Alors que commerces et entreprises ont en grande partie repris leurs activités, le monde de la culture est toujours en souffrance. De nombreux musées vont pouvoir ouvrir leurs portes dès cette semaine. Petit tour d‘horizon de ces lieux de connaissances et d’histoire.
Le premier musée que nous visitons est le seul de cette série qui soit privé. Tous les autres sont des institutions publiques, probablement impactées différemment par cette fermeture forcée.
Cure de jouvence à Autoworld
Autoworld est un musée populaire, visant un public différent de ceux des grands musées d’art. Mais qui a aussi de nombreux points communs avec eux : ici, 60% du public est étranger. Les touristes sont nombreux à venir admirer les belles carrosseries qui ont fait l’Histoire de l’automobile. Cet été, il n’y aura pas de touristes. Il faudra donc se réinventer.
Sébastien de Baere, directeur du musée : « Nous avons profité de cette fermeture forcée pour faire une cure de jouvence. On a pu rafraîchir tout le premier étage du musée. Il faut savoir que Autoworld est ouvert 7 jours sur 7 et 365 jours par an. Donc, lorsque l’on doit faire des aménagements, des travaux d’entretien, de peinture, c’est toujours compliqué. Ici, on a pu travailler à l’aise. On a eu le temps de réfléchir, on a pu vider complètement l’étage. Nos pièces d’art sont des voitures, donc les déplacer c’est assez compliqué. Dès lors, on a pu faire les choses comme il faut. »
Une cure de jouvence bienvenue donc, un temps mis à profit pour faire ces travaux si souvent reportés. Mais deux mois de fermeture, c’est aussi deux mois sans rentrées financières. Hormis l’absence des visiteurs habituels, ce sont également de nombreux événements festifs qui ont dû être annulés. « Heureusement, on a très bien travaillé ces 10 dernières années, on a pu constituer une réserve et pendant ces deux mois, on a continué à survivre grâce à cette réserve. »
À l’instar de ses confrères, Sébastien de Baere et son équipe, dont une grande partie a dû être mise en chômage économique, ont été forcés de repenser la visite du musée. Plus question de flâner à sa guise au milieu des voitures, il faudra désormais suivre un itinéraire précis, balisé, étudié de façon à respecter la distanciation sociale et éviter que les personnes se croisent. Il faudra aussi se désinfecter les mains à l’entrée et sans doute porter le masque. Les places seront à réserver sur internet.
Gentlemen, start your engine
Il va falloir aussi repenser la communication, plus tournée vers un public belge. « Pendant le confinement, on a réalisé des vidéos facebook live. Pour montrer le musée fermé et aussi demander aux gens de voter pour ce qu’ils voulaient voir. Pendant 20 minutes, on filmait et parlait avec les gens autour d’une voiture. La Ferrari Testarossa a eu un beau succès. On a fait tourner le moteur et répondu aux questions des internautes. » Ce qui a permis de garder le lien avec le public. Et de lancer de nouvelles idées à mettre maintenant en œuvre : « On va créer une animation Lego® pour les enfants, on va faire rouler les voitures sur l’esplanade, faire tourner les moteurs et aussi monter une exposition consacrée à la Porsche 356, qui remplacera l’expo prévue pour les 75 ans de Škoda, qui, elle, ne pourra avoir lieu cette année. »
L’équipe de Sébastien de Baere ne manque ni d’idées, ni d’enthousiasme pour faire revivre Autoworld dès ce lundi. Avec, en particulier, une exposition d’une vingtaine de supercars : Bugatti Chiron, Mc Laren GTR, Porsche 918, Lamborghini Aventador, Mercedes AMG GT, Audi R8… (jusqu’au 30 juin).
Si la boutique rouvrira bien en même temps que le musée, l’horeca ne pourra pas encore recevoir de clients. Les pertes seront encore conséquentes.
Visiter autrement les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique
Les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique rayonnent à l’international. Arts anciens, Musée Fin de Siècle et surtout le Magritte, ont une réputation qui dépasse de loin nos frontières. Mais c’est pourtant à l’intérieur de celles-ci qu’il faudra, pendant de longs mois, séduire le public.
