçu une commande d’un musée par exemple. Dans tout autre cas, c’est illégal. »