En Belgique, c’est la Cellule football (SPF Intérieur) qui se charge de la coordination de la politique de sécurité lors des matches et du respect de la fameuse loi football. A sa tête depuis 2015, Cathy Van den Berghe analyse l’évolution du hooliganisme en Belgique, un phénomène qui a bien régressé depuis les années 2000 grâce aux efforts des services de police et à “une politique stricte de verbalisation et de sanctions à l’égard des supporters les plus excessifs.” Interview.

Cathy Van den Berghe, quel est la mission principale de la Cellule football ?

Notre objectif principal est d’assurer la sécurité des spectateurs et le déroulement des rencontres de football dans une ambiance festive et familiale.

Actuellement, comment analysez-vous la situation dans les tribunes belges ?

Je pense qu’on peut dire que les efforts fournis depuis la mise en place de la loi football (votée en 1998, NDLR) portent leurs fruits. Aujourd’hui, les statistiques concernant les infractions commises dans et autour des stades sont bien meilleures qu’il y a 15 ou 20 ans. Et ce, même s’il reste encore du boulot sur le terrain puisque de nouvelles générations de hooligans prennent la place des anciennes.

Comment les autorités sont-elles parvenues à canaliser le phénomène du hooliganisme en Belgique ?

Je pense qu’on peut dire que le travail des spotters a été déterminant dans l’évolution du hooliganisme en Belgique. Leur présence discrète mais attentive au sein des groupes de supporters ainsi que leur rôle de répression ont calmé pas mal d’ardeurs. Sans oublier qu’en se mélangeant aux noyaux durs, ils évitent bien souvent que des clans rivaux ne s’affrontent avant ou après les rencontres. Et ça, c’est une grosse différence avec des situations que l’on a connues dans les années 90 où les autorités intervenaient souvent trop tard.

En disloquant les hooligans avant qu’ils n’aient le temps de s’affronter, la police a déjà sans doute évité pas mal de gros incidents. C’est ce qui s’est passé à Malines-Standard par exemple où le suivi des deux noyaux dur par des équipes en civil a permis d’éviter une confrontation planifiée. Aujourd’hui, bien souvent, on enregistre des tentatives de confrontations mais pas de rixes à proprement parler. Le travail a donc changé : on intervient avant et non plus pendant ou après.

Enfin, ce qui a fait beaucoup de bien aussi, c’est que la loi football a permis d’accélérer la procédure de sanction envers les supporters qui commettent ces infractions. Concrètement, auparavant, au-delà du fait que la police intervenait peut-être moins proactivement que ce n’est le cas actuellement, la procédure était judiciaire et menée au pénal, ce qui pouvait prendre plusieurs années. C’était trop lent. Aujourd’hui, une décision tombe seulement six mois après les faits.

Est-ce que vous vous voyez faire un doigt d’honneur et insulter une personne qui se trouve devant vous au théâtre si la pièce ou les acteurs sont mauvais ? Non, je ne pense pas. Pourquoi ce serait différent dans un stade de football ? Parce que ça fait partie du folklore ? Non, je ne suis pas d’accord. On est bien conscient qu’il y a des émotions derrière tout ça mais tout n’est pas permis.

Après, je comprends la frustration de certains supporters qui voient des policiers les encadrer à chacun de leurs déplacements. Mais ce qu’il faut également comprendre, c’est que ces mesures ne sont pas prises à la va-vite… Si la police décide de suivre de très près certains groupes de supporters, c’est parce qu’il existe des précédents importants avec eux. Pourquoi d’autres groupes de supporters sont loin d’être aussi suivis ? Parce qu’ils ne provoquent pas d’incidents. La présence policière est déterminée sur la base d’une analyse de risque dynamique. Autrement dit, les zones de police compilent et recoupent suffisamment d’informations (rivalités, antécédents, résultats sportifs,…) tout au long de l’année pour déterminer le niveau de risque de tel match ou tel déplacement. Ainsi, on avait récemment estimé que les confrontations de fin de saison entre Roulers et l’Antwerp devaient être considérées comme des matches à risque car l’enjeu sportif est important (le vainqueur montait en D1A, NDLR) et car il s’agit de l’Antwerp qui est un club réputé pour ses noyaux durs.

“Difficile d’intervenir dans le cas des free-fights”

Si les hooligans et les ultras font partie des supporters que la Cellule football suit de très près en Belgique, le cas des free-fighters, ces supporters qui s’affrontent lors de combats secrets plusieurs jours avant/après une rencontre de football, est plus problématique.

