« Et attention aux morceaux de verre ! » Alors qu’ils s’apprêtent à rejoindre leur camion, Hervé, Jonathan et Mickaël reçoivent les derniers conseils de leur responsable. « Il y a quelques jours, l’un d’entre nous a failli se couper avec un bout de verre caché dans un sac. Ce n’est vraiment pas passé loin. Pour le même prix, on filait aux urgences. »

À Frasnes-lez-Anvaing, « pas un jour ne passe sans qu’il arrive un truc » aux éboueurs de la commune. « Notre métier ne se limite pas seulement à ramasser des poubelles et remplir une benne. Ce qu’on fait n’est pas aussi monotone qu’on le pense, assure Jonathan, le plus ancien du service. Dès qu’on sort du dépôt, c’est une nouvelle journée qui commence. » Avec ses bons et ses moins bons côtés…

« Aujourd’hui, on a de la chance avec la météo. Il ne pleut pas et il ne fait pas trop froid. » Bien calé derrière le volant de son camion, Hervé savoure les premiers rayons de ce mercredi ensoleillé. « Parce que ce n’est pas toujours la joie, hein ! Surtout pour Jo et Mickaël qui doivent parfois rester dehors plusieurs heures d’affilée avant de pouvoir se réchauffer dans la cabine. »

Dépôts illégaux

Le regard vissé sur son rétro de gauche et sur la petite caméra qui filme ses collègues, à l’arrière de la benne, « Papy » – comme le surnomment ses jeunes collègues – roule prudemment. « Pas plus de 30 à l’heure. Mesure de sécurité. » Ce qui ne plaît pas forcément à tous les automobilistes. « Il arrive parfois qu’on se fasse frôler par un camion ou qu’on se fasse insulter par des conducteurs qui estiment qu’on n’avance pas assez vite », regrette Hervé au moment de s’engager dans un premier village.

En même temps qu’il réalise ses premières manœuvres de la journée, le tout frais ouvrier communal confie voir différemment le métier d’éboueur depuis qu’il l’exerce. « Ça ne fait que quelques mois que je bosse avec Jo et Mickaël. Après 15 ans à livrer des supermarchés à travers toute la Wallonie, il m’a fallu un peu de temps pour trouver mes marques. Je me souviens, au début, j’avais du mal avec les odeurs nauséabondes qui s’échappaient de la benne pendant l’été. Et puis, il y avait toutes ces incivilités… » À l’arrêt, Hervé pointe du doigt un amas de cannettes vides jetées le long de la route. « Mais ça, même encore maintenant, je ne m’y fais pas », soupire-t-il, conscient qu’il devra revenir pour (re)nettoyer le bas-côté. « Ce n’est jamais agréable de devoir ramasser plusieurs fois des dépôts illégaux au même endroit, mais ça fait partie du job. Comme pour tout, être éboueur a ses avantages et ses inconvénients : on fait des choses dont on aimerait se passer, mais on travaille en extérieur, on a de bons horaires et on fait de belles rencontres. » Comme Jean, sur la place d’Anvaing.

Pour le bien commun

Après bientôt deux heures de travail, Hervé, Jonathan et Mickaël s’arrêtent pour une première pause. « Tous les mercredis ou presque, on stoppe le camion devant le garage de Jean. C’est devenu un rituel : il nous offre un Coca et on discute quelques minutes de tout et de rien », souligne Jo. « C’est ma façon à moi de les soutenir, poursuit le retraité anvinois. Je travaillais aussi en extérieur et je sais combien ce qu’ils font peut être usant. » Que ce soit physiquement – « parce qu’ils courent, les mecs » – ou mentalement.

