Si la crise sanitaire a renforcé la résilience d’une partie de la population et ramené une série de citoyens vers des centres d’intérêt plus sains et de proximité, dont les jardins maraîchers, certains projets sont parfois obligés d’être abandonnés.

« On entend chaque année des producteurs qui décident d’arrêter leur activité, confirme Claire Olivier, du CIM. Il faut savoir que le maraîchage est une activité pénible, qui n’est pas rémunérée à outrance. Elle nécessite plusieurs casquettes : tant pour la production que pour la commercialisation. »

Les difficultés sont en effet nombreuses. D’une part parce que le métier nécessite d’accepter les caprices de la nature et du changement climatique. D’autre part parce que planter un légume, le faire pousser et puis le vendre ne s’improvise pas.

« Je viens d’un milieu pas du tout agricole, témoigne Stéphanie. Tout est donc à apprendre, sachant qu’il n’y a donc pas eu de transmission. C’est donc énormément d’information à apprendre, d’essais-erreurs à expérimenter. Pour chaque espèce, c’est à chaque fois une toute nouvelle porte à ouvrir, il faut aller rechercher les savoirs, les connaissances, etc. Il faut donc jongler entre tout ça pour quand même devenir efficace dans les champs mais pouvoir aussi se ménager du temps pour apprendre de nouvelles techniques, de nouveaux savoir-faire. »

« C’est donc énormément d’information à apprendre, d’essais-erreurs à expérimenter. Pour chaque espèce, c’est à chaque fois une toute nouvelle porte à ouvrir. »

Stéphanie Charles

Mais la difficulté principale rencontrée par les maraîchers se situe au niveau économique. C’est la commercialisation, analyse Claire Olivier. Il est malheureusement régulier d’avoir des producteurs qui ont une production qualitative mais qu’ils n’arrivent pas à écouler. Un maraîcher doit être à la fois producteur et s’occuper aussi de la commercialisation de sa production, il a différentes casquettes. Donc, c’est un métier polyvalent qui demande une rigueur importante et une organisation. »

Sensibiliser les citoyens… et le politique

Les difficultés sont donc souvent de nature économique, mais aussi politiques.

Avec la Forêt de Luhan, Stéphanie se bat au quotidien pour faire reconnaître son exploitation.

« La conscience arrive, mais on ne soutient pas du tout les producteurs de petites surfaces, très locales et très diversifiées, juge-t-elle ainsi. Cela signifie que c’est un peu partir de rien, sans aide, dans des métiers que l’on connaît comme non rentables. L’agriculture conventionnelle, elle, est subsidiée. »

De façon plus large, sensibiliser la population locale n’est pas toujours simple.

« Il y a une conscience qui augmente sur le fait de consommer local, observe tout de même Stéphanie. Il y a aussi des croyances qui se déconstruisent un peu, sur le prix notamment. On n’est pas plus cher que du supermarché en bio. Mais on ressent cette pression des magasins low cost. Et puis on n’est pas l’équivalent d’un supermarché, on n’a pas tous les produits disponibles tout le temps et à tout horaire. »

« Il y a aussi des croyances qui se déconstruisent un peu, sur le prix notamment. On n’est pas plus cher que du supermarché en bio. »

Stéphanie Charles

L’échange pour créer des vocations

Malgré toutes ces difficultés, et même si cela se fait de façon très disparate selon les régions, le maraîchage continue de regagner du terrain, année après année, sur les autres canaux de production en Wallonie.

De quoi éveiller, parfois aussi, de nouvelles vocations.

« Je ne me sens pas pour l’instant dans un retour à la terre, en tous les cas pas dans ma vie principale, dans mon mode de vie général », explique Julien, professeur de mathématique dans des écoles à indice socio-économique faible de Bruxelles. Après avoir découvert le volontariat lors d’un voyage en Asie via la plateforme Workaway promouvant l’échange équitable, le jeune Brabançon vient régulièrement passer un peu de temps à la Forêt de Luhan. « Une semaine par-ci, une semaine par-là, pour moi, ce n’est pas un retour à la terre. Mais je m’intéresse, je m’informe et j’essaye d’en apprendre un peu plus sur les tenants et les aboutissants pour, un jour peut-être, moi aussi bouger à la campagne et créer un projet ou m’insérer dans un projet. »

« Je m’intéresse, je m’informe et j’essaye d’en apprendre un peu plus sur les tenants et les aboutissants pour, un jour peut-être, moi aussi bouger à la campagne et créer un projet ou m’insérer dans un projet. »

Julien Hendrix

« Je m’intéresse, je m’informe et j’essaye d’en apprendre un peu plus sur les tenants et les aboutissants pour, un jour peut-être, moi aussi bouger à la campagne et créer un projet ou m’insérer dans un projet. »

Julien Hendrix

Car au-delà de la simple volonté de replonger les mains dans la terre et ancrer leurs pieds dans le sol, Stéphanie et Fabien ont développé la dimension communautaire de leur projet.