“A l’inverse des hooligans, les free-fighters ne gravitent pas toujours autour des stades, estime Cathy Van den Berghe. Les gens qui participent à ces combats entre les noyaux durs de deux clubs peuvent très bien se retrouver entre eux plusieurs jours avant/après le match. Et encore, ce n’est pas toujours le cas… On a déjà pris connaissance de free-fights entre des supporters belges et des Français alors que ça ne rentrait dans aucun contexte de rencontre. Dès lors, pour nous, leur appartenance à une équipe ou à un club est presque un prétexte pour eux. Ce qui complique notre tâche.”

D’application sur le territoire belge “en raison et à l’occasion de rencontres de football et ce, 24 heures avant et 24 heures après le match”, la loi football semble donc actuellement trop restreinte pour s’appliquer au phénomène des free-fights.

Beaucoup de hooligans estiment être criminalisés par les autorités : que leur répondez-vous ?

Qu’il ne faut pas se moquer du monde ! S’il y a répression, c’est que leur comportement n’est pas approprié et pose problème. A la base, je leur rappellerai quand même que le football est un sport qui réunit la famille dans une ambiance festive. Se battre, chercher la confrontation, vouloir s’en prendre aux forces de l’ordre, ce n’est pas très “festif”.

Cela signifie-t-il que certains clubs sont plus surveillés que d’autres ?

Effectivement. L’Antwerp, Alost, La Louvière, le RFC Liège et d’autres encore font l’objet d’une surveillance plus grande de la part de la police. Tous ces clubs sont repris dans une liste qui est mise à jour chaque année en fonction notamment du nombre de supporters qui se déplacent mais aussi du nombre d’incidents qui ont eu lieu lors des deux dernières saisons.

Si des supporters se montrent plus violents dans un club, il est normal que la police soit plus présente à leur côté, afin d’anticiper tout débordement. Si on compare le Standard de Liège et l’AFC Tubize : c’est normal que les forces de l’ordre soient plus présentes à Liège, où les ultras et les noyaux durs sont bien présents, qu’à Tubize où il n’y a aujourd’hui pas vraiment de noyau dur. Et c’est pareil si vous comparez la quantité de supporters qui se déplacent… Là où 35 à 50 supporters tubiziens se déplacent, ils seront peut-être un millier au Standard.

Je vais vous donner un exemple qui m’avait vraiment choquée et attristée. C’était une rencontre au premier tour de Coupe de Belgique entre Ostiches-Ath et le RFC Liège dont j’ai vu des vidéos : certains supporters ont retiré leur ceinture pour frapper sur les spectateurs locaux à l’aide de leur boucle. Ils sont montés dans la buvette, ils ont fait peur à des familles entières et ils ont tout saccagé sur leur passage. Pourquoi ? Je ne comprends pas…

Mais il ne faut pas stigmatiser les clubs : comme je l’ai déjà dit, les risques d’un match s’analysent en fonction de plusieurs critères (nombre de supporters présents, présence d’ultras, existence d’un ou plusieurs noyaux durs,…). Si demain, un club d’une division nationale redescend en provinciale et perd tous ses supporters qui migrent alors vers un autre club de la région, c’est ce deuxième club qui risque d’attirer notre attention.

Nombre de PV reçus

Nombre d'interdictions de stade en cours

Total des amendes infligées (en euros)

Aujourd’hui, là où l’encadrement des hooligans (et des ultras) porte ses fruits, on note une hausse des incivilités (jets d’objets, fumigènes, insultes,…) depuis quelques saisons : est-ce que le mal n’est pas plus profond ?

Tout le monde sait que le football véhicule énormément d’émotions. Pour beaucoup, c’est un exutoire après une grosse semaine. Le stade devient donc le lieu où on se décharge de toute la pression accumulée pendant les derniers jours. Ce n’est donc pas étonnant de voir que les gens se permettent de faire des choses dans les tribunes qu’ils ne feraient pas en temps normal. Selon moi, c’est avant tout un problème de société. Et c’est pour cette raison qu’on prône la tolérance zéro auprès des services de police, afin qu’on en arrive à une application de la loi football la plus uniforme possible. Si on induit une tolérance, on risque de provoquer des tensions ou de tenter les supporters de dépasser les limites. Certains comportements ne peuvent être acceptés sous prétexte qu’on se trouve dans un stade. La tolérance zéro, c’est la meilleure façon de faire passer le message. Après, nous ne sommes pas insensibles aux arguments des gens : s’ils font un doigt d’honneur sous le coup d’une émotion et non pas pour pour provoquer un supporter adverse, et qu’ils comprennent qu’ils ont eu tort, il nous arrive de prendre en compte des circonstances atténuantes car nous savons à quel point le football peut être prenant. Nous restons humains.