« En faisant notre métier, on sait qu’on va devoir mettre les mains dans la crasse et qu’on va se salir. Ça, on l’accepte sans problème. Ça devient même mécanique, à force, explique Mickaël, le plus passionné de la bande. Par contre, ce qui est moins amusant, c’est quand on se fait asperger d’huile parce que le tri n’a pas été fait, que les sacs se déchirent parce que les citoyens les remplissent beaucoup trop ou qu’on nous laisse des chats morts. Là, ça devient pénible. »

Mais bien qu’ils soient souvent obligés de soulever des sacs de plus de 30 kg « alors qu’ils ne peuvent pas excéder 20 kg normalement » et qu’ils récoltent jusqu’à 40 tonnes de déchets par semaine, les éboueurs frasnois ne se départissent jamais longtemps de leur sourire. « Parce qu’on aime rendre service aux gens avant tout, et qu’on aime le contact humain », résume Mickaël pour qui évacuer les poubelles est devenue « une passion ». « Clairement, ce qui nous motive, c’est de savoir qu’on est utile à la population », ajoute-t-il entre deux sacs. « Les gens ont du mal à croire que j’aime ce que je fais mais c’est la vérité. Comment ça s’explique ? Je ne sais pas. Peut-être que c’est le fait d’être en mouvement tout le temps, de voir des gens. » Le camion fait demi-tour dans une rue sans issue. Quelques mètres plus loin, l’éboueur s’est arrêté de courir. « Pour ma part, la vie ne m’a pas toujours fait de cadeau. Mais aujourd’hui, en aidant les autres comme je le fais avec Hervé et Jo, je me dis que j’ai ma place dans cette société. » Et la tournée de se poursuivre jusqu’au prochain arrêt, chez Roger, où le trio reçoit de nouveau de petites bouteilles pour se désaltérer. Nouvelle (faible) récompense avant de reprendre du collier et empiler les sacs dans la benne. Comme tous les matins de la semaine.

Dans des villages où le sourire des uns côtoie les insultes des autres, les éboueurs de Frasnes-lez-Anvaing le constatent de mois en mois : « Les crises successives font mal aux gens. »

« Avant, presque tous les citoyens avaient l’habitude de laisser un petit pourboire aux éboueurs en fin d’année. Mais maintenant, c’est fini ! », note Dominique, qui travaille seul dans les plus petites rues de la commune. « Cette année, on a bien senti que ce n’était pas la même chose… Le Covid et la guerre en Ukraine font mal au portefeuille. »

Dans la cabine de son camion, Hervé observe également un changement des habitudes depuis peu. « Avant, au début de chaque mois, on ramassait énormément de poubelles. C’est logique : chacun touche son salaire et s’offre de petits plaisirs. Mais là, depuis quelques semaines, on voit bien que certaines personnes ont du mal à suivre. Comment je le sais ? Parce qu’on ramasse un peu moins de déchets, même en début de mois. Parce que les citoyens bourrent leurs sacs pour faire quelques économies. Ou alors parce qu’ils ne savent même plus s’acheter de sacs communaux conformes. » Quitte alors à tout laisser en vrac sur le bord de la route.

Actuellement, la Wallonie compte quatre unités de valorisation énergétique des déchets ménagers (Thumaide, Virginal, Pont-de-Loup et Herstal) et deux centres d’enfouissement technique, à Beaumont et Oupeye (Hallembaye).

Selon les derniers chiffres officiels, 52% (998.000 tonnes) des déchets ménagers collectés dans la région en 2020 ont été dirigés pour recyclage vers des centres de valorisation matières et de valorisation organique (compostage ou biométhanisation) tandis que 45,1% (855.000 tonnes) ont été redirigés vers des unités de valorisation énergétique.

« Entre 2010 et 2020, la quantité de déchets ménagers acheminés vers les centres de valorisation a globalement augmenté (+ 15,9 %). À l’inverse, sur la même période, la quantité de déchets ménagers et assimilés envoyés dans des centres d’élimination a fortement baissé (- 66,4 %), précise le portail environnement de la Wallonie. L’analyse par mode de gestion met en évidence une hausse de la valorisation énergétique (+ 44,2 % entre 2010 et 2020) au détriment de l’élimination par incinération qui a pratiquement disparu (- 99,0 %). » Les lignes d’incinération sans récupération d’énergie étant, par ailleurs, progressivement remplacées par des lignes d’incinération avec récupération d’énergie.

Reste que 42.900 tonnes des déchets ménagers collectés en Wallonie – principalement des encombrants – ont (encore) été renvoyés vers des centres d’enfouissement technique en 2020.