Le vin wallon est bon et la Wallonie compte de plus en plus de vignerons. Durant novembre, à travers une série de reportages, partons à la découverte des vignobles de chez nous pour comprendre les enjeux, le métier et le travail au quotidien des vignerons, et partager avec eux leur passion.
Vincent De Busscher est un épicurien passionné par le vin. Après 30 ans de carrière dans la finance, il se met en tête de lancer un vignoble en Belgique. Mais toutes les planètes ne sont pas encore alignées. Son projet ne se concrétisera qu’en 2016, à l’arrivée de Laurianne Lejour. Elle est champenoise et a appris le métier de vigneronne pendant huit années au sein de l’exploitation familiale. En 2016, elle a décidé de voler de ses propres ailes. Elle s’associe donc à Vincent, convaincue du haut potentiel du terroir belge.
Le lieu idéal
C’est à Nouvelles que le duo plante ses premiers pieds de chardonnay, de pinot noir et de meunier. « Il nous fallait des coteaux bien orientés, se souvient Vincent. Après de nombreuses recherches nous avons trouvé une parcelle de 7 ha où commencer notre projet. L’endroit était parfait et nous étions sur un des meilleurs terroirs de la région montoise. Ce qui nous a d’ailleurs été confirmé par des géologues et des spécialistes de l’université de Louvain-la-Neuve. » Le site est tellement parfait qu’il est classé au patrimoine de l’Unesco pour ses vestiges néolithiques.
Un premier bail à ferme est signé avec le propriétaire. Mais pour implanter un vignoble sur ce site protégé, il faut demander un permis. Celui-ci est délivré en 2018 et 4,6 ha sont alors plantés à la main, en trois semaines.
Le projet viticole de Vincent et Laurianne est cependant bien plus ambitieux. L’objectif est, à terme, d’atteindre 15 ha. Las, une seconde demande de permis de plantation est refusée. Le vignoble de Nouvelles ne pourra donc pas s’étendre. Le duo continue sa quête et trouve auprès de Guy Paternoster, agriculteur à Havay, une terre qui lui convient. « Plus que les hectares, ce sont les meilleurs terroirs qui nous intéressent, insiste Vincent. Et à Havay, nous avons trouvé une parcelle, au lieu-dit Ry au coq, qui était parfaite. Elle est située sur un ancien site de fours à chaux. Il y a donc du calcaire et un limon plutôt léger. »
Avant de lancer la plantation sur ce nouveau terroir, Vincent et Laurianne signent un nouveau bail à ferme de 99 ans. Ensuite, ils prennent le temps de donner un nom à leur projet. Ce sera le domaine Mont des Anges. En 2020, une première parcelle de 1,6 ha est plantée sur ce second site.
Du vin effervescent
« Pour cette nouvelle parcelle, des fosses pédologiques ont été réalisées pour analyser le sous-sol. Elle était la candidate parfaite à plantation de cépages de type champenois. Car notre ambition est de faire des vins effervescents. »
En avril dernier, une nouvelle parcelle de 4 ha est préparée pour une nouvelle plantation. Cette fois, le domaine du Mont des Anges fait appel à un prestataire français pour une plantation à la machine. Le jour J à l’heure H, toute l’équipe du vignoble est au travail pour planter 5 000 pieds par hectare, pour un total de 18 500 pieds et, à la machine, cela fait 9 000 pieds par jour.
