Un des secrets des vignerons wallons est d’assembler des vins pour en faire des bulles.  Cette étape  met en lumière la qualité des vins sur un millésime. 

Créé en 2016 par Sophie Wautier et Dimitri Vander Heyden, le domaine W à Saintes, en Brabant wallon, exploite aujourd’hui 8 ha de pinot noir, chardonnay et pinot meunier, comme en Champagne, avec la volonté de faire des vins effervescents.   La première vendange a eu lieu en 2018 et les premières bouteilles (2 500) ont été commercialisées en décembre 2020.  La récolte 2019 devrait permettre de sortir 10 000 bouteilles à la fin de l’année.  Mais qu’en est-il de la vendange de 2020 ?

« L’année 2020 a été un petit peu particulière avec ses périodes de confinement, se souvient Dimitri Vander Heyden.  Avec la difficulté de passer les frontières, nous avons craint de ne pas être livrés de notre pressoir champenois et qu’il ne soit pas installé à temps pour pressurer nos raisins.  C’était une année clé pour notre troisième vendange. Il était prévu que l’entièreté des opérations se fasse ici, au domaine. »

Un millésime abouti

Heureusement, le pressoir flambant neuf a pu être installé à temps et les raisins n’ont fait que 200 m au maximum pour être pressés au cours de la campagne de vendanges qui s’est étalée du 13 au 23 septembre. « C’est la toute première fois que nos raisins ne quittaient pas le domaine. L’année 2020 est donc le tout premier millésime 100 % maison.  Au niveau météo, elle a été une année exceptionnelle et nous a donné une récolte abondante avec un niveau de maturité exemplaire. Que ce soit les sucres, les acides ou la maturité phénolique et l’équilibre pour l’ensemble, tout était vraiment parfait. C’est le plus abouti de nos millésimes.  Mais, l’air de rien, nos vignes ont pris de l’âge et nos équipes aussi, et si 2018 était de très bonne facture, et en 2019, nous sommes montés d’un cran, avec 2020, nous sommes encore au-dessus de 2019. »

En 2020, il y a eu plusieurs pressoirs, ce qui a permis d’isoler 22 lots différents de vin de base pour les trois cépages du domaine. Certains vins ont eu droit à un élevage en barrique, d’autres en cuve, pendant l’hiver.  Au printemps dernier, entre les coups de gel, le domaine W a organisé une dégustation de tous ces lots pour définir le meilleur assemblage possible afin d’élaborer les différentes cuvées que le domaine mettra en vente au mieux à la fin de l’année 2022.

Un moment clé

« L’assemblage est un moment clé quand on produit, comme nous, des vins effervescents.  C’est un premier aboutissement où on se pose les questions de savoir si on pourra faire, avec tous ces lots, une recette exceptionnelle ou pas. Lors de ces dégustations, nous sommes face aux résultats de nos vendanges. Est-ce que nous avons bien vendangé ? Est-ce que nous avons bien fait les vinifications ? Est-ce qu’il y a des défauts, ou pas ?  Est-ce que nous sommes au niveau de nos attentes ?  C’est stressant car nous sommes face à des personnes extérieures, avec un regard tout à fait neutre. Elles n’ont pas peur de vous dire que ce n’est pas bon.  Là, ce n’est pas le cas. Quand on voit le sourire sur le visage des œnologues champenois et qu’ils nous disent en rigolant qu’ils vont devoir se bouger en Champagne, cela résume bien que nous sommes, en Belgique, capables de faire de l’effervescent très haut de gamme, qui peut rivaliser sans problème avec le haut du panier de la production champenoise.  Pour nous, face à ce panel de spécialistes, c’est clairement un soulagement parce que ce sont des années de travail, pour un projet vieux de huit ans, qui trouvent finalement une certaine consécration. 2020 est la toute première année où nous avons des volumes suffisants pour pouvoir élargir notre gamme. »

Le meilleur équilibre

L’assemblage de différents vins pour élaborer une cuvée n’est pas une science exacte.  Il faut se projeter dans le futur en tirant profit des volumes et des qualités disponibles.  