Déambuler seul dans ces grandes salles est plutôt impressionnant. Mais si l’exercice est grisant, il est aussi un peu effrayant.
Michel Draguet, directeur des musées : « La réouverture se présente avec beaucoup d’enthousiasme mais aussi de hantise parce que c’est un changement important : la manière de visiter les musées va être différente ». Là aussi, le visiteur ne pourra plus errer à son gré. Il devra suivre un itinéraire précis et profiter différemment d’une promenade guidée.
On sent le directeur des lieux impatient de rendre ses collections au public, même s’il regrette une certaine perte de liberté et un rapport aux autres bien différent.
Si c’est un moment inédit pour beaucoup, le déconfinement n’a pas été improvisé. Que du contraire : « On l’a préparé avec des collègues étrangers, entre autres asiatiques, pour voir comment eux, ils ont fait, puisqu’ils ont un peu d’avance sur nous. On attend de voir comment la société va évoluer pour que le musée soit aussi un laboratoire de cette évolution. »
Ouverture dès ce lundi, donc, pour les Arts Anciens. Uniquement. « Le Magritte et le Fin de Siècle n’ouvriront pas de suite. C’est d’abord la peinture ancienne qui va rouvrir en premier. C’est un circuit qui est aisé à mettre en place, les salles sont plus grandes. Ensuite, on ouvrira le Musée Fin de Siècle. Puis on fera le point pour voir si on peut rouvrir le musée Magritte. Il a la particularité d’être composé de pièces plus petites, avec un escalier relativement étroit. C’est plus compliqué, donc on verra ce que l’on peut envisager. »
Cette ouverture sans le public étranger, Michel Draguet la voit aussi comme une opportunité de se centrer sur le public belge. Un public qui ne connaît pas nécessairement ces musées riches de collections qui, d’une certaine manière, lui appartiennent. « Il y a un travail d’appropriation de ces œuvres par le public belge, parce que ce sont des œuvres emblématiques de notre société. Il faut toujours transformer les crises en opportunités. Avoir une plus grande proximité avec nos concitoyens pour que ce musée soit leur musée. »
50 personnes, pas plus
Circuit, marquage au sol, limitation de s’asseoir sur les bancs, pas de croisements, billets réservés avec tranches horaires précises. Et avec un plafond de fréquentation placé à 50 personnes par heure. Il faut que le système élaboré par les équipes se mette en place, que le public retrouve la confiance. Le port du masque, obligatoire pour le personnel, sera fortement conseillé pour le public.
« Il faudra que les visiteurs fassent preuve de discipline. S’il y a trop de monde dans une salle, ils devront attendre que quelqu’un sorte avant d’entrer. Le personnel sera là pour veiller à ce que ces normes soient respectées. Nous sommes un service public. Il y a un autre service public, les soins de santé, qui a beaucoup donné. Ceci est notre contribution pour qu’il n’y ait pas de 2e ou 3e crise. Le plaisir de la visite sera même renforcé puisqu’il y aura moins de monde dans les salles. Mais cela impose certaines contraintes. Ce sont des règles assez simples, finalement. »
Gageons que le public fasse preuve de la même sagesse.
Rassurer le public au BAM
Les Beaux-Arts de Mons, le BAM, a longuement travaillé à sa réouverture. Parce que si fermer une telle institution est déjà une fameuse expérience, la rouvrir est bien plus complexe. Il faudra rassurer non seulement les travailleurs mais aussi, et surtout, le public.
Xavier Roland, directeur du BAM : « C’est essentiel que le public se sente bien pris en charge, avec professionnalisme. Gérer les publics, c’est notre métier. Nos équipes y sont habituées mais ici, la situation est exceptionnelle. »
Tout est donc mis en œuvre, comme ailleurs, pour éviter les croisements. Le port du masque sera obligatoire pour le public. Il faudra aussi acheter son ticket en ligne, pour éviter au maximum les contacts physiques dans la zone d’accueil. Le nombre de visiteurs sera limité à 100, en même temps. Les horaires sont également adaptés : le musée sera ouvert de midi à 18 h.
Cette période de fermeture a été mise à profit pour maintenir le contact avec le public, via les réseaux sociaux. Un public qu’il va falloir reconquérir, malgré tout. Cela passera par une exposition qui met en exergue L’École de Mons (1820-2020). Une expo qui avait été inaugurée juste avant le confinement.
