Son café encore bouillant, Simon quitte le siège social de son entreprise à bord de son SUV. Depuis les hauteurs d’Angleur, il se dirige vers la nouvelle aile en construction du CHU de Liège, sa ville. Un petit détour « pour voir si tout roule » avant de rejoindre le centre, son terrain de jeu depuis trois ans.

Un coup d’oeil à droite, un coup d’oeil à gauche. L’agent scrute les moindres recoins du chantier. « Même s’il y a encore des gens qui bossent sur place, mon rôle est de m’assurer que tout le site est entièrement sécurisé. Le client ne doit rien pouvoir nous reprocher », résume-t-il en tentant d’ouvrir une porte.

Le temps de vérifier qu’aucun dégât n’a été commis aux étages supérieurs, Simon, la petite trentaine, quitte les lieux. « C’est bon pour moi. Un autre gars passera plus tard dans la nuit pour vérifier que rien n’a bougé », note-t-il à son collègue de faction jusqu’à 1h00.

« Maintenant, on va dans le centre-ville où nous serons quatre à tourner en permanence jusque 6h30-7h00. À cette heure-ci, il ne devrait plus y avoir grand-monde… Depuis le confinement, Liège n’est plus aussi animée qu’avant. » Quelques passants aux abords de l’Opéra, deux bus qui tournent vers la place Saint-Lambert. La Cité ardente a rarement été aussi tranquille. « Pour moi qui ai choisi de travailler la nuit pour son atmosphère particulière, je n’ai jamais connu ça. Habituellement, même quand il n’y a pas de grosses soirées organisées, ça bouge beaucoup plus, on rencontre bien plus de monde qui se balade. Évidemment, il y a peut-être bien eu l’une ou l’autre nuit plus agitée mais là, depuis quelques semaines, on a l’impression que c’est mort. »

Les bureaux vidés et les parkings souterrains fermés plus tôt que d’habitude, le travail de Simon et ses comparses a été « un peu impacté » depuis la mi-mars. En termes de ronde – « On a signé quelques contrats supplémentaires depuis le début de la crise car certaines entreprises qui sont en stand-by veulent désormais qu’on surveille leur établissement » – mais aussi en termes de logistique.

« On a toujours des gants et un masque sur nous afin de nous protéger de toute contamination potentielle. C’est nécessaire, surtout en cette période avec les personnes toxicomanes. » Le regard attiré par deux hommes qui viennent de s’installer à l’entrée d’un parking souterrain, le Liégeois s’interrompt. Son collègue Vincent, en poste à proximité, le rejoint aussi vite. « Bon, on va aller les déloger. Un conseil : gardez votre masque. Un crachat, ça part vite. Et avec les temps qui courent… »

Cette nuit, quelques mots suffisent aux deux gardiens pour faire entendre raison aux sans-abri. « À force de les croiser, on les connaît bien, sourient-ils. Parfois, on s’appelle directement par nos prénoms, même. Dans notre métier, l’aspect psychologique est très important. Il faut pouvoir s’imposer sans en venir aux mains. » Et ce, car les pouvoirs des agents de sécurité sont très limités.

« Contrairement aux policiers ou même les agents de sécurité, nous ne sommes pas assermentés et nous n’avons pas le droit de posséder d’armes, souligne Simon. Même un spray d’auto-défense, ça nous est interdit. Et pourtant, les risques existent aussi dans notre profession. » Agressions, cambriolages ou même prise d’otages, ce ne sont pas les exemples qui manquent au sein de l’unité liégeoise. « Mais même maintenant, pendant le confinement, on ressent plus d’agressivité chez certains squatteurs. Comme il y a moins de monde dans les rues, ils ne gagnent quasiment plus rien en faisant la manche et n’ont plus assez pour se payer leurs shoots. C’est ça aussi la misère. »

« À Liège, Protection Unit, la société qui m’emploie, possède 80% du marché du gardiennage. Ça fait pas mal de boulot, mais c’est très motivant. On ne s’ennuie jamais. »

Un peu solitaire dans l’âme comme une bonne partie de ses collègues – « Par définition, les horaires de nuit ne sont pas forcément les plus propices aux rencontres. C’est sans doute pour ça que notre métier convient souvent à des jeunes qui n’ont pas encore de famille… ou qui peuvent compter sur une Madame très compréhensive » – Simon reprend la route. Direction un immeuble tout proche appartenant à la province de Liège, un des gros clients de la société qui l’emploie.

Désactiver l’alarme centrale. Allumer la lampe de poche. Ouvrir les portes. Fermer les portes. Jeter un oeil à droite. Jeter un oeil à gauche. Revenir sur ses pas. S’arrêter. Écouter aux fenêtres. Repartir vers l’ascenseur. Fermer la lampe de poche. Réactiver l’alarme.

Faite de « petits » gestes, la routine des veilleurs de nuit est méthodique. « Depuis le confinement, j’ai même l’impression qu’il faut parfois être un peu plus vigilant encore, explique Simon alors qu’il en termine avec le dernier des 7 étages du bâtiment. Dans le centre-ville, étant donné qu’il y a moins de circulation, on repère plus difficilement les fenêtres entrouvertes, par exemple. Mais bon, le calme actuel a du bon aussi… » Entre deux missions, il permet ainsi aux collègues de se retrouver quelques minutes aux alentours de la place de la Cathédrale.

« Parfois, on boit un café entre nous et on discute du boulot ou même d’autres choses, lâche Jonathan, l’agent le plus expérimenté de la soirée sur Liège. Là, par exemple, on vient juste d’évoquer cette voiture qui a brûlé à proximité de la façade d’un de nos clients. D’autres nuits, on parle un peu plus de la situation qu’on traverse, des festivals et des événements qui sont annulés et pour lesquels nos collègues étaient réquisitionnés. Bref, on discute. Histoire de garder un vrai contact, autrement que par la radio. »

Originaires de tous horizons, Simon, Jonathan, Vincent et Joachim apprécient le moment présent « et la chance de faire un métier qui nous convient ». « Il y aura sans doute bien un moment où on voudra réorienter un peu notre carrière, mais ce n’est pas encore pour tout de suite. » Pour l’instant, la priorité, c’est de poursuivre leur ronde.

« On s’arrête rarement car on doit réagir rapidement en cas de problème. Clairement, on n’a pas le droit de traîner car on doit pouvoir se rendre sur le lieu d’une intrusion en quelques minutes seulement. »

À l’image du Palais du Gouverneur qu’il a entièrement sécurisé en quelques minutes – « Il ne faut pas parler trop fort dans certaines pièces car il dort à l’étage » – Simon voyage discrètement de site en site sous les yeux des derniers sans-abri encore dehors cette nuit. Avec toujours ce plaisir non feint de voir et de profiter autrement de Liège, sa ville.