Lors de la dégustation d’assemblage du domaine W, le Champenois David Chaboche, œnologue et conseil du domaine brabançon, a pu constater le niveau qualitatif élevé des lots proposés par le domaine.

« Il y avait une partie des vins qui avait été conservée de la vendange 2019. Ils présentent une très belle évolution, avec un toasté très agréable. Et puis, il y avait toute une série de lots de ce beau millésime 2020, sur les trois cépages du domaine.   On a de belles maturités. »

L’œnologue champenois ne voit pas d’un mauvais œil la concurrence des vignerons wallons qui font des bulles. Au contraire.  «  Pour moi qui suis champenois, cette qualité des vins wallons, en progression constante sur les millésimes, ce n’est pas vraiment inquiétant pour les producteurs de champagne. Au contraire, cela génère une saine concurrence et un petit peu d’émulation. Cela stimule un petit peu tout le monde. J’estime que c’est parfait pour tirer toute la filière vins, en Europe, dans le monde et en Belgique, vers le haut. C’est finalement ce qu’il y a de mieux pour le consommateur qui peut ainsi élargir son choix en fonction de ses préférences.  »

L’assemblage n’est pas une science exacte car il faut se projeter dans un avenir plus ou moins proche et sentir comment vont évoluer les différentes cuvées.  Mais, avant d’arriver à ce stade, il faut jouer à l’apprenti laborantin.  « Pour élaborer une cuvée, on va faire les assemblages dans des éprouvettes graduées. Elles représentent, à l’échelle, le volume final de la cuvée.  Par exemple, aujourd’hui, je dispose de 2 800 litres de chardonnay que je mets à l’échelle de l’éprouvette. Je l’assemble ensuite avec d’autres lots pour obtenir le schéma le plus proche possible de ce qui va se passer en cuve avant la mise en bouteille. On fait de nombreux essais. Après, on affine notre assemblage en fonction des avis de chacun des dégustateurs. On ajoute soit un peu plus de boisé, soit un peu plus de rondeur, soit un peu plus de fraîcheur. Assembler, c’est chaque fois trouver le meilleur équilibre. »

Liqueur de tirage

La liqueur de tirage est un mélange de vin tranquille, de levures et de sucre. Cette liqueur est ajoutée au vin de base pour une seconde fermentation en bouteille, s’il s’agit de la méthode traditionnelle. La quantité de liqueur de tirage est déterminée par la pression désirée en fin de processus. Théoriquement, il faut 24 g/l de liqueur pour obtenir 6 kg de pression par centimètre carré en fin d’élevage.

Pour la prise de mousse, on utilise en général la même levure que celle utilisée lors de la première fermentation alcoolique. Cette levure, qui est en général sèche, est réhydratée dans ce mélange de vin tranquille et de sucre. Le sucre est l’élément fermentescible qui permet aux levures de produire du gaz carbonique et ainsi donner son caractère mousseux ou effervescent au vin.

Les bons choix

Outre un assemblage classique, pour sa cuvée Brut de Brabant, avec les trois cépages champenois (chardonnay, pinot noir et meunier), le domaine W ajoutera, pour la première fois, un effervescent rosé sur la base d’un vin rosé de saignée, en très petite quantité (500 bouteilles). Il y aura aussi un blanc de blancs, 100 % chardonnay et 100 % barrique avec des vins de réserve de 2019.  Les trois cuvées ont été assemblées en cuve et mises en bouteille en juin. Elles vont rester pendant 18 mois en cave pour faire gentiment la prise de mousse avant d’être dégorgées fin 2022 et d’être disponibles à partir de 2023.  « Nous sommes déjà dans un horizon de deux ans avant la commercialisation de nos bouteilles. On doit patienter 18 mois avant de déguster les résultats de nos assemblages.   Il faudra donc encore un peu de patience pour savoir si nous avons fait les bons choix », conclut Dimitri Vander Heyden.