« Alors, avant tout, voici de quoi vous équiper comme nous : un masque pour le visage et du gel hydroalcoolique pour les mains. Aussi, avant de nous rejoindre à l’étage, on vous demandera de passer les semelles de vos chaussures dans notre bac de désinfectant. Ce n’est pas qu’on n’a pas confiance mais on préfère prendre toutes nos précautions. »

Dans le garage du poste Croix-Rouge de Saint-Servais, Sonia et Alexandra prennent soin de faire respecter toutes les mesures d’hygiène mises en place depuis le début du confinement. « C’est une routine un peu fastidieuse mais elle est nécessaire pour nous tous qui sommes régulièrement en contact avec des patients suspectés Covid-19 », assurent-elles en chœur pendant qu’elles retournent près de leurs collègues, en haut des marches.

Réunis au tour d’une grande table, les deux équipes de jour ainsi que quelques bénévoles supplémentaires discutent autour d’un bol de chips. L’ambiance est conviviale. Les visages sont sereins.

« Habituellement, chaque équipe travaille 8 heures avant d’être remplacée, explique Sonia, en charge des horaires. Mais depuis la mi-mars, on a fait le choix d’allonger les permanences à 12 heures. Ça limite notamment les déplacements inutiles. »

Ce samedi, la journée a été plutôt calme. « Depuis ce matin, une seule course », résume Marc, un ambulancier de nuit arrivé à l’avance. « Les gens ont peur. Avant, ils nous appelaient pour un oui ou pour un non, et maintenant, ils n’osent plus nous téléphoner du tout. Ils ont peur d’attraper le virus en se rendant à l’hôpital. » Quitte à mettre leur vie en danger…

« Il y a peu, on s’est rendu chez un patient qui a tardé à nous appeler et qui présentait pourtant tous les symptômes d’un AVC, se souvient Jean-Sébastien, un jeune étudiant en médecine qui termine sa dernière permanence avant un break de plusieurs semaines consacrés à ses examens. Avant, il aurait sans doute fait appel à nous plus rapidement. Mais voilà, les malades se disent peut-être que nos ambulances sont contaminées. C’est dommage, surtout que ce n’est pas du tout le cas. »

À l’instar des mesures qu’ils prennent dans leur poste de garde, les ambulanciers de Saint-Servais prennent également toutes leurs précautions sur le terrain. « Tout est fait pour éviter une potentielle propagation du virus, assure Jean-Sébastien. Nous portons constamment un masque, des gants et une salopette. On impose également le masque et les gants à nos patients dès que c’est possible. Entre membres de la Croix-Rouge, on garde un maximum de distance quand c’est possible. Et dès que l’intervention est terminée, on désinfecte entièrement l’ambulance. » Ce qui rallonge chaque course « Covid » d’une heure, plus ou moins.

« Je peux comprendre les craintes des gens, poursuit Jean-Sébastien. Mes parents aussi ont longtemps eu peur que je ne sois contaminé et que je n’infecte mes proches, mais en étant sur place, je sais tous les efforts que la Croix-Rouge fait pour diminuer au maximum les risques de contagion. »

20h00. L’heure de la relève. L’heure aussi pour Fabian, Jérôme, Steve et Marc de vérifier le matériel et de s’assurer que rien ne manque. Charge à Maxime et Renaud, de la logistique, de tout prévoir en suffisance.

« Pourquoi l’État demande aux militaires de se rendre dans les maisons de repos alors que leur tâche principale est de défendre le pays. Ceux qui devraient apporter leur aide dans les homes, ce sont plutôt les gars de la Croix-Rouge, non ? »

« Depuis quelques semaines, on a aménagé un espace dans notre armoire principal pour du matériel plus spécifique comme les masques FFP2, explique Maxime. En cas de besoin, les ambulanciers savent où trouver ce dont ils ont besoin lorsqu’ils partent sur des missions spécifiques « Covid-19 ». Du côté de la logistique, on s’assure qu’il y a assez de stock pour tenir plusieurs jours. »

Les derniers instruments médicaux emballés « pour éviter qu’ils ne soient contaminés », l’équipe du 105 (pour le transport médical non urgent) est appelée pour un porter secours à un homme ivre. Un rapide débrief, et Marc et Steve se mettent en route pour leur première course de la nuit.

Restés au poste, Alexandra, Fabian, Jérôme, Maxime et Renaud profitent du début de soirée pour manger un morceau. Et blaguer un peu. Histoire de décompresser. C’est que la situation des permanents et bénévoles namurois de la Croix-Rouge, entre attentes et frustrations, n’est pas toujours évidente.

« On ressent une certaine incompréhension générale au sein de notre poste, reconnaît Alexandra. Une grande majorité a l’impression d’être mis de côté. Comme sous-exploité, en fait. On a de très bonnes connaissances médicales, mais les autorités ne font pas appel à nous pour alléger le travail des hôpitaux, par exemple. Et ça, les bénévoles qui doivent ronger leur frein chez eux ont parfois du mal à l’accepter. »

Téléphone en main après s’être assuré que tout fonctionne normalement à la centrale d’appels – « N’hésitez pas à venir vers nous en cas de besoin, hein ! » – Jérôme, le boute-en-train de service, tombe le masque quelques secondes en début de nuit.

« Pour ma part, je ne comprends toujours pas pourquoi l’État demande aux militaires de se rendre dans les maisons de repos alors que leur tâche principale est de défendre le pays. Ceux qui devraient apporter leur aide dans les homes, ce sont plutôt les gars de la Croix-Rouge, non ? »

Des rires, beaucoup. De la colère, un peu. De l’amertume, parfois. La Croix-Rouge de Saint-Servais passe par tous les sentiments depuis le début de la crise sanitaire. Avec, de temps en temps, quelques larmes discrètes. Celles d’un père qui, « par choix », se prive de son fils depuis le début du confinement « afin de ne pas le contaminer ». Ou celles d’un petit-fils qui n’a pas eu l’occasion de dire au revoir à sa grand-mère emportée par le Covid-19.

Sans doute « un peu oubliés » par les autorités malgré « des marques de reconnaissance plus nombreuses de la part du grand public », permanents et bénévoles de la Croix-Rouge souhaiteraient juste « qu’on n’oublie pas non plus tous ceux qui travaillent dans l’ombre », « ceux qui ne sont pas forcément en première ligne, comme le personnel soignant, mais qui, comme nous, bossent en amont, dans la ligne 0 ». « Peut-être que, de cette façon, chacun se rendra compte qu’il ne suffit pas d’applaudir à sa fenêtre pour s’autoriser une sortie inutile et dangereuse au McDonald’s. » Histoire aussi que chacun puisse souffler un peu… et retrouver ses proches.