« Jusqu’ici, tout ce que nous avons planté, nous l’avons fait à la bêche et à la tarière. Cette machine, c’est un réel progrès pour nous, même si elle impose une cadence à suivre pour installer les tuteurs pour protéger nos pieds. Comme nous travaillons de manière respectueuse de l’environnement, nous mettons aussi un cache pour les protéger des ravageurs, principalement les lapins parce que nos parcelles sont entourées de bois. »
La patience du vigneron
Le domaine Mont des Anges a choisi de planter 3 000 pieds d’un cépage interspécifique, résistant aux maladies, jusqu’ici inédit en Belgique. Il faudra attendre 2024 pour le goûter. « Il s’agit du Voltis, dont nous avons obtenu l’exclusivité pour les deux ans à venir, explique Vincent De Busscher. Ce cépage a été développé en France par l’INRA (Institut national de la recherche agronomique). Le Voltis est un tout nouveau cépage, très proche du chardonnay tant par ses qualités que par son acidité. L’avantage est qu’il débourre plus tard que le chardonnay. Donc cela nous donne un peu plus de latitude par rapport aux gelées de printemps. Nous avons choisi ce cépage car il s’intègre bien dans notre démarche environnementale pour essayer de diminuer les intrants dans nos vignes. On l’a aussi choisi parce que nous l’avons goûté. Nous avons donc mis une quantité suffisante pour pouvoir l’assembler avec les autres cépages de nos autres parcelles. Les premières bouteilles seront tirées de la vendange 2023. Patience donc, mais quand on est vigneron, il faut être patient. »
Le bon moment pour se lancer
Régis Possinet, vigneron champenois, installé à Cuchery, dans la vallée de la Marne, a noué des liens professionnels et d’amitié avec le domaine W à Saintes (Tubize), dans le Brabant wallon (notre reportage dans le Deuzio de samedi prochain). Quand il voit et goûte les vins qui sont faits chez nous, il retrouve le même esprit qui anime sa vision de faire du vin. « J’ai l’impression de revoir la Champagne à son origine, explique le vigneron. C’est-à-dire avec des sols très riches et une vigne qui pousse assez fortement avec des brins de taille assez gros, pleins de vigueur, ce que l’on ne voit plus chez nous. »
Adepte de la biodynamie – ce qui, en Champagne, est assez peu répandu – il retrouve ici un domaine conduit en bio et en biodynamie. « Le fait de travailler en biodynamie permet de faire ressortir le terroir, insiste Régis Possinet. C’est une façon de travailler les vins pour amener avec justesse tous les arômes et tout ce que l’on recherche au niveau de la maîtrise. Sans maîtriser tout car il faut aussi du laisser-aller dans la conduite de la vigne. Un vigneron doit souvent s’adapter à son milieu de travail. En tout cas, ce qui se passe au domaine W est intéressant à plus d’un titre. Et cela d’autant plus que les propriétaires sont dans le même esprit que moi. Je pense que c’est pour ça que l’on se comprend si bien. »
Pour Régis Possinet, faire du vin en Wallonie et de la bulle, même en biodynamie, c’est l’avenir. « Pourquoi pas ? Vu le changement de climat, ça peut être intéressant, surtout dans une réflexion biodynamique. Quand on travaille en biodynamie, on ne cherche pas trop de savoir ce qui se passe. On est vraiment dans la réflexion de regarder comment les plantes et le sol réagissent. J’ai hâte de voir les années futures justement avec le climat changeant. Personne ne peut se projeter pour vraiment savoir ce qui va se passer. Mais en tout cas, ce qui se passe ici, à Saintes ou ailleurs en Wallonie, est plus que prometteur. En tout cas, de mon expérience personnelle, je dirais que c’est le bon moment de démarrer un vignoble, ici, en Wallonie. »
Une autre vision de la viticulture
Laurianne Lejour, champenoise, a appris le métier de vigneronne pendant huit ans au sein de l’exploitation familiale, où elle a développé ses propres cuvées. À la tête d’un tout petit vignoble de 1,5 ha, la jeune femme se définit avant tout comme une paysanne avant d’être vigneronne. Les vignes qu’elle exploite se trouvent sur les meilleurs terroirs champenois, au sud de la montagne de Reims et en côte des Blancs. Elle magnifie chaque parcelle individuellement.
