Cela faisait onze ans que le Rainbow Warrior n’était pas passé par la Belgique. Et si ce genre d’événement est rare, c’est avant tout parce que le navire est abondamment sollicité à travers le monde.

« Avec la trentaine de bureaux que compte Greenpeace à travers le monde, on doit se mettre d’accord sur qui peut utiliser les bateaux, à quel moment et pour quelle campagne », explique Mathieu Soete, chef de campagne Énergie & Climat pour Greenpeace Belgium, par ailleurs initiateur du projet. « Cela fait plus d’un an qu’on s’est mis ensemble avec les bureaux européens pour développer une campagne conjointe sur le climat, intitulée « United for Climate ». »

Depuis quatre mois, le voilier a donc parcouru des milliers de kilomètres sur les mers depuis la Roumanie jusqu’en Belgique, où le focus a été mis sur l’éolien offshore.

« Les énergies renouvelables sont véritablement l’alternative aux énergies fossiles et à l’énergie nucléaire », insiste Juliette Boulet, porte-parole de Greenpeace Belgium. « Les rapports scientifiques nous montrent qu’on doit aujourd’hui changer de système. Et notamment en termes de production d’électricité. Il convient dès lors de se tourner vers une technologie qui est fiable, qui est mature et qui est rentable économiquement aussi. »

Situé au large des plages belges, à la limite des eaux territoriales néerlandaises, un gigantesque parc éolien offshore se dresse fièrement au milieu des froides eaux de la mer du Nord.

Comptant aujourd’hui plus de 300 éoliennes offshores, dont les premières sont entrées en service en mai 2009, le parc n’a cessé de grandir et de se développer, site après site, phase après phase, pour faire aujourd’hui de la Belgique l’un des États à la pointe de cette technologie.

D’ici la fin de l’année 2020, la capacité de production de ces centaines de turbines devrait atteindre 2262 MW, soit l’équivalent de 12 à 13% de la consommation en électricité de la Belgique.

Reportage sur le Rainbow Warrior © EdA – Jacques Duchateau / Romain Veys

Jan Vande Putte travaille depuis plus de 20 ans dans le secteur de l’énergie. Spécialiste de l’éolien offshore chez Greenpeace Belgium, il rayonne au moment d’évoquer la situation en mer du Nord : « C’est sans doute la zone la plus idéale au monde pour développer cette technologie. Il y a là une combinaison unique entre la profondeur des fonds marins, la proximité des terres, la force moyenne du vent, … »

Le caractère exceptionnel de la zone n’a d’ailleurs pas échappé aux acteurs du secteur, qu’ils soient politiques ou économiques. « Notre volonté n’est pas de vanter les mérites de l’éolien et de supprimer le reste. Mais si on veut conserver un pôle chimique important comme celui d’Anvers, la seule solution est d’être compétitif au niveau de l’éolien offshore, un domaine où la Belgique est à la pointe actuellement. Les gens l’ont bien compris : plusieurs entreprises, dont Elia (NDLR : le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à haute tension en Belgique), mènent la danse. Et la politique du ministre De Backer a permis à notre pays de prendre le leadership d’une coopération internationale chargée de développer cette technologie en mer du Nord. »

Pourtant, au départ, le pari semblait loin d’être gagné. « Les débuts ont été difficile, c’est vrai, car il y avait beaucoup de protestations. Il y avait les villes balnéaires qui voyaient d’un mauvais œil l’arrivée de ces moulins à vent au large de leurs plages, mais aussi les pêcheurs qui montraient beaucoup de réticences à l’égard du projet. La solution a finalement été de développer une autre zone, avec la collaboration de tous les acteurs. Aujourd’hui, la Belgique est la 5e puissance mondiale dans le domaine de l’éolien offshore. »

Et la position dominante de la Belgique dans ce type de production d’énergie verte devrait encore s’amplifier dans les prochaines années : « La création d’une deuxième zone a été approuvée dans le plan maritime de notre gouvernement fédéral, bien que ce-dernier soit en affaires courantes », sourit Jan Vande Putte. « Sa réalisation devrait s’étaler de 2020 à 2026. Le gestionnaire du réseau électrique a déjà donné son accord. Avec l’apport de ce nouveau parc, la capacité de production devrait doubler et atteindre les 4.000 MW. Et on pense même qu’il est possible d’aller encore plus loin. Ce n’est tout de même pas mal pour un pays comme le nôtre qui ne compte que 60km de côte… »

Une nouvelle révolution industrielle

Pour Jan Vande Putte, « ce qui a changé aujourd’hui c’est l’attitude du top de l’industrie, qui s’intéresse désormais à l’éolien. C’est clair, il y a un consensus entre le secteur du privé, les organisations non gouvernementales et le monde politique. Ils ont compris qu’il y a une réelle opportunité pour la Belgique. La priorité aujourd’hui est donc de prendre la tête d’un réseau regroupant tous les pays bordés par la mer du Nord. Avec les étendues d’eau que l’on retrouve au large de l’Écosse, le long des côtes de la Norvège, ou au nord de l’Irlande par exemple, le potentiel est quasi illimité. »

Comme dans toute révolution industrielle, la technologie ici développée se mue à grande vitesse depuis quelques années. « L’éolien flottant : voilà ce qui succèdera bientôt à l’éolien offshore », reprend le scientifique.

« La question qui se pose, désormais, est de savoir comment rapatrier la production d’énergie. Il existe de grandes turbines flottantes qui stockent l’électricité puis la renvoient, via des câbles sous-marins (NDLR : procédé actuellement utilisé dans le parc belge). Mais depuis deux ans, des entreprises travaillent sur un autre modèle : celui d’une plateforme offshore qui transformerait l’électricité en hydrogène, plus facile à transporter. Cela montre bien que le monde de l’industrie se prépare pour une deuxième grande vague dans ce secteur. D’ailleurs, quand il s’agit de production par des éoliennes offshore, on ne parle plus aujourd’hui d’électricité, mais bien de besoins énergétiques : c’est un signe. »

Toutefois, la situation n’est pas sans risque. Car si les enjeux économiques et environnementaux ne font pas l’ombre d’un doute aux yeux de Jan Vande Putte, sa crainte est que le politique ne suive pas.

« Le plus grand risque, c’est le casting qui définira le prochain ministre fédéral du Climat et de l’Énergie. Il est nécessaire d’avoir quelqu’un de pragmatique et de professionnel, qui permette d’avancer. Or, récemment, on a vu qu’un mauvais choix de ministre pouvait entraîner une petite catastrophe… Ce que nous attendons du prochain gouvernement fédéral et de sa déclaration de politique générale, c’est d’abord la finalisation de la création de cette deuxième zone d’éoliennes offshores au large de nos côtes : d’ici deux ans, les industries seront prêtes. Ensuite, que le gouvernement anticipe les prochaines étapes à développer dans les années à venir : c’est maintenant qu’il faut les planifier. Enfin, que la Belgique soit le moteur à l’échelle internationale et qu’elle puisse accélérer le développement de l’éolien offshore à ce niveau ».