Vendredi 24 avril, jour de Conseil national de sécurité. Dans le commissariat de la police locale d’Arlon, le calme règne en ce début de soirée. Alors que les Belges attendent avec impatience d’en savoir plus sur les nouvelles mesures gouvernementales qui leur seront imposées, Madison et Thibaut (*) s’apprêtent à entamer les deux dernières heures de leur ronde.

« On n’a pas beaucoup d’interventions à réaliser pour le moment. Dans l’ensemble, les gens respectent assez bien les mesures de confinement. Il y a toujours bien quelques exceptions, mais ça n’a rien à voir avec notre quotidien habituel », résume Thibaut, tout jeune inspecteur de 22 ans.

Chargé de coordonner le travail des deux patrouilles mobiles de ce début de soirée, l’inspecteur principal Christophe Cherain envisage lui aussi sereinement la nuit qui se profile. « À part une tentative de vol de métaux à Marbehan et un coiffeur qui a rouvert illégalement ses portes, il n’y a pas grand-chose à signaler durant les dernières heures. »

Sur les écrans principaux de l’accueil, les caméras scrutent notamment les rues du centre de la ville. Dans leur viseur, une dizaine de passants et quelques voitures à peine. Rare pour un vendredi soir.

« En temps normal, les étudiants du coin et les clients des bars se mélangent, assure Thibaut au volant de la Skoda floquée aux couleurs de la zone locale. Mais depuis le confinement et la fermeture des établissements Horeca, tout est beaucoup plus tranquille. On constate moins d’altercations et de bagarres. » À la différence des appels…

« Le téléphone de l’accueil sonne un peu plus souvent qu’avant, sourit l’inspecteur principal Cherain. Très souvent, les habitants de la zone nous téléphonent pour obtenir des renseignements sur les mesures gouvernementales, sur ce qui est permis et ce qui ne l’est pas. » Histoire de savoir, par exemple, s’il est désormais possible de trinquer avec ses voisins sans être sanctionnés d’un procès-verbal.

« On reçoit pas mal d’appels de délation aussi, reconnaît Madison juste après qu’un habitant ait signalé un regroupement massif à proximité de Sterpenich. Je ne pense pas que les gens le font par plaisir. S’ils dénoncent leurs voisins ou des passants, c’est souvent parce qu’ils veulent que tout le monde respecte les règles afin que le confinement ne s’éternise pas. »

Parfois compliqué pour les citoyens, le respect des gestes barrières l’est également pour les policiers, obligés d’aller au contact de tous. Comme ce soir, lorsque Madison, elle-même infectée par le nouveau coronavirus avant même l’annonce des mesures de confinement, et Thibaut découvrent par deux fois un ex-détenu, ivre, étendu à même le sol.

« Dans ce genre de cas, il est difficile de conserver les mesures de distanciation sociale, explique Thibaut. On a beau avoir des masques, des gants et même des visières à disposition, il faut pouvoir s’adapter aux situations que l’on rencontre. » Entre la santé des uns et la sécurité de tous, l’équilibre est fragile.

22h00. La nuit est tombée. Les derniers magasins d’alimentation sont fermés. De retour au poste pour la dernière fois de la journée, les deux inspecteurs débriefent leur soirée. Et décontaminent leur voiture. « Une nouvelle routine » en fin de compte.

Les bottes passées une dernière fois dans un pédiluve avant de rentrer dans le commissariat, les inspecteurs laissent la main à deux nouvelles patrouilles. Parmi elles, Yves et Maxime, les yeux rivés sur la conférence de presse tardive (et interminable) de la Première ministre.

« Bon, on ne va pas attendre qu’elle énumère tout ce qui va changer, on va se mettre en route. » Direction l’Hydrion et ensuite le centre d’information et de communication (CIC) de la province où l’on réceptionne tous les appels d’urgence. Et où, visiblement, « ça s’est calmé depuis que Sophie Wilmès a commencé sa conférence de presse ».

« On attend d’en connaître plus sur les mesures qui seront prises mais, de façon générale, ça reste un peu trop flou, estiment les différents agents de terrain. Dans notre cas, par exemple, comment on fait pour savoir si une personne se déplace par nécessité ou non ? Entre ceux qui nous assurent qu’ils se rendent chez Brico et ceux qui vont chez le pépiniériste du coin, il y a tellement d’exceptions désormais que c’est de plus en plus difficile de savoir qui nous ment ou pas. Et ça le sera encore plus dans les prochaines semaines, puisque les règles changent constamment. »

Reste qu’au total, près de 300 procès-verbaux (81 SAC et plus de 200 PV judiciaires) ont été délivrés depuis le début du déconfinement.

23h10. Un appel annonce deux coups de feu dans la forêt d’Anlier. Les 25 kilomètres sont avalés à toute vitesse par Yves, au volant du fourgon. Sur place, aucun mouvement suspect… avant qu’une voiture ne déboule et qu’un voisin explique avoir entendu les déflagrations. Marche arrière. Retour dans les chemins de terre. Et, au fond, deux appels de phares.

La petite lampe de son smartphone en main, un agent du Département de la Nature et des Forêts (DNF) s’approche des deux inspecteurs. Et s’explique : « Je travaille avec mon véhicule personnel. J’ai abattu un sanglier. C’est pour lutter contre la propagation de la peste porcine. »

De nouveau sur Arlon, Yves et Maxime se rendent directement au poste. Pendant tout le chemin du retour, les deux hommes n’ont cessé d’entendre crier dans leurs oreilles. Une femme « semble être devenue hystérique » au cours d’une autre intervention.

« Ce n’est pas moi que vous auriez dû arrêter mais l’homme avec qui j’étais… » Entre les pleurs, les menaces et les tentatives de corruption, l’intéressée s’égosille devant les différents policiers présents, masqués et gantés. Sans succès.

Le temps que deux collègues féminines arrivent, s’occupent de la fouille et l’emmènent jusqu’en cellule, la soirée se poursuit « normalement » pour l’ensemble des policiers arlonais sur le pont ce vendredi soir.

En attendant la prochaine intervention. « Et les prochaines mesures prises par le gouvernement. »

(*) Prénom d’emprunt