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En Brabant wallon, le dossier des Tueurs du Brabant s’ouvre officiellement le 17 septembre 1983 au Colruyt de Nivelles où Marcel Morue est abattu au pied du combi de gendarmerie alors que son collègue Jean-Marie Lacroix échappe par miracle à la mort. C’est le début d’une longue série sanglante, impliquant plusieurs suspects, dont le prélude avait été le braquage d’une armurerie à Wavre qui avait aussi laissé un policier sur le carreau.

Une semaine après le braquage au Colruyt de Nivelles, on apprendra qu’au moins une arme utilisée à cette occasion l’aurait été le 9 septembre pour le vol de gilets pare-balles dans une usine de Tamise. Fin 1983, c’est l’arrestation de six habitants du Borinage.

Le 17 novembre 1986 est une date clef, car c’est ce jour-là que sera révélée l’existence d’une expertise balistique réalisée en Allemagne. L’analyse de plusieurs armes a été demandée le 28 janvier 1986 par le juge d’instruction Schlicker qui recevra le rapport et sa traduction le 15 mars.

Il faudra attendre neuf mois pour que la Chambre du conseil ait connaissance de ce rapport qui, en quelque sorte, innocente la « bande des Borains».

Le procureur du roi Deprêtre, omniprésent dans l’enquête, sera la cible des avocats des tueurs présumés et de certains magistrats qui le rendent responsable de cette «mise au frigo».

À Nivelles, l’atmosphère se fait lourde. La hiérarchie en est consciente et, le 21 janvier 1987, c’est le coup de tonnerre. La cour de cassation dessaisit l’arrondissement de Nivelles du dossier « Brabant wallon ». Celui-ci est transmis à l’arrondissement de Charleroi.

Les personnages clés

Le géant

Chris B. est un ancien gendarme à la brigade d’Alost qui fut membre du groupe spécial d’intervention de la gendarmerie Diane. Décédé en 2015, il aurait fait comprendre à son frère, sur son lit de mort, qu’il aurait participé aux faits commis dans le Brabant wallon et que le groupe Diane – groupe spécial d’intervention de la gendarmerie créé dans les années 1970 – serait impliqué dans les faits.

«Il ne m’a pas dit qu’il était le Géant.» Mais l’homme en est convaincu: «je reconnais d’abord ces lunettes. Cette physionomie. Je connais mon frère depuis des années bien entendu». Il a fallu longtemps à cet homme pour croire ce que son frère lui a dit sur son lit de mort. «Je pouvais difficilement le concevoir. Au début, je l’ai ignoré, ça ne pouvait pas être mon frère. Mais aujourd’hui, je suis formel: c’est mon frère», a-t-il relaté à VTM.

Jean Deprêtre

Jean Deprêtre a indiscutablement été le personnage central de ce dossier. Procureur du Roi de Nivelles, il a supervisé l’enquête de de 1983 à 1987. Jean Deprêtre faisait surtout confiance à « son » parquet, à « ses » limiers de la police judiciaire qui devaient prendre mille et une précautions pour éviter d’être soupçonnés ou pris en flagrant délit de divulguer l’une ou l’autre information.

Jean Deprêtre avait aussi dans son collimateur des magistrats qui ne partageaient pas sa conviction, des membres de la BSR de Wavre qui ciblaient surtout l’extrême-droite, et certains journalistes qu’il jugeait trop proches de l’enquête.
Le 21 janvier 1987, Nivelles est finalement dessaisi du dossier “Tueurs du Brabant” qui est transmis à l’arrondissement judiciaire de Charleroi.

Christian De Valkeneer

Pourquoi l’ancien procureur général de Liège, Christian De Valkeneer était-il en charge du dossier “Tueurs du Brabant” ? Le procureur a hérité du dossier lorsqu’il a été Procureur du Roi (2005-2012) à Charleroi. “Je suis le dossier depuis 2010 et j’ai une connaissance du dossier. Cela permet de gagner du temps. Depuis presque 8 ans, on se réunit en moyenne une fois par mois avec la juge et les enquêteurs.” En plus du procureur général de Liège, le groupe est composé d’enquêteurs, de la juge d’instruction, le procureur du roi de Charleroi, d’un substitut et du procureur général de Mons.