« La Forêt de Luhan, c’est un projet collectif qui vise à réacquérir des savoirs, des savoir-faire. Entre les personnes qui composent notre communauté, mais aussi idéalement avec les voisins et la communauté locale. »

« L’aspect communautaire, ça permet aussi d’avoir un garde-fou collectif, pointe Fabien. Là où parfois, seul, on se heurte à des difficultés, le reste du groupe est là pour rappeler les valeurs essentielles qu’on a construites ensemble. On sort grandi d’une aventure dans un collectif, parce que les autres nous renvoient à nos faiblesses et à des choses qui n’ont pas toujours de sens mais qui sont là, par rapport à nos parcours de vie, et du coup ça permet vraiment de s’élever et de dépasser ces difficultés personnelles. »

« L’aspect communautaire permet aussi d’avoir un garde-fou collectif, le reste du groupe est là pour rappeler les valeurs essentielles qu’on a construites ensemble. »

Fabien Heuze

Bien qu’il ne fasse pas partie de la petite communauté de la Forêt de Luhan, Julien prend beaucoup de plaisir à partager certains moments avec ses membres : « L’aspect communautaire est essentiel. Je viens pour observer un peu le maraîchage et apprendre, mais aussi pour échanger avec des gens super-intéressants, des gens qui choisissent un mode de vie un peu différent et donc je suis super-intéressé par vivre cette vie avec eux au jour le jour. En tant que volontaire, je n’ai pas accès à tout le cœur de leur dynamique de groupe, mais je suis un peu à la périphérie, j’observe, je vois des choses, parfois des choses superbes, parfois des choses plus difficiles, je vois comment ils arrivent à gérer un peu les tensions et ça, c’est aussi très intéressant en tant qu’observateur extérieur. »

« On accueille aussi beaucoup de personnes de l’extérieur, admet Stéphanie. C’est de nouveau de l’échange. Je crois que c’est le mot qui caractérise peut-être le plus la Forêt de Luhan. On pourrait résumer ainsi : la Forêt de Luhan, c’est un projet d’échange qui vise l’autonomisation par la transmission de savoirs et de savoir-faire. Et quand je parle de transmission, nous ne sommes pas des experts qui donnent cours, l’idée, c’est vraiment que chacun ici autour du projet puisse amener des choses et les partager. »

La découverte de la terre

Comme Julien, plusieurs volontaires, jeunes et moins jeunes, ont ressenti comme une sorte de révélation le premier jour où ils ont mis les pieds à Luhan.

« Quand j’ai vu ça, au début je ne voulais pas trop venir, explique Adam, un jeune Bruxellois de 16 ans. Je suis habitué à l’électronique, l’électrique, je ne suis pas trop habitué au jardin et tout ça. Mais une fois que j’ai commencé, franchement, ça m’a étonné. Je me dis que j’ai raté quelque chose, parce qu’une vie comme ça, c’est beaucoup mieux qu’une vie sur un téléphone ou des trucs comme ça. »

Entouré d’une dizaine d’autres jeunes au milieu des champs, Adam fait partie d’un groupe d’adolescents conviés à partager les valeurs et les activités de la Forêt de Luhan une semaine durant l’été.

Membre de la petite communauté, c’est Nadia, laquelle travaille par ailleurs au sein de l’asbl C-paje, qui est à l’origine de l’initiative : « Quand on a proposé aux jeunes de réfléchir au futur, il est apparu assez clairement qu’ils se posaient beaucoup de questions à propos de leur avenir, de ce qui était possible pour eux. Et donc on s’est dit que ce serait intéressant de leur proposer cette année un projet ici autour des enjeux d’autonomie. L’idée c’est de leur permettre d’expérimenter des modes de vie qui retournent vers la terre, vers la réappropriation des savoirs, d’autres manières de consommer et de vivre. »

« L’idée c’est d’expérimenter des modes de vie qui retournent vers la terre, vers la réappropriation des savoirs, d’autres manières de consommer et de vivre. »

Nadia Bodart

Et le moins que l’on puisse écrire, c’est que l’expérience fonctionne plutôt bien.

« Comme au Moyen âge »

« Ça montre qu’il y a d’autres choses à faire pour des jeunes, observe pour sa part Théo, 16 ans lui aussi et originaire de la région liégeoise. Je trouve que c’est quelque chose de bien, parce qu’on retrouve les bases de la terre, on retrouve ce qu’on avait avant. Et c’est pour mieux manger, pour mieux vivre et tout. C’est mieux. »

Pour Flavie, elle aussi au cœur de l’adolescence, la révélation dépasse même son intérêt personnel pour le maraîchage : « C’est quelque chose que je découvre parce que je pensais que c’étaient les machines qui retournaient la terre, qui plantaient les choses. Ça m’étonne un peu, parce que je pense que dans 20 ans ou plus, il n’y aura que des machines qui vont commencer à travailler et tout. »

« Ça m’étonne un peu, parce que je pense que dans 20 ans ou plus, il n’y aura que des machines qui vont commencer à travailler et tout. »

Flavie, de Bressoux

« On fait tout comme à l’ancienne, s’amuse Adam, au moment de livrer sa vision du retour à la terre. Comme au Moyen âge, on va dire ! Quand on n’avait pas toutes ces machines… »

Si ni Adam, ni Théo, ni Flavie n’avoue – pour l’instant – une volonté de faire du maraîchage une réelle option pour leur avenir, les étoiles dans leurs yeux au moment où le soleil repasse derrière la colline à l’Ouest en disent long sur le bonheur et la dose d’oxygène emmagasinés durant toute la journée.

Comme Stéphanie et Fabien, comme Nadia, comme Julien, mais aussi comme Sarah quelques kilomètres plus loin, ces trois jeunes, avec des dizaines d’autres, ont ainsi pu, à leur façon, goûter leur propre retour à la terre, un retour qui, dans le chef de certains, s’apparente davantage à la simple découverte qu’à un véritable retour. Mais ça, c’est une autre histoire…