« On a travaillé 3 ans à cette exposition. La ville de Mons a pris le temps et a mis les moyens pour retracer sa culture locale. C’est sans douter ça la culture de demain, une culture en circuit court, cette réappropriation de notre histoire. C’est la manière dont on va devoir travailler dans les mois et les années à venir. »
Philosophe, Xavier Roland ponctue : « On a un rôle sociétal important. Les villes sont vides, il y a une rupture sociale profonde qui s’est produite lors de ces deux derniers mois. La culture peut maintenir une cohésion sociale, entamée sur les réseaux sociaux et qui doit perdurer sur le terrain. »
Les artistes Belges au Delta
Posé au confluent de la Meuse et de la Sambre, le Delta, institution provinciale namuroise dédiée à la culture sous toutes ses formes, est riche et divers : 3 salles pour les expos, 3 pour les arts de la scène, mais aussi un Point culture, un studio d’enregistrement, des ateliers et résidences d’artistes et les locaux des Jeunesses musicales.
Bernadette Bonnier, directrice du Delta : « Le déconfinement commence, on est dans les grands préparatifs pour pouvoir rouvrir une petite partie du Delta, celle qui est autorisée par le CNS, c’est-à-dire les expositions. Malheureusement, les spectacles ne pourront sans doute pas reprendre avant le mois de septembre. »
C’est la triste réalité pour les artistes, en particulier pour ceux des arts de la scène, ils sont oubliés (méprisés ?). Le secteur représente pourtant 250 000 emplois, artistes, techniciens, opérateurs, hommes et femmes de l’ombre. Alors qu’elle représente 5% du PIB, la culture sera l’une des dernières, voire la dernière, à déconfiner.
Une porte est toutefois entrouverte puisque le CNS a prévu que des événements en plein air, pour un public réduit, pourraient avoir lieu dès la 3e phase du déconfinement, pour l’été donc. Une opportunité que Bernadette Bonnier compte bien saisir : « On regarde à valoriser les artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB), avec des activités qui se feraient en extérieur, sur nos terrasses. On pourrait aussi sillonner la province avec quelques artistes afin de permettre au public de vivre des moments de bonheur. Et surtout permettre à ceux qui vivent de leur art d’avoir des contrats, des prestations, de travailler, parce que pour eux cette période de confinement est source de grande difficulté. »
Au Delta, les idées et les projets foisonnent : « On aimerait aussi pouvoir louer une péniche sur laquelle les artistes donneraient leurs spectacles et les spectateurs seraient sur le quai ou sur nos terrasses. On doit voir avec la Ville pour avoir l’autorisation. On a aussi deux résidences d’artistes, on a des gens qui sont sur des listes d’attente. On est prêts à les accueillir, même en solo. Les artistes, surtout les petits qui n’ont pas de statut, c’est essentiel de les aider. »
Un peu partout en FWB, les musées s’apprêtent à rouvrir. Certains de suite, comme Autoworld ou les Beaux-Arts, d’autres plus tard. Le BAM, à Mons, attend d’être prêt, tout comme le Grand Curtius et la Boverie, à Liège. Le musée de la photo, à Charleroi, ce sera le 21 mai, du jeudi au dimanche et sous de strictes conditions (masque obligatoire, gants souhaités, réservations en ligne, maximum 10 personnes par ¼ d’heure).
Pour ceux qui dépendent des institutions publiques, les conséquences de cette crise peuvent encore être limitées. Par contre, la faillite menace cruellement de nombreux lieux de culture privés.
L’aide des institutions publiques, le Fédéral, les Communautés, les Régions, est donc vitale pour un secteur qui a perdu 95% de son chiffre d’affaires. Mais également pour des milliers de travailleurs déjà fragilisés en temps normal et qui attendent plus qu’un geste du gouvernement. Si les 4 200 travailleurs de Brussels Airlines méritent que l’on se penche sur leur cas, il en est de même pour les 250 000 travailleurs de la culture. Un secteur qui a toujours été le mal aimé, à tout le moins le mal financé, du gouvernement mais qui est pourtant essentiel pour l’équilibre psychologique et le bien-être de tous.