Le groupe Diane

« Ce ne sont quand même pas les nôtres! » Face aux similitudes dans les façons de procéder et aux tactiques, le colonel de gendarmerie Arsène Pint, l’un des fondateurs de la brigade Diane, s’était inquiété que les tueurs du Brabant ne soient issus des rangs de son groupe d’intervention spécial. Il en avait fait part au boss de la gendarmerie et une enquête avait été diligentée en interne. Une enquête rapidement menée : en 48 heures, elle avait évacué la question, “Personne du groupe Diane n’était impliqué”. Depuis le rebondissement avec le géant, l’ancien colonel de gendarmerie confiait à Het Laatste Nieuws: « A présent, il semble que j’aie créé un gang de tueurs »

Cellule de Jumet et commission d’enquête

La cellule de Jumet, aujourd’hui dissoute, est installée le 2 février. Une cellule mixte qui compte une trentaine d’hommes, pour moitié gendarmes et pour moitié agents de la police judiciaire, avec des enquêteurs venus de Bruxelles, Charleroi, Mons et Nivelles.
Parallèlement, voit le jour une commission d’enquête parlementaire sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme a été organisée.
Elle déposera son rapport le 30 avril 1990. Le président de la commission Justice de la Chambre fera une déclaration exemple d’ambiguïté : «Il faut admettre que la situation au parquet de Nivelles est devenue intenable. Il y a des responsabilités immédiates à prendre.»

La piste de l’extrême droite

Quant à Claude Eerdekens, chef du groupe socialiste à la Chambre, il s’exprima ainsi dans nos colonnes, le 25 mai 1990 : « J’ai le sentiment que le procureur du Roi de Nivelles, involontairement ou non, est l’un des principaux responsables de la déroute des enquêtes sur les tueries du Brabant.»
Le même jour, le ministre Wathelet demande au procureur général près la cour de cassation d’ouvrir un dossier disciplinaire à charge de l’intéressé.
Ce sera fait, mais le ministre ne prendra aucune disposition envers le procureur qui, notamment selon les enquêteurs de la BSR (Brigade spéciale de recherche) de Wavre, a toujours fait preuve de grande réticence à prendre en compte l’implication de l’extrême droite dans ces tueries.

«On découvrait des carnages »

Retraité, ce policier fit partie des premiers enquêteurs. Il se souvient du « carnage » de ces tueries et se rappelle que les auteurs faillirent plusieurs fois se faire pincer.

Jacques (prénom d’emprunt) a travaillé plusieurs années sur cet épouvantable dossier. Des jours et des
nuits.Avec des descentes où, comme il le dit, ce sont de « véritables carnages » qui venaient de se produire. Il en parle sans émotion apparente.
«Ce qui nous protège de ce genre d’émotion, c’est qu’on doit travailler le plus vite possible. On n’a qu’une chose en tête : trouver. Il n’y a pas la place pour penser à autre chose. »

« Souvent, on a manqué de chance. On les a vraiment loupés de peu à plusieurs reprises. »
Ce policier retraité, comme ses collègues de l’époque, fut frappé par le « professionnalisme » des agresseurs. «On ne disait pas qu’il s’agissait avec certitude de policiers ou de militaires.
Mais nous étions certains que ces gens avaient un entraînement très important. »
Jacques se souvient ainsi du double meurtre du Colruyt de Nivelles avec des fuyards qui, par le haillon ouvert de leur Golf, arrosaient méthodiquement à la mitraillette les policiers qui les pourchassaient.
« Ces techniques prouvaient immédiatement que ces gens n’improvisaient rien.Qu’ils étaient préparés.»

Jacques se souvient aussi des tensions de l’époque. Entre son ancien chef de corps et le juge d’instruction. Il se souvient aussi des différentes pistes. De son malaise quand des briefings se faisaient au milieu de 150 enquêteurs. «C’était beaucoup trop. J’étais certain qu’il y avait des fuites. Les gendarmes qui ont été inquiétés plus tard faisaient partie de ces réunions.»
Il se remémore aussi ce fameux clash de la filière boraine. Un échec terrible devant la cour d’assises. « L’un d’eux avait pourtant avoué à 19 reprises », se souvient-il.