C’est la détermination de Vincent De Busscher qui l’a convaincue de le suivre dans l’aventure du domaine Mont des Anges. « Ce projet, c’est un pari très intéressant et c’est surtout une liberté et une façon différente de voir la viticulture, explique la jeune vigneronne. Nous avons pris des décisions différentes de ce qui se fait en Champagne, même si on fait un effervescent en méthode traditionnelle. En plus, que ce soient les pratiques culturales ou les possibilités que nous avons en termes de vinification, en Belgique, on est plus libre. »
Un terroir moins figé
Entre la Wallonie et la Champagne, il y a pas mal de similitudes. « En tout cas, pour le sous-sol, la Wallonie est très comparable et convient bien aux trois cépages champenois. La comparaison s’arrête là car, en Champagne, nous sommes 13 000 vignerons. Cependant, il n’y a pas d’extensions possibles. La superficie du vignoble champenois est figée. Me lancer dans ce projet est donc doublement intéressant. D’abord parce que j’ai la possibilité de créer de toutes pièces un vignoble. Ensuite, on peut faire des choix qui ne sont pas nécessairement imposés par une réglementation. En Champagne, c’est impossible. »
Compte tenu de l’évolution du climat, le choix d’un nouveau cépage comme le Voltis est un autre challenge pour la vigneronne champenoise. « Ce genre de cépage est tout à fait interdit en France, du moins pour les vins d’appellation. En Belgique, on peut le planter parce qu’il est tout simplement disponible. Nous l’avons choisi pour sa faible typicité et nous partons d’une page blanche. Nous espérons des raisins l’année prochaine, ce qui nous permettra de faire quelques essais de microvinification. Ensuite, avec le temps, on pourra le vinifier en plus grande quantité. De plus, c’est une variété qui est résistante aux maladies et comme l’idée est de réduire nos traitements, c’est un précieux outil supplémentaire pour accroître la réduction de la mécanisation et améliorer ainsi notre bilan carbone. »
Avec ou sans appellation
Les vignerons flamands en sont très friands et usent beaucoup des différentes appellations d’origine mises à leur disposition par la Région. Les vignerons wallons, quoique moins nombreux que leurs homologues flamands, ont plutôt tendance à les bouder. Vin mousseux de qualité de Wallonie (VMQ de Wallonie), cela n’a rien de très sexy, même si cela répond à la nomenclature européenne en matière de production de vin effervescent. Et de fait, seuls 6 600 litres ont été déclarés pour la campagne de 2019, tandis qu’en Flandre, ce sont pas moins de 114 000 litres, tant en blanc qu’en rosé. En Wallonie, il y a une marque porteuse, le Ruffus du vignoble des Agaises (photo), qui se valorise sans affubler la moindre appellation.
La fièvre de la plantation
Sur la base des chiffres officiels, on constate que, par rapport à l’année 2018, la surface cultivée en 2019 a augmenté de 56 ha (+14,5 %). Cette tendance générale à la plantation ne s’est pas estompée en 2020 avec 25 % en plus par rapport à 2019. On peut actuellement estimer, sans trop se tromper, que la superficie plantée est proche des 600 ha (441,12 ha en 2019 et 587 en 2020). C’est encore loin des 1 235 ha du Grand-Duché du Luxembourg, ou des 3 570 ha du vignoble britannique, et un peu plus loin encore des 14 700 ha du vignoble suisse. On peut même dire que le vignoble belge est à des années-lumière des 835 805 ha du vignoble français, mais on peut se féliciter qu’il est presque comparable au tout petit vignoble de Malte qui couvre 490 ha pour seulement cinq producteurs.
Intra ou inter ?
L’encépagement belge est très particulier. Nos vignerons se sont tournés soit vers des cépages traditionnels, soit vers des hybrides interspécifiques. Quelle est la différence ? Le cépage traditionnel est un hybride intraspécifique, c’est-à-dire issu d’un croisement à l’intérieur d’une même espèce du genre vitis vinifera. Le résultat de ce croisement donne une vigne métissée qui conserve toutes les caractéristiques de l’espèce d’origine. Un interspécifique provient du croisement de deux espèces de vignes différentes, le plus souvent entre des vitis vinifera et des espèces européennes, américaines ou asiatiques, afin d’améliorer la résistance de la plante au mildiou, à l’oïdium ou au froid. Les interspécifiques sont interdits en France pour les vins d’appellation car jugés insuffisamment qualitatifs. Mais ils sont très répandus en Allemagne, en Suisse, en Tchéquie, aux États-Unis (surtout côté Est), en Chine et en Belgique.
Le droit de plantation
L’Union européenne a fixé un seuil maximum de 2 000 ha à partir duquel un droit de plantation est imposé. De quoi s’agit-il ? La PAC (Politique agricole commune) a prévu ce droit de plantation afin de garantir une homogénéité dans la production viticole. Cette réglementation, revue en 2016, ne concerne que les parcelles liées à la production de vin à but de commercialisation. En Belgique, on est encore loin de ce seuil des 2 000 ha pour que nos vignerons doivent s’acquitter de ce droit. Et si le changement climatique semble être propice au développement du vignoble belge, c’est donc le bon moment de planter